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Section 1. La place de l’accord de volonté dans l’évolution de l’opération collective

I. L'extension de l'acte collectif

165. Définition.- La loi du 24 juin 1936, maintenant le principe contractuel de la

convention collective270, introduit la procédure d’extension de cette convention. L’extension « permet d’imposer à des entreprises le respect d’une convention à laquelle elles n’avaient

consenti ni personnellement ni par l’intermédiaire d’un groupement professionnel »271.

267 P. MORVAN, Restructurations en droit social, LexisNexis 2013, 3e édition, p. 1127, n°1712. 268 Cass. soc., 10 fév. 1999, n°97-13015.

269 J. BARTHELEMY, « Extension et des conventions collectives », Dr. soc., 1993, p. 359.

270 Principe selon lequel la convention collective a bien une nature contractuelle. V. Site Internet Sénat. 271 B. TEYSSIE, Droit du travail, t. 2, Relations collectives : Lexis Nexis, 2014, 9e édition, p.728, n°1650.

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L’arrêté ministériel d’extension a pour effet « de rendre obligatoires les dispositions d'un

accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application professionnel et territorial, dont les organisations patronales sont représentatives à la date de la signature de l'accord »272, sans que le champ professionnel et territorial du contrat collectif ne change. Pour se voir appliquer l’accord, l’entreprise n’a même pas à être adhérente de l’un des groupements patronaux signataires.

166. Compétence.- L’article L. 2261-15 alinéa 1er dispose que : « les stipulations d'une

convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective ». En matière d’extension des conventions collectives de

branche, compétence est donnée au Ministre du Travail273. De cette affirmation, une question surgit : ce même Ministre est-il également compétent lorsque l’acte collectif traite de garanties sociales ? Pour y répondre, le législateur a raisonné en deux temps. Il précise d’abord que « les

dispositions du titre III et du livre I du Code du travail sont applicables aux conventions et accords collectifs mentionnées à l’article L. 911-1 »274. Ainsi, une compétence de principe est donnée au Ministre du Travail en matière d’extension des garanties collectives. Le législateur précise ensuite que, cette compétence dépend en réalité de l’objet de l’accord, en effet « (…),

lorsque les accords ont pour objet exclusif la détermination des garanties mentionnées à l'article L. 911-2, leur extension aux salariés, aux anciens salariés, à leurs ayants droit et aux employeurs compris dans leur champ d'application est décidée par arrêté du ministre chargé

272 Cass. soc., 26 janv. 2012, n°10-27644.

273 Notons que seules les « conventions » collectives sont visées par l’article L. 2261-15. Or, les auteurs,

unanimes en la matière, considèrent que le contrat collectif, entendons les conventions collectives ainsi que les accords collectifs, peut faire l’objet d’un arrêt d’extension. La jurisprudence, également, ne fait aucune distinction (V. par ex. Cass. soc., 6 avril 2011 : RJS 6/11, n°528).

274 CSS art., L. 911-3. La formulation de l’article L. 911-3 est obscure et laisse un doute subsister. Le renvoi

opéré au titre III du Livre I du Code du travail ne permet pas au lecteur de connaître les dispositions visées puisque n’est pas précisée la partie du Code du travail concernée. Cependant, il faut y voir une simple erreur matérielle dans le renvoi.

83 de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget, après avis motivé d'une commission dont la composition est fixée par décret »275. Dans l’hypothèse où l’acte collectif a pour objet unique la prévoyance, une compétence conjointe est donnée aux Ministres chargés de la Sécurité sociale et du Budget. Ainsi, en matière d’extension des garanties collectives, la répartition des compétences s’effectue comme suit : si l’accord collectif traite exclusivement de prévoyance, la compétence est partagée entre les Ministres chargés de la Sécurité sociale et du Budget ; si l’accord prévoit entre autres mesures sociales, de la prévoyance, le Ministre du Travail est compétent276.

167. Débat sur la compétence.- Aujourd’hui, il est acquis que la compétence ministérielle

pour étendre un accord collectif dépend de son objet. Pourtant, cette règle n’a pas toujours été admise dans son principe. L’article L. 911-3 du Code de la sécurité sociale qui organise la répartition des compétence entre les ministres du Travail et ceux de la Sécurité sociale et du Budget, est issu d’une ordonnance de 1959277 - faisant suite à l’annulation par le Conseil d’Etat d’un arrêté d’extension de la convention collective nationale du 14 mars 1957 (AGIRC) - et repris par les lois n° 89-474 du 10 juillet 1989 et n°94-678 du 8 août 1994278. Les juridictions qui se sont prononcées sur la légalité des dispositions de cet arrêté ont jugé que si un arrêté d’extension n’émane pas de l’autorité compétente, l’accord est inopposable aux entreprises non syndiquées279. Si l’on s’en tient à une lecture strictement binaire de la situation, le Ministre du Travail devrait avoir compétence pour étendre les dispositions de droit du travail et les Ministres chargés de la Sécurité sociale et du Budget pour celles relatives à la prévoyance. Ainsi, un accord touchant aux conditions de travail et à la prévoyance devrait être étendu par autant de ministres que de domaines visés dans l’accord.

275 CSS art., L. 911-3 in fine.

276 V. CE 12 mai 2010, n°355657 : le non-respect de la répartition légale des compétences entraine la nullité de

l’arrêté.

277 Ordonnance n°59-238 du 4 février 1959

278 V. J. BARTHELEMY, « Réflexion prospective sur l’extension des accords de protection sociale », Dr. soc.,

2010, p. 182. L’auteur rappelle que le Conseil d’Etat a annulé, dans un arrêt du 2 janvier 1959, l’arrêté d’extension du Ministre du Travail de l’époque puisque celui-ci ne pouvait avoir compétente pour étendre une convention collective dont l’objet concernait uniquement la protection sociale.

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Or, aux termes de l’article L. 911-3 du Code de la Sécurité sociale, un seul et même arrêté est pris quelle que soit la nature des dispositions. Pour illustration, une convention collective dont 9/10e du contenu concernent les conditions de travail et dont le 1/10e restant traite de la prévoyance devra obligatoirement faire l’objet d’une extension par le Ministre du Travail. Les Ministres chargés de la Sécurité sociale et du Budget ne signeront pas un arrêté distinct pour le 1/10e concernant la prévoyance. Leur compétence est donc écartée. Selon Jacques Barthélémy, « le fait que le ministre du Travail demeure compétent pour les accords traitant

simultanément d’autres thèmes est justifié par l’indivisibilité de la convention et l’interdiction, qui en découle, de l’intervention de deux autorités administratives »280.

168. Certains auteurs ont mis en exergue le manque de pertinence de la distinction, jugée

parfois artificielle, tout en conseillant de recourir aux seuls Ministres chargés de la Sécurité sociale et du Budget, lorsqu’il est question de prévoyance, dans la mesure où ils sont déjà compétents en matière de régimes de retraite complémentaire (AGIRC, ARRCO) 281.

169. Volonté effacée.- L’arrêté d’extension sème le trouble dans l’esprit de ceux qui sont

attachés à la liberté contractuelle et à son respect. Comme l’a défini le Professeur Bernard Teyssié, le mécanisme de l’extension permet d’imposer à des entreprises le respect d’une convention à laquelle elles n’ont ni consenti personnellement, ni par l’intermédiaire d’une organisation patronale282. Le hasard géographique et l’activité de l’entreprise décident de leur avenir conventionnel. Toutefois, l’utilisation de cette procédure permet d’étendre des dispositions spécifiques à un secteur concerné, que ce soit en matière économique ou sociale, aux salariés qui n’ont pu en bénéficier par le seul jeu de la négociation collective. Ces

280 J. BARTHELEMY, « Réflexion prospective sur l’extension des accords de protection sociale », Dr. soc.,

2010, p. 182

281 Ph. LAIGRE, « Accord collectif. Prévoyance. Compétence du Ministre chargé de la Sécurité sociale et du

Budget », Dr. soc., 1996, p. 986. L’auteur soulevant que « plus fondamentalement, cet arrêt conduit à s’interroger sur la pertinence du partage de pouvoirs instauré par l’ordonnance du 4 février 1959. Dans la mesure où une couverture sociale complémentaire peut être mise en place aussi bien par la voie d’un accord collectif dont c’est l’objet exclusif que par la voie d’une convention collective traitant de biens d’autres sujets, cette distinction est, dans les faits, purement artificielle ».

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dispositions étant, par définition, mieux adaptées à l’entreprise que la loi générale et abstraite. Néanmoins, cet arrêté d’extension, qui créé des obligations pour l’employeur et ses salariés, s’expose à un risque de contestation devant la juridiction administrative.

170. Contestation de l’extension.- L’arrêté est proche, dans ses effets, d’une disposition

législative. Sa valeur supra-conventionnelle empêche l’employeur et les salariés d’en disposer. Néanmoins, il n’est pas pour autant pourvu d’une immunité. Il résulte des lois des 7 et 14 octobre 1790 et de l’article 9 de la loi du 24 mai 1872 que les décisions administratives, de toute nature, sont susceptibles d’annulation par la voie du recours pour excès de pouvoirs. Encore faut-il que l’acte administratif attaqué, l’arrêté ministériel, fasse grief283. Il est également possible, selon le Conseil d’Etat, qu’une organisation professionnelle conteste la légalité d’un arrêté ministériel pris en application de l’article L. 2261-24 du Code du travail si ce dernier a vocation à s’appliquer aux professions représentées par l’organisation284.

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