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L’expression des goûts musicaux et de genre de spectacle La diversité des pratiques, de même que celle des motivations pour aller au concert ou

Dans le document Les publics du spectacle vivant en Lozère (Page 54-60)

au spectacle, ne nous dit rien sur celle des goûts des publics. Pour véritablement approfondir cette question, nous avons décomposé les questions de goût en deux grandes parties. La première traite des goûts musicaux. Nous aurons l’occasion de l’apprécier de façon comparative, puisque c’est une même méthode que nous avions employée dans d’autres cas d’étude, comme les publics des festivals ou ceux des Eurockéennes de Belfort, par exemple. Pour chacune, nous avons procédé au classement par note sur 20 dont nous sommes désormais familiers.

Les goûts musicaux

De façon très intéressante, cette palette de goût comporte des convergences, mais aussi des différences avec celle que nous avons mise en évidence au cours de nos enquêtes précédentes. On les trouve à la fois dans l’extension de la palette et dans la hiérarchie qui lui est liée. On constate d’abord une grande diversité de goûts qui, sans atteindre des sommets, témoignent d’une appréciation positive par une grande partie des publics. Cette « moyennisation » est d’abord un effet d’échantillon. Tableau 40. Les goûts musicaux Genre musical Note/20 Le rock 14,8 Le jazz, le blues, les musiques improvisées 13,9 Les musiques du monde 13,8 La chanson, les variétés 12,5 La musique classique 12,2 La musique contemporaine 11,5 Les musiques traditionnelles 10,8 Les musiques électroniques 8,9 Le rap, le hip hop 8,4 Dans le public des festivals, nous avions un nombre assez élevé de publics de musique classique, ce qui faisait de cette dernière l’objet d’une appréciation très élevée. Ici, nous avons certes des publics de musique classique, mais en proportion moindre par rapport à d’autres types de spectacles ou d’esthétique. La musique classique y est donc appréciée moyennement, c’est-à-dire plus que pour un public spécialisé dans l’esthétique rock, mais moins que pour un public de festival classique ou de danse. Dans le sens inverse, le rock, qui figurait comme un goût assez secondaire dans les palettes des festivaliers « classiques », est ici bien plus valorisé. On peut même parler, à son égard, d’une sorte de « patrimonialisation », à l’image de ce qui s’est produit il y a quelques années pour une partie du jazz, qui figure ici à un niveau d’ailleurs très proche du premier. Patrimonialisation, cela décrit en effet le phénomène de diffusion de cette esthétique depuis un groupe assez sélectif en termes générationnel, social ou géographique vers une part majoritaire du corps social. Cela témoigne aussi du fait que la bonne appréciation du rock n’est pas tant liée à la présence d’un groupe de fans qu’au relatif consensus qui l’entoure aujourd’hui. Peu de spectateurs rejettent le rock, et sans

doute est-ce en partie lié au fait que la notion de « rock », jadis circonscrite, renvoie désormais à une très large palette de goûts précis qui, au sein même de cette « famille », peuvent être très opposés. Il en est ainsi de l’Indie-rock opposé au Rock-and-roll, ou au Hard-rock, au Métal, etc. La diversité interne du genre rend possible l’adhésion du plus grand nombre au « générique ». À un moindre niveau, ce constat peut également être fait pour les musiques du monde : peu de rejet, bonne appréciation moyenne auprès de chacun des publics. Si l’on descend encore d’un cran, on trouve la chanson qui, ne divisant qu’à peine davantage, fait converger un goût certain, sans pour autant susciter la passion chez beaucoup.

Tableau 41. Les goûts musicaux des publics des festivals et ceux d’ADDA (notes sur 20)

Goût Festival Classique Festival M.Actuelles Festival Danse Eurockéennes ADDA

Lyrique 14,5 8,6 10,7 - - Sacrée 14,8 8,1 9,8 - - Médiévale 11,5 7,4 8,0 - - Baroque 15,2 8,4 10,4 - - Classique 18,0 13,1 15,0 6,8 12,2 Contemporaine 9,8 10,6 11,5 - 11,5 Jazz 13,2 16,0 15,1 11,1 13,9 Actuelles 7,6 14,0 13,2 - - Rock - 18,1 14,8 Rap, hip-hop - - - 8,8 8,4 L’électro - - - 12,7 8,9 Monde 12,4 15,0 14,5 10,6 13,8 Chanson 11,2 13,2 12,8 12,2 12,5 Traditionnelle - - - - 10,7

Nota : nous n’avons pas pu présenter les résultats de notation sur chaque ligne pour tous les festivals, car les

esthétiques n’étaient pas proposées dans certains cas (ex. le rock en tant que tel pour les publics des festivals) ou alors étaient formulées de façon trop distinctes pour autoriser une comparaison. Source : Les publics des festivals, Paris : Michel de Maule 2010

Deux genres musicaux suscitent plus de réserves, dans notre public d’ADDA comme dans celui d’autres enquêtes : ce sont d’une part la musique contemporaine, et d’autre part les musiques traditionnelles. D’une part, on voit croître le nombre de ceux qui n’aiment pas du tout au-delà de 10% des enquêtés, et on voit s’amenuiser le nombre de fans, ceux qui aiment beaucoup. Cette appréciation est également diverse selon les publics d’ADDA eux-mêmes, comme nous le verrons ensuite. Comme une évidence, les publics rencontrés lors de concerts de musique contemporaine tendent à aimer assez ou beaucoup cette musique6

C’est avec ce dernier genre musical que s’établit la frontière entre les musiques qui rassemblent et celles qui divisent. Avec le rap et les musiques électroniques, on commence à voir un nombre significatif de personnes déclarant ne pas aimer du tout

6 Mais on notera que les spectateurs de musique contemporaine expriment leur goût pour celle- ci de façon modérée. Moins de la moitié aiment « beaucoup », contrairement aux spectateurs du classique pour le classique, ou du rock pour les spectateurs de musiques actuelles…

(plus de 25%), et un faible nombre de fans (moins de 17%). Du même coup, si la tolérance est majoritaire (respectivement 57% et 58% de l’échantillon déclarent apprécier un peu ou assez les musiques électroniques et le rap ou hip-hop), le goût pour ces musiques divise plus nettement les publics entre eux.

Si l’on se penche maintenant sur les différences internes aux divers publics d’ADDA, on notera d’abord qu’il n’y a pas relation symétrique entre musique classique et musiques actuelles, au sens où le rejet par l’une de l’autre serait mutuel. Prenons le rock et le classique comme base. Les spectateurs ADDA du classique aiment le classique : ils en sont fans à 62%, et 10% d’entre eux rejettent le rock. Les spectateurs ADDA des musiques actuelles aiment le rock : ils en sont fans à 68%, mais eux rejettent la musique classique à 19,3%, soit près de deux fois plus. Sur ce plan, les spectateurs des musiques actuelles ont une palette de goût moins ouverte à la diversité d’expression que ceux de la musique classique.

Quant aux spectateurs du théâtre et de la danse, ils ont pour les musiques des préférences plus marquées du côté des répertoires patrimoniaux ou savants : musiques classique, traditionnelle et contemporaine, jazz, rock, musiques du monde et chanson : sur tous ces plans, l’appréciation cumulée assez + beaucoup dépasse les deux tiers du public. Finalement, il existe une nuance entre les deux genres relativement écartés que sont les musiques électroniques et le rap associé au hip-hop. La première bénéficie quand même d’une bonne appréciation (« assez + beaucoup » supérieur à 50%) auprès de deux catégories de publics : ceux des musiques actuelles et contemporaines. Quant au rap et au hip-hop, il n’atteint jamais ce niveau, preuve de sa relative marginalité, en dépit d’une tolérance du grand nombre à son égard. Les goûts musicaux des nouveaux spectateurs diffèrent légèrement des anciens. On les trouve moins adeptes de musique classique, de chanson. Ils sont plus amateurs de rock, d’électro, de jazz ou de musiques du monde. Pour les autres genres, notamment pour le rap, il n’y a pas de spécificité du goût des nouveaux, et en général il s’agit plus de nuances que de rupture entre préférences. On constate enfin que l’univers de préférence des spectateurs des lieux partenaires tend à être plus classique : les musiques classique, du monde, traditionnelles y sont mieux valorisées en moyenne, et le rap, l’électro ou le rock moins appréciés. Mais là encore, il s’agit essentiellement de nuances et non d’une véritable hétérogénéité des appréciations gustatives. Analysons maintenant les palettes de goût en matière de spectacle vivant.

Les goûts en matière de spectacle vivant Tableau 42. Le goût pour les genres de spectacles vivant Goût pour … Note / 20 Les spectacles qui mélangent un peu tout 14,0 Le théâtre contemporain 13,7 La danse contemporaine 12,6 Les danses du monde 12,6 Les one man show 12,5 Le cirque, le mime, le jonglage 12,3 Le théâtre de boulevard, le vaudeville 12,0 Le théâtre classique 11,8 L’Opéra 10,2 Les danses traditionnelles 10,1 La danse classique 9,8 Le premier commentaire qui s’impose est la cohérence de ces résultats par rapport à ce qui précède. En effet, on aura déduit de phénomènes tels que la patrimonialisation du rock ou du jazz, une relative ouverture à l’égard de registres qui auraient pu sembler clivants pour des publics de la culture et, par voie de conséquence, une orientation plutôt « moderne » des goûts musicaux. Nous pouvons voir ici une confirmation de cette orientation en matière de spectacle. De façon assez systématique, les genres les plus contemporains se situent à un très bon niveau d’appréciation, qu’il s’agisse de la danse ou du théâtre, des nouvelles formes de type « one man show » ou des formules qui mêlent un peu tout, dont l’esprit pluridisciplinaire, s’il n’est pas né hier, s’est fortement diffusé ces dernières années.

En revanche, les genres qui se réfèrent aux esthétiques les plus classiques ou traditionnelles sont moins appréciés, à l’instar du théâtre ou de la danse classique, de l’opéra ou des danses traditionnelles. On note cependant que ces genres font l’objet d’une tolérance plus grande encore que pour les goûts musicaux. Même la danse classique, qui est la moins appréciée, ne fait l’objet que de peu de rejets. Il se trouve tout de même 64% des spectateurs à l’apprécier un peu ou assez, et 19% à l’aimer beaucoup. Ici, il est intéressant de spécialiser le regard vers les goûts « sectoriels » : qu’apprécie le public du théâtre ? Qu’apprécient ceux de la danse et du cirque ?

Le public du théâtre apprécie naturellement le théâtre sous toutes ses formes. Cependant, il n’est pas toujours le plus amateur des formes théâtrales. Ainsi, le théâtre classique, comme le théâtre de boulevard, sont plus appréciés par les publics de la musique classique que par ceux du théâtre. De même, le théâtre contemporain est plus apprécié par les publics de la musique contemporaine. Quant au cirque, il est plus apprécié par les spectateurs rencontrés lors de spectacles de théâtre ou de danse, que de cirque lui-même. Quant aux spectacles qui mélangent un peu tout, si tous les apprécient, ils font l’objet d’un véritable plébiscite auprès des amateurs de danse.

Le public de la danse est partagé à propos des formes de danse proposée. Si l’on ne prend que la part de ceux qui aiment « assez » et « beaucoup », elle est de 64% pour la

57% pour les danses traditionnelles. On retrouve donc, dans ce public de la danse, l’orientation assez contemporaine des goûts, ainsi qu’on l’a constaté pour le théâtre. Ainsi, plutôt que des goûts s’exprimant selon des « secteurs » spécialisés et relativement étanches, qui voudraient que les publics du théâtre aiment tout le théâtre et l’aiment toujours plus que les publics d’autres types de spectacles, les goûts qui s’expriment sont orientés par un schéma plus ou moins ouvert au contemporain ou aux registres classiques, valable pour tout spectacle. Nous verrons plus loin ce qui conditionne l’appartenance à l’une ou l’autre de ces grandes « catégories gustatives ». Mais précisons d’emblée que les nouveaux publics, qu’il s’agisse de ceux d’ADDA ou des lieux partenaires, goûtent les registres contemporains de façon à peu près équivalente à celle des anciens, mais qu’ils se distinguent d’eux par une moindre appréciation des genres suivants : opéra, boulevard, théâtre classique. Cela confirme plusieurs résultats qui, tous, vont dans le sens d’une orientation gustative plus actuelle chez les nouveaux publics. Enfin, il faut faire ressortir une dernière dimension qui est celle de la difficulté à exprimer ces goûts. Les entretiens montrent clairement que les répertoires de goûts tels qu’ils sont présentés ci-dessus, s’ils servent de repère aux spectateurs, ne sont pas forcément mobilisés pour l’expression des goûts ordinaires. Les registres de l’émotion, du plaisir, de la réflexion ou encore du rapport aux autres sont souvent requis pour décliner ses préférences à l’intérieur de grands ensembles que sont la musique, le théâtre et la danse.

« Moi, j’aime la danse et les concerts… mais au sens large pas le classique, plutôt la pop, le rock et l’électro… Pour les spectacles, j’ai une bonne copine qui me donne des conseils, de toute façon, on y va ensemble » (Elodie, 23 ans, professeur des écoles)

« La musique, c’est le retour aux sources, c’est ça qui me plait… Sinon, je m’éclate dans le jeune public… Pour moi, c’est l’émotion qui prime, faut qu’il y ait un mélange de choses, de la musique, des objets, de la vidéo » (Isabelle, 32 ans, animatrice)

« J’aime le théâtre, le vrai ! Je veux un point de vue sur les choses… J’aime aussi la danse, c’est plus original… Avec mes amis, on a des goûts assez proches, c’est pour ça qu’on sort ensemble » (Frédérique, 31 ans, enseignante)

« Moi, je vais tout voir, j’aime tout… Je me laisse faire. Ce que j’aime c’est sortir, pour moi c’est vital ! J’aime la danse, le spectacle vivant, les concerts. Ouais, les concerts de rock, de jazz, de musique du monde, le classique aussi… Mes amis me parlent d’un truc, j’y vais, si je peux bien sur, mais je choisis pas c’est comme ça ! Ce que j’aime c’est la nouveauté, découvrir des trucs » (Jacqueline, 46 ans, agricultrice)

Souvent évoqué, le registre de la surprise laisse apparaître la forte malléabilité des préférences esthétiques des spectateurs qui laissent davantage les registres émotifs prendre le dessous pour exprimer leurs goûts. On se rappelle ici l’idée qu’une des motivations principales de la sortie au spectacle, c’est avant tout… prendre du plaisir. Qu’importe le flacon… Pas si sûr en réalité. Car à côté des émotions souvent pointées, la dimension réflexive du message artistique reste présente. Au-delà des genres de spectacle dont on a montré l’importance, la sortie s’inscrit ici dans une double

dimension réflexive et émotive qui fait la singularité de l’expérience esthétique produite par le spectacle vivant, et qui se traduit aussi à travers l’expression des goûts.

« Il faut que ce soit nouveau, que ça me surprenne… Voilà ! La surprise, c’est ça que j’aime !... J’aime bien quand c’est drôle aussi… La vie est assez difficile comme ça. Rire un bon coup, ça fait du bien ! » (Patrick, 60 ans, enseignant) « Là vous me posez une colle, mes goûts, c’est pas facile à dire, j’aime tellement de truc… Découvrir, c’est important… mais faut aussi que ça me fasse un peu réfléchir aussi. Le spectacle vivant, c’est pas comme la télé… Y a de l’humain en jeu ! D’ailleurs ce qui compte, c’est le partage, l’échange avec les amis, les proches… Aller au théâtre, c’est partager, voilà, c’est ça que j’aime finalement, peu importe que ça soit de la musique, du théâtre ou de la danse… » (Michel, 58 ans, employé)

« Moi, j’aime la danse et la chanson… L’essentiel, c’est que l’artiste nous donne sa vérité dans le spectacle, qu’il nous touche et nous fasse réfléchir… Ils font pas un métier facile hein ? Non, le message, quelque chose à transmettre, une expression, une émotion, voilà ce que je cherche, ça peut être très simple parfois, mais faut qu’il y ait une vérité, une authenticité… sinon, les trucs convenus, ça me gonfle ! » (Françoise, 55 ans, enseignante)

« Je dirais que je préfère le théâtre… parce que c’est plus facile d’accès. Avec le texte, les dialogues, on rentre plus facilement dedans… Je crois que c’est la dimension textuelle qui me plait… Je suis sensible au joyeux aussi… le côté positif, ça manque un peu dans les spectacles en ce moment je trouve... Sinon, y a des choses ou on rentre plus moins dedans, je pense à la danse par exemple. Des fois, ça parait complètement loufoque mais on fini par y trouver ça place. Il faut juste accepter d’être surpris… mais des fois, c’est complètement à côté… » (Philippe, 26 ans, chef de projet)

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