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CHAPITRE 4 : CONCLUSION

4.2. FACTEURS ASSOCIÉS À LA CONNAISSANCE DES NOMBRES

4.2.1. FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX ET GÉNÉTIQUES

développement de la connaissance des nombres n’est pas le même pour tous les enfants. Ces différences individuelles observées peuvent provenir d’une variation dans l’architecture génétique et/ou des expositions environnementales. Par exemple, un faible niveau de connaissance des nombres et les difficultés subséquentes en mathématiques pourraient autant provenir de l’action et de l’interaction de plusieurs gènes, d’une mutation génétique particulière, et/ou de l’accumulation d’un retard dû à une défavorisation dans l’environnement de l’enfant (p.ex., manque d’exposition aux nombres, pauvreté, etc.).

Les résultats de la thèse soulignent l’importance de l’environnement dans l’explication des différences individuelles de la connaissance des nombres. D’une part, les résultats de la première étude montrent que certains facteurs de l’environnement, dont un faible revenu et niveau de scolarité, sont associés à la connaissance des nombres de 4 à 7 ans. L’association entre le niveau socioéconomique (NSE) et l’apprentissage des nombres des enfants peut s’expliquer de différentes manières (Jordan et al., 2006). D’abord, le niveau d’exposition à du matériel d’apprentissage en milieu familial peut varier selon le revenu des parents, et jouer un rôle distinctif dans l’apprentissage des enfants (Galindo & Sonnenschein, 2015). Les enfants dont les parents ont plus de moyens financiers ont plus accès à des livres, des jouets, des ressources éducatives (encyclopédie, dictionnaire, ordinateur, internet) (Jariene & Razmantiene, 2006). Le NSE peut aussi agir comme un « stresseur » au sein de la famille et compromettre les compétences parentales. Le NSE est d’ailleurs associé aux comportements et croyances des parents (Davis-Kean, 2005; DeFlorio & Beliakoff, 2015). Ainsi, le rôle du NSE dans l’apprentissage de la connaissance des nombres peut s’opérer de différentes manières. Nous n’avons pu tester l’ensemble de ces effets médiateurs potentiels dans le cadre de la présente thèse. Toutefois, les résultats montrent que la perception des parents quant au développement de leur enfant ne prédit pas une faible connaissance des nombres au-delà du revenu et du diplôme d’études du père. Il est possible que, comparativement à la perception des parents, le revenu familial et le niveau de scolarité soient des facteurs stables qui exercent un rôle constant. Tel que montré par les résultats de la deuxième étude (voir Chapitre 3), ces facteurs partagés au sein de la famille sont présents dès l’âge préscolaire et peuvent contribuer à la stabilité des écarts observés entre les enfants quant à la connaissance des nombres et leur rendement en mathématiques. D’ailleurs, les résultats de la première étude montrent que le développement cognitif précoce, tel qu’indexé par la capacité à nommer 4 couleurs, compter 3 objets

et prononcer une phrase partielle de 3 mots et plus à l’âge de 30 mois, constitue le meilleur prédicteur de l’appartenance à une trajectoire faible de connaissance des nombres. Or, cet indicateur de développement cognitif reflète potentiellement les opportunités d’apprentissage du milieu familial en bas âge.

Cependant, la persistance de la contribution de l’environnement partagé et unique à chacun des jumeaux – de la connaissance des nombres à l’âge préscolaire au rendement en mathématiques à la fin de l’école primaire – et l’absence d’innovation environnementale, ont des implications importantes pour la prévention et l’intervention. Ces résultats signifient que l’environnement familial ou encore les services de gardes offerts avant l’entrée à l’école primaire pourraient avoir un apport durable, et ainsi être des agents potentiels pour prévenir le développement ultérieur de difficultés en mathématiques. Par ailleurs, ces résultats convergent avec les résultats des trajectoires développementales qui montrent que, bien que tous les enfants progressent sur le plan de la connaissance des nombres, l’écart entre les enfants, c.-à-d. les différences individuelles, persistent. Ensemble, les résultats de ces deux articles pourraient laisser entendre que les ressources humaines et financières du système scolaire allouées aux élèves en difficultés ne se traduisent pas par une diminution des écarts entre les enfants au-delà de la période préscolaire. Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence puisque l’effet de l’aide offerte aux enfants n’a pas été testé dans la présente thèse. Pour pouvoir s’y prononcer définitivement, il serait nécessaire pour les études futures de documenter le niveau d’aide qu’obtiennent les enfants, distinguer les enfants sur cette base et examiner dans quelle mesure les trajectoires de connaissance des nombres diffèrent sur le niveau d’aide apporté aux enfants.

Les résultats de la seconde étude montrent aussi que des facteurs génétiques expliquent une partie des différences individuelles de la connaissance des nombres, et de son association phénotypique avec le rendement en mathématiques. Bien que l’association entre la connaissance des nombres à 5 et 7 ans s’expliquent entièrement par les mêmes gènes, et qu’une partie de ces gènes expliquent l’association au rendement en mathématiques, il existe d’importantes nuances quant aux mécanismes sous-jacents à la connaissance des nombres et aux mathématiques. D’abord, les différences individuelles de la connaissance des nombres à 5 ans s’expliquent surtout par des facteurs de l’environnement (partagé et unique), alors que le rendement en mathématiques à l’âge

de 10-12 ans s’explique essentiellement par les facteurs génétiques et liés à l’environnement unique à chacun des jumeaux. Par ailleurs, la connaissance des nombres et le rendement en mathématiques ne seraient pas entièrement associés aux mêmes gènes. L’apparition de nouveaux gènes impliqués dans le rendement en mathématiques émerge vers l’âge de 10-12 ans et signe une distinction mécanistique entre ces deux construits. Cette discontinuité de l’influence génétique peut ainsi refléter un changement sur le plan phénotypique entre la connaissance des nombres et le rendement en mathématiques.

Il est aussi possible, sinon probable que l’innovation génétique ne soit pas spécifique aux mathématiques. Par exemple, le développement des habiletés cognitives, elles-mêmes partiellement sous influence génétique, peut mener à une capacité à effectuer des calculs mentaux plus complexes avec l’âge. L’âge de 10-12 ans correspond approximativement aux changements qualitatifs observés dans le développement cognitif. Selon la théorie du développement cognitif de Piaget (Piaget, 1977), la fin de l’école primaire est une période développementale où la plupart des enfants progressent vers un stade de pensée beaucoup plus abstrait (Piaget, 1977). C’est au cours de ce stade que les enfants commencent à raisonner à l’aide de symboles sans l’appui de données perceptibles. Ils sont capables d’abstraction, d’induction et de déduction, et peuvent générer des hypothèses, envisager différentes possibilités, et appliquer des concepts mathématiques à des situations de la vie courante. Ces changements dans le développement cognitif sont aussi appuyés par la maturation cérébrale qui survient en début d’adolescence. Il s’agit d’une période où les circuits cérébraux se consolident, ce qui permet d’effectuer plusieurs tâches, d’améliorer nos habiletés en résolution de problèmes, et de traiter efficacement de l’information plus complexe (Arain et al., 2013). Ainsi, le rôle des habiletés cognitives croît en importance à mesure que les enfants développent leurs habiletés mathématiques (Decker & Roberts, 2015). Ceci pourrait en partie s’expliquer par des gènes sous-jacents aux habiletés en mathématiques et à d’autres habiletés cognitives. L’hypothèse des

gènes généralistes stipule qu’un même regroupement de gènes serait à la source d’une variété de

compétences cognitives distinctes. Selon cette hypothèse, les gènes associés à une aptitude particulière telle que les mathématiques seraient aussi associés à d’autres aptitudes académiques comme la lecture par exemple (Plomin & Kovas, 2005). Ainsi, les nouveaux gènes qui émergent vers la fin de l’école primaire pourraient être impliqués dans l’apprentissage des mathématiques et dans plusieurs habiletés cognitives de haut niveau nécessaires à l’apprentissage des mathématiques.

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