• Aucun résultat trouvé

La relecture des fictions rabelaisiennes que je propose dans ces pages doit beaucoup aux travaux de Mikhaïl Bakhtine qui ont relancé, dans la deuxième moitié duXXesiècle, la réflexion sur la charge critique, voire même contestataire des textes en jeu. Leur succès tient en grande partie au fait qu’ils aient permis de replacer Rabelais au cœur des préoccupations esthétiques et politiques d’une théorie littéraire marquée par ce qu’on a qualifié, à tort ou à raison, de « pensée 68 »1. Or, une telle actualisation2d’un texte du lointain XVIe siècle n’allait pas et ne va toujours pas sans résistances. Elle est, pour une partie importante des spécialistes du seizième siècle, anachronique. Il convient ainsi de préciser ce que ces pages doivent au juste à Bakhtine dans leur façon de lire Rabelais.

AMBIVALENCES DE L’OBSCÈNE : LIRE RABELAIS AVEC ET CONTRE BAKHTINE

Partons d’un constat apparemment banal, mais qui en réalité oblige à remettre en question l’idée d’une portée universelle de la littérature qui, peut-être, a fait son temps. A chaque époque ses classiques et, surtout, ses manières de les lire. D’anciennes gloires des Belles-Lettres, on le sait, sombrent aujourd’hui au débar-ras de l’histoire littéraire. D’autres ne sont canonisés qu’après une longue indiffé-rence. Plus rares sont ceux qui ont traversé les âges. François Rabelais en fait partie. Son histoire n’est pourtant pas celle d’un monument unanimement célé-bré, confortablement installé au panthéon des Grands Auteurs de tous les temps. Elle est mouvementée, conflictuelle à l’image d’un texte qui continue à déjouer, après des siècles d’abondantes gloses, les interprétations souvent contradictoires qu’il aura fait naître.

1 L’expression a été forgée par Luc Ferry et Alain Renaut dans l’« essai sur l’anti-humanisme contemporain » qu’ils publient en 1985 sous le titre La pensée 68.

Notre lecture de Rabelais ne peut faire l’économie de ces contretemps dans la mesure où elle est à son tour un moment, pour ne pas dire un effet de cette histoire. Si nous croyons avoir encore quelque chose à dire à propos de Rabelais, c’est que nous aurons été confrontés à des possibilités de le faire parler, de le faire parler autrement à travers des figures conflictuelles d’un texte dont les tensions sont loin d’être résolues. En même temps, si nous continuons à lire Rabelais à l’aube du XXIe siècle, c’est peut-être qu’il nous parle encore, mais avant tout que nous réussissons, parfois contre lui, à le faire parler. De son temps et des questions que nous posons, nous, à ce temps.

Lors de la soutenance en 1946 de sa thèse sur L’œuvre de François Rabelais et

la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Bakhtine l’aura dit à sa

façon en expliquant au jury :

[L]e fait est que, au début, quand j’ai commencé ce travail, Rabelais n’était pas pour moi un but en soi. Durant de très nombreuses années, j’ai travaillé sur la théorie, sur l’histoire du roman. […] Au centre de ma monographie il n’y a pas Rabelais, mais […] les formes populaires, grotesques, et propres aux fêtes, ainsi que les traditions qui sont montées, qui sont exposées pour nous dans les œuvres de Rabelais3.

Bakhtine précisera par la suite qu’à travers le grotesque des fêtes de la première modernité se donne, selon lui, à voir la mise en spectacle de ce qu’il appelle un « moment carnavalesque » qui permettrait de saisir, dans le jeu de ses représenta-tions, l’expérience d’une crise4. Ce qu’il cherche ainsi à comprendre à partir de Rabelais, c’est la dynamique de cette reconfiguration symbolique et sociale que projetait une époque placée sous le signe de la renaissance. Projections qu’il interroge dans ce qui en elles relève de l’exploration de nouveaux possibles, mais aussi – le mot de crise l’atteste – dans leurs dimensions plus troubles, voire même violentes.

De nombreux seiziémistes, je l’ai dit, ont depuis tenté, au nom d’une vérité historique, de disqualifier cette reconstruction qu’ils considèrent comme dange-reusement anachronique. Le Rabelais de Bakhtine ne serait qu’une fable sur les préoccupations d’un chercheur soviétique du XXe siècle et n’aurait rien à voir avec l’auteur du Gargantua5. C’est mal poser la question dans la mesure où le travail de l’historien, comme le souligne Georges Didi-Huberman, ne consiste pas simplement à donner une image aussi fidèle que possible du passé qu’il met 3 Propos cités dans Irina Popova, « Le “carnaval lexical” de Rabelais », p. 346.

4 Ibid., pp. 349-350.

5 Citons, à titre d’exemple, la condamnation sans appel de Richard M. Berrong dans son Rabelais

and Bakhtin, p. 109 : « I cannot accord the work any real value as historical criticism (or at

least as an interpretation of Rabelais ; it has suggested approaches that led to more valid analyses of other works). Nonetheless, as a critique of Stalinist policy, it remains a fascinating and admirable creation. Many respectable works of literary criticism amount to far less. »

au et à jour. Passé qu’il présente et représente à la fois et qui engage alors

l’imagination à l’œuvre dans les images qu’il s’en fait, qu’il fabrique :

Nous avons encore quelques monuments, mais nous ne savons plus le monde qui les exigeait ; nous avons encore quelques mots, mais nous ne savons plus l’énonciation qui les soutenait ; nous avons encore quelques images, mais nous ne savons plus les regards qui leur donnaient chair ; nous avons la description des rites, mais nous n’en savons plus ni la phénoménologie, ni l’exacte valeur d’efficacité. Qu’est-ce à dire ? Que tout passé est définitivement

anachronique : il n’existe ou ne consiste qu’à travers les figures que nous nous

en faisons ; il n’existe donc que dans les opérations d’un « présent réminis-cent », un présent doué de la puissance admirable ou dangereuse de le présen-ter, justement, et dans l’après-coup de cette présentation, de l’élaborer, de le représenter6.

Or, l’un des effets majeurs de la lecture bakhtinienne aura, précisément, été de réengager une réflexion non seulement sur l’actualité de Rabelais, mais égale-ment sur les dispositifs esthétiques et idéologiques, la culture, de la première modernité et les figures qui nous permettent de les penser, d’en déployer et déplier les enjeux. Prenons l’exemple de sa désormais célèbre analyse de la « per-ception carnavalesque du monde » :

Cette perception, hostile à tout ce qui est tout prêt et achevé, à toutes préten-tions à l’immuable et à l’éternel, nécessitait pour s’exprimer des formes d’expression dynamiques changeantes (protéennes), fluctuantes et mouvantes. C’est pourquoi toutes les formes et tous les symboles de la langue carnava-lesque sont imprégnés du lyrisme de l’alternance et du renouveau, de la conscience de la joyeuse relativité des vérités et autorités au pouvoir. Elle est marquée, notamment, par la logique originale des choses « à l’envers », « au contraire », des permutations constantes du haut et du bas (« la roue »), de la face et du derrière, par les formes les plus diverses de parodies et travestisse-ments, rabaissetravestisse-ments, profanations, couronnements et détrônements bouffons7.

Cette attention aux figures protéennes de la Renaissance aura contribué à dégager les enjeux de l’instabilité tant symbolique que matérielle qui informe les textes de la Renaissance et leurs représentations. Un informe où se joue la « sensibilité métamorphique » d’un siècle qui, selon la belle formule de Michel Jeanneret, était « plus sensible à l’émergence de la force qu’à la rigueur de la forme »8.

Il en va de même de l’ambivalence qui travaille les figures du texte rabelaisien et qu’exemplifierait son « rire carnavalesque ». Ce rire, note Bakhtine, est «

ambi-valent : il est joyeux, débordant d’allégresse, mais en même temps il est railleur,

6 Georges Didi-Huberman, Devant l’image, pp. 49-50.

7 Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la

Renaissance, p. 19.

sarcastique, il nie et affirme à la fois, ensevelit et ressuscite à la fois »9. Cette tension se retrouvera dans les analyses que développera Terence Cave des repré-sentations d’une abondance verbale et figurative, de la cornucopia de la Renais-sance. Les images de cette « corne d’abondance » sont à leur tour fondamentalement ambivalentes, comme le montre le commentaire que déploie Cave autour de l’image du « tonneau inexpuisible », « vray Cornucopie de joyeu-seté et raillerie »10que Rabelais érige en figure de son texte dans le prologue du

Tiers livre :

Ce qui, de prime abord, apparaissait comme un mouvement idéal de pléni-tude n’est en réalité qu’une tentative de conjurer la temporalité ou l’écoule-ment dans un monde déchu : la référence au « bon espoir », censé persister lorsque le tonneau sera vide, ne fait qu’accentuer la rupture entre une profu-sion apparente, de l’ordre du passé, et la possibilité d’une plénitude à venir. Rupture qui jette forcément le doute sur le mouvement cornucopien dans sa totalité11.

Ce « mouvement cornucopien » trouvera un écho dans la double hantise que Roger Chartier voit à l’œuvre au seuil de la modernité et qui engage, bien au-delà de Rabelais, le rapport aux pratiques d’écriture, fictionnelle ou autre, de toute une époque. Si l’imprimerie a permis de répondre à l’inquiétude d’une perte, son succès, souligne Chartier, crée un autre danger : « celui d’une prolifé-ration textuelle incontrôlable, d’un discours sans ordre ni limites », un « excès d’écrit » qui « fut perçu comme un péril aussi grand que son contraire »12.

Précisons qu’il ne s’agit pas de faire de Bakhtine le père de notre Rabelais, celui qui, finalement, aura le dernier mot. Il s’agissait, au contraire, d’interroger à partir de lui ce que lire Rabelais aujourd’hui peut vouloir dire et, plus générale-ment, ce qui peut rendre possible – et productif – notre lecture des textes du passé. Notre dette à l’égard de Bakhtine tient alors moins aux conclusions de sa recherche qu’à ce que, pour reprendre la réflexion de Michel de Certeau sur les « manières de faire », elle nous dit de la dimension « tactique » du texte rabelai-sien. La notion de tactique13 désigne chez de Certeau un art de faire qui fonc-tionne sur le mode de la mètis, l’intelligence d’une ruse toute panurgienne, telle qu’elle a été problématisée par Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant :

Engagée dans le devenir, confrontée avec des situations ambiguës et inédites dont l’issue est toujours suspendue, l’intelligence rusée n’assure sa prise sur les êtres et les choses que parce qu’elle est capable de prévoir, par-delà le présent immédiat, une tranche plus ou moins épaisse du futur. Vigilante,

9 Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de Rabelais, p. 20, c’est Bakhtine qui souligne.

10 TL, pp. 351-352.

11 Terence Cave, Cornucopia, p. 196.

12 Roger Chartier, Inscrire et effacer, p. 7.

sans cesse sur le qui-vive, la mètis apparaît aussi multiple, […] bigarrée, […] ondoyante, […] : toutes qualités qui accusent la polymorphie et la polyva-lence d’une intelligence qui doit, pour se rendre insaisissable et pour dominer des réalités fluides et mouvantes, se montrer toujours plus ondoyante et plus polymorphe que ces dernières. Intelligence rusée, la mètis possède enfin la ruse la plus rare : la « duplicité » du piège qui se donne toujours pour autre que ce qu’il est, et qui dissimule sa réalité meurtrière sous des apparences ras-surantes14.

Au-delà des faits et gestes de Panurge qui en emblématisent le jeu, cette ruse concerne de près les usages que nous faisons de la notion de « contexte » dans nos reconstructions du XVIe siècle et notamment de l’humanisme renaissant dont participerait l’entreprise rabelaisienne. Cette culture humaniste sert en effet souvent de « désarmeur »15dont Ariane Bayle a rappelé les stratégies de neutrali-sation de ce qui, dans le texte rabelaisien, pose problème, à commencer par la question de son obscénité. Les pratiques de savoir des humanistes obéissaient pourtant à une logique diamétralement opposée. Du moins chez les savants qui, tel Erasme, auront compté pour Rabelais. Dans leurs commentaires des textes anciens et contemporains, l’érudition, au lieu de résoudre des conflits de sens, permet de les déployer et ainsi de « dynamiser la lecture » d’une œuvre qu’il s’agit de « relancer dans sa productivité »16.

La célébration rabelaisienne de la chair rappelle que le savoir en question est aussi une pensée du corps au point qu’on a pu placer son temps sous le signe d’une « Renaissance du corps »17. Or, cette renaissance-là est empreinte d’une irréductible ambivalence, à l’image de l’euphorie renaissante du premier seizième siècle qui, au moment où Rabelais publie ses premières fictions, semble déjà, comme le fait observer Frank Lestringant, un « rêve perdu »18. A l’ombre des nouveaux possibles se dessine en effet une image plus instable, plus inquiète de l’humanisme renaissant qui se traduit par une hantise qui est à son tour un effet des nouveaux savoirs du corps. Sébastien Jahan en a retracé les contretemps :

Entre 1450 et 1650, les effets d’une série de bouleversements culturels, reli-gieux et politiques […] se sont téléscopés, provoquant une réaction en chaîne dans la conception du corps. C’est alors, en particulier, que le corps distend ses liens traditionnels avec le cosmos, déchirant le tissu de correspondances qui le connectait à son environnement visible et invisible, posant des fron-tières entre sa propre chair et celle du monde. […] Coupé de la nature, signe

14 Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de l’intelligence, p. 32.

15 Ariane Bayle, « Six questions sur la notion d’obscénité dans la critique rabelaisienne », notam-ment pp. 384-385.

16 Michel Jeanneret, « La glose, le commentaire, l’essai à la Renaissance », p. 1038.

17 J’emprunte l’expression au titre de l’ouvrage de Sébastien Jahan, Les Renaissances du corps en

Occident (1450-1650).

18 Frank Lestringant, « Une rupture sans retour » dans La littérature française : dynamique et

de la singularité individuelle, le corps s’est en outre isolé, il s’est dissocié de la personne qu’il enveloppe. Comme a su fort bien l’exprimer l’anthropo-logue David Le Breton, l’homme est de moins en moins son propre corps : il a un corps qu’il traite en accessoire, magnifié ou méprisé. Terrain privilégié de la stratégie du paraître mais aussi attribut encombrant, voire inquiétant, le corps se métamorphose, s’enfle, se cache ou se contient. L’aube des Temps modernes est finalement riche de cette ambiguïté qui voit la prise de posses-sion du corps par l’individu inséparable de sa mise à distance et sous contrôle19.

Selon Bakhtine, les fables grotesques de Rabelais – à l’image de l’« estrange et monstrueuse membreure d’home »20 que représente Quaresmeprenant dans le Quart livre – seraient, précisément, à lire comme figurations, comme média-tions de ce conflit. Le grotesque tel qu’il est décrit par Bakhtine donnerait en effet à voir un corps sans cesse dé- et recomposé où « la vie est révélée dans son processus ambivalent, intérieurement contradictoire »21. Si ces figures font rire, elles ne revêtent non moins une dimension essentiellement critique, voire même subversive en ce sens qu’elles seraient à comprendre, selon Bakhtine, comme l’expression d’une opposition à « toute coupure des racines matérielles et corpo-relles du monde, à tout isolement et confinement en soi-même, à tout caractère idéal abstrait, à toutes prétentions à une signification détachée et indépendante de la terre et du corps »22. L’obscène participe de cette contestation dans la mesure où la lecture bakhtinienne permet, à partir des représentations d’un « bas corporel », d’en situer la hantise au niveau d’une crise de la forme ou, plus précisément, au niveau de ce qu’on pourrait appeler une poétique de l’informe. J’entends ici par informe non pas ce qui est sans forme, mais ce qui engage cette résistance à la forme que met à l’épreuve le « corps ouvert, non prêt (mou-rant–naissant–à naître) »23 du grotesque rabelaisien. L’attention à cette résis-tance cherche surtout à dégager un déplacement de la question du sens des fictions de Rabelais : des significations projetées, hier et aujourd’hui, sur les figures de son texte vers les codes ou, plutôt, les configurations esthétiques, sociales et herméneutiques avec et contre lesquelles elles en viennent à être por-teuses d’un sens, aussi précaire soit-il.

Une poétique du blasphème

Dans la perspective de Bakhtine, il revient aux blasphèmes et injures d’explici-ter la charge critique de la contestation qu’il voit à l’œuvre dans le jeu des 19 Sébastien Jahan, Les Renaissances du corps, p. 11.

20 QL, p. 614.

21 Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais, p. 35.

22 Ibid., p. 28.

corps grotesques. Le chapitre de son Rabelais qu’il consacre au « bas matériel et corporel » des fictions rabelaisiennes dira comment. Il y rapproche le grotesque des figurations d’un corps supplicié et note :

Dans la construction des images relatives aux supplices, on peut sentir sans peine la logique spécifique des grossièretés, imprécations et injures, celle des dénigrements et rabaissements corporels […]. Les images des supplices sont souvent organisées comme réalisation des métaphores comprises dans les grossièretés et imprécations24.

Précisons qu’au-delà de leur dimension christique, ces corps suppliciés mobi-lisent dans l’imaginaire renaissant l’image troublée et troublante d’un corps figuré et défiguré dans son sexe. Le Théâtre des cruautés que publie en 1588 Richard Verstegan en illustre la puissance figurative. Une des gravures qui en organisent le récit retient particulièrement l’attention dans le contexte qui est le nôtre. Elle est intitulée « Persécutions contre les catholiques par les protestants machiavélistes en Angleterre » et elle est accompagnée d’un commentaire détaillé que voici :

[A] La manière comme ils traînent les jésuites, prêtres, gentilshommes et autres catholiques sur des claies au lieu du supplice, tourmentés de l’importu-nité des ministres hérétiques pour les séduire sur le point de la mort aux exécrables blasphèmes et opprobres.

[B] Les catholiques, prêts d’être exécutés, sont interrompus en leurs saintes prières et méditations ; on les traîne pour leur faire voir le piteux spectacle des barbares cruautés exercées contre leurs compagnons déjà martyrisés. [C] Etant pendus, avant qu’ils soient étranglés, on retire la charrette sur laquelle on les fait monter pour les attacher au gibet, puis on coupe la corde pour les jeter en terre.

[D] De là on les tire près un grand feu, où, revenus à eux, on leur coupe, eux encore vivants, les parties honteuses, on leur fend le ventre, on en tire hors les intestins, qu’on jette dans le feu, puis on met le corps en quartiers. [E] On met leurs têtes et les quartiers du corps dans une grande chaudière bouillante, puis on les met ès portes de Londres et autres lieux25.

Le spectre d’un rabaissement qui se matérialiserait dans l’image d’un corps dépecé, littéralement ouvert dans une agression du moins en partie sexuelle n’est pas le seul fait du sang que font couler les guerres de religion au soir de la Renaissance. C’est ce que suggère déjà Bakhtine en articulant l’obscénité à l’œuvre dans le langage blasphématoire et injurieux de l’époque à la hantise d’un corps grotesque dans son supplice. Un supplice qui serait à comprendre comme matérialisation, comme « réalisation des métaphores » qu’engagent les bas mots 24 Ibid., p. 385.

25 Richard Verstegan, Théâtre des cruautés des hérétiques de notre temps, éd. Frank Lestringant,

Documents relatifs