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Facteurs affectant l’exposition du microbiote intestinal aux antibiotiques

Chapitre 1. Introduction

3. Perturbation du microbiote intestinal : le rôle des antibiotiques

3.3. Facteurs affectant l’exposition du microbiote intestinal aux antibiotiques

Deux facteurs principaux contribuent à la variabilité de l’impact des antibiotiques sur le microbiote intestinal: le niveau d’exposition du microbiote à l’antibiotique, et l’activité antibactérienne intrinsèque de l’antibiotique sur les bactéries constitutives du microbiote. L’activité antibactérienne intrinsèque des antibiotiques est le fondement de leur utilisation chez des patients infectés. Le choix de l’antibiothérapie empirique repose sur des données épidémiologiques de résistance bactérienne, compte tenu de l’organe supposément infecté. Le plus souvent, une antibiothérapie à large spectre est administrée initialement, après réalisation de prélèvements microbiologiques. La sensibilité aux antibiotiques de la ou des bactérie(s) identifiée(s) est habituellement obtenue après 2 à 3 jours. L’antibiothérapie est alors modifiée pour une molécule dont le spectre d’activité est plus étroit, centré sur la souche isolée. Cependant, si l’effet des antibiotiques sur les bactéries cultivables du microbiote intestinal est assez bien décrit (12), celui-ci doit être réévalué à l’aide des nouvelles méthodes d’analyse indépendantes de la culture, afin d’avoir une meilleure connaissance de l’effet global des antibiotiques sur le microbiote intestinal (130).

Le degré d’exposition du microbiote intestinal aux antibiotiques résulte des caractéristiques pharmacocinétiques des molécules administrées et du schéma posologique utilisé. Que l’administration soit faite par voie intraveineuse ou par voie orale, une fraction variable de la dose administrée est éliminée par voie biliaire, sous forme inchangée ou après métabolisation (Figure 4). Les métabolites peuvent eux-mêmes présenter une activité antibactérienne, similaire ou non à celle de la molécule mère.

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Figure 4. Processus liés à la présence d’antibiotiques dans le tube digestif suivant une administration orale ou

parentérale.

Un petit nombre d’études suggère qu’il est possible de réduire l’impact d’une antibiothérapie sur le microbiote intestinal en prenant en compte la voie d’élimination des antibiotiques administrés (124, 125, 131). Ce rôle des caractéristiques pharmacocinétiques est particulièrement bien illustré par la comparaison de l’impact de deux antibiotiques de la famille des céphalosporines de 3ème génération,

la ceftriaxone et le céfotaxime. Ces deux molécules ont un spectre d’activité antimicrobienne très similaire. Elles ont une efficacité comparable (132-136), et sont utilisées dans les mêmes indications. Elles ont leur place dans la grande majorité des infections communautaires nécessitant une hospitalisation en salle de médecine ou en soins intensifs (137-139). Leurs différences tiennent principalement à leurs caractéristiques pharmacocinétiques, qui conditionnent leur maniabilité.

La ceftriaxone est une molécule dont la demi-vie a été estimée à 8 heures (140-142). Cette longue demi-vie permet une utilisation facilitée et une administration en une seule injection quotidienne. Sa liaison aux protéines plasmatiques est importante, atteignant des valeurs de l’ordre de 90% (143). Son élimination biliaire est forte, environ 50% d’une dose administrée par voie intraveineuse étant retrouvée dans les selles (144). La proportion de ceftriaxone éliminée dans les urines a été estimée

Introduction

entre 40% et 65% (144). L’élimination est faite sous forme active dans les selles et les urines. Une étude a montré que l’excrétion biliaire de la ceftriaxone présente une forte variabilité interindividuelle (145). La forte élimination biliaire de la ceftriaxone est considérée comme expliquant son effet observé sur la flore digestive. En effet, des données quantitatives expérimentales ont été obtenues chez la souris avec différentes céphalosporines de 3ème génération ayant un taux variable d’élimination biliaire. Les

résultats suggèrent que l’impact sur la flore intestinale est d’autant plus faible que la fraction excrétée est faible (131). Chez l’homme, dans une étude portant sur 6 volontaires chez lesquels la concentration de ceftriaxone était mesurée dans le duodénum, la réduction des comptes d’Escherichia coli et de

Bacteroides spp. observée dans les selles, de même que l’augmentation des comptes de Lactobacillus spp. et de Enterococcus spp. (espèces naturellement résistantes aux céphalosporines de 3ème

génération), étaient fortement corrélée au taux d’excrétion biliaire de la ceftriaxone (145).

A la différence de la ceftriaxone, le céfotaxime est une molécule dont la demi-vie, de l’ordre d’une heure, impose trois injections quotidiennes (146). Elle est métabolisée en désacétyl-céfotaxime, ayant une faible activité microbienne, puis en dérivés inactifs. L’élimination est principalement réalisée par voie urinaire (90%), et 10% de la dose administrée est éliminée par voie fécale (146, 147). Un tiers de la dose administrée est éliminé par le rein sous forme inchangée, 25% sous la forme de son métabolite principal et environ 20 % sous la forme de métabolites inactifs (146). L’effet du céfotaxime sur les entérobactéries est modéré, et les comptes d’entérocoques et de levures sont peu modifiés (148, 149).

Peu d’études ont directement comparé l’impact de ces 2 molécules sur le microbiote intestinal. Deux études randomisées ont été conduites chez des patientes pour lesquelles une intervention chirurgicale gynécologique était programmée (124, 125). L’antibiothérapie, administrée à titre prophylactique par voie intraveineuse, consistait soit en une dose unique de 2 grammes de ceftriaxone, soit en une dose unique de 2 grammes de céfotaxime. Dans l’étude de Bräutigam et al. portant sur 30 patientes, les comptes d’Escherichia coli étaient réduits à des niveaux similaires au 5ème

jour après traitement (125). Une augmentation des comptes d’Enterococcus faecalis était observée dans le groupe ceftriaxone sans modification notable des comptes dans le groupe céfotaxime, mais la différence n’était pas significative. Enfin, l’émergence de Candida spp. était observée dans le groupe ceftriaxone à des taux significativement plus élevés que dans le groupe céfotaxime. Dans l’étude de Michea-Hamzehpour et al. incluant 27 patientes, l’administration de céfotaxime entraînait une réduction modérée des comptes de bactéries aérobies à Gram négatif, sans détection de germes résistants au cours des 7 jours de suivi après traitement (124). L’effet de la ceftriaxone était plus marqué. Une réduction significative des comptes d’entérobactéries et de Pseudomonas spp. était observée, ainsi qu’une augmentation marquée de la flore fongique. Une augmentation de la flore

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totale aérobie résistante aux céphalosporines de 3ème génération était également observée. Cette flore

résistante persistait pendant toute la période de suivi.

Deux études écologiques récentes vont dans le même sens (150, 151). Dans l’étude avant-après de Grohs et al., l’incidence de prélèvements cliniques mettant en évidence une infection à une souche d’entérobactérie résistante aux céphalosporines de 3ème génération dans un hôpital universitaire

parisien était comparée avant et après l’arrêt d’utilisation de ceftriaxone dans l’hôpital (151). L’augmentation d’incidence d’infections cliniques à entérobactéries résistantes aux céphalosporines de 3ème génération par hyperproduction de céphalosporinase observée avant l’intervention était

significativement infléchie après suppression de la ceftriaxone du centre hospitalier. Cet infléchissement était observé malgré une augmentation de la consommation de céfotaxime au cours de la période post-intervention. Dans l’étude de Gbaguidi-Haore et al., les données annuelles de consommation d’antibiotiques et de résistance bactérienne observées en France ont été analysées entre 2007 et 2009 par modélisation à effets mixtes (150). A la différence de la consommation de céfotaxime, la consommation de ceftriaxone était corrélée au taux d’incidence d’infections à

Escherichia coli résistant aux céphalosporines de 3ème génération. Les consommations de ceftriaxone

et céfotaxime étaient toutes deux corrélées à l’incidence d’infections à Enterobacter cloacae résistant aux céphalosporines de 3ème génération.

En conclusion, ces données laissent entrevoir un impact plus important de la ceftriaxone sur le microbiote intestinal. Cependant, aucune de ces études n’a comparé de façon prospective les 2 molécules selon un régime d’administration standard en pratique clinique, limitant ainsi la validité de leurs conclusions. De fait, la ceftriaxone est largement plus utilisée que le céfotaxime. Les données non publiées de la Commission des Anti-infectieux de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris pour 2013 montraient une utilisation de ceftriaxone deux fois plus importante que celle de céfotaxime, en considérant le nombre de doses journalières recommandées. Cette différence est probablement liée à la meilleure maniabilité de la ceftriaxone.

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