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Ainsi, « l’expression réseau de villes désigne la politique mise en place par la datar pour soutenir des expériences favorisant l’alliance à distance entre les maires, dans un objectif

de développement global et partagé au sein d’un territoire élargi » (Tesson in Paquot et

al., 2000, p. 256). En effet, une phase de réflexion à la fin des années 1980 a constaté que

l’abondance de villes moyennes dans l’armature urbaine française, longtemps perçue comme

un handicap, pouvait se transformer en avantage, sous réserve notamment de mutualiser les

services les plus rares. Parallèlement, l’observation des premières expériences de coopération

inter-urbaine conduites en France3, invite la datar à instituer les réseaux de villes en 1991

sous la forme d’un label.

Plus récemment, le sdec (Schéma de Développement de l’Espace Communautaire4) de

1999 recommandait un « développement spatial polycentrique », c’est-à-dire l’intégration

internationale des métropoles et de leurs régions périphériques aux autres métropoles

euro-péennes appuyée sur des réseaux de villes, city network dans la version anglaise du document

(Santamaria, 2009). Il s’agit d’un basculement important de l’idée que l’on se faisait du

concept de réseau urbain. Désormais, il ne s’agit plus uniquement d’un ensemble de

circula-tions de biens et de personnes, mais aussi d’un assemblage de relacircula-tions sociales, politiques

et entrepreneuriales inscrites dans la temporalité (donc difficilement observables et qu’une

modélisation aménagiste ne peut facilement investir) et incarnées notamment par les acteurs

socio-économiques et les élus locaux.

La problématique des réseaux de villes s’inscrit alors dans un angle plus large que ce

qui a été tenté jusqu’alors. Il s’agit de la mise en gouvernance multiple et « partenariale »

des villes. L’objectif de ces réseaux est double : ils constituent des instruments

d’aménage-3. Nous citerons par exemple Aire 198, association qui a vu le jour en 1989 et qui regroupe les villes

d’Angoulême, de La Rochelle, de Niort et de Poitiers, dont les intercommunalités comprenaient en 2012 entre

106 000 et 163 000 habitants (insee).

ment du territoire mais aussi des moyens pour les villes, notamment les villes intermédiaires,

de peser davantage dans le débat national et européen. Pour l’Espace Métropolitain

Loire-Bretagne (Nantes, Saint-Nazaire, Angers, Rennes et Brest), il s’agit de se positionner dans

une Europe des villes afin de ne pas demeurer comme un espace de marge, tandis que pour

le G10 (Châlons-en-Champagne, Charleville-Mézières, Château-Thierry, Épernay, Laon,

Se-dan, Soissons, Reims, Rethel, Vitry-le-François), l’ambition est d’améliorer la lisibilité d’un

espace qui reste polarisé par Paris. Le franchissement d’un seuil démographique, s’il demeure

peu pertinent dans l’analyse géographique, est un objectif important pour ces structures,

notamment pour attirer des fonctions et équipements métropolitains. Ces leviers varient peu

en fonction de l’échelle, seulement ils s’adaptent aux spécificités locales.

La richesse sémantique de la métaphore du réseau en géographie lui a valu son succès,

mais aussi l’ambiguïté et la banalisation du terme. Le réseau urbain, le réseau de villes

dé-signent tour à tour des théories géographiques, des méthodes d’aménagement du territoire,

des initiatives de coopération ou des modes de gouvernance. Comme le concept de

métro-pole, lui aussi métaphore scientifique récupérée et transformée par le discours politique, le

concept de réseau illustre la difficulté du passage de la connaissance à l’action, du savant au

politique. Au-delà du discours, il semble que le réseau s’impose progressivement comme un

nouvel archétype organisationnel et systémique du territoire. Longtemps, réseau et territoire

ont été deux notions opposées, la première étant considérée comme un simple élément de la

seconde, mais pas comme un espace en soi. Or, même lorsque l’on se penche sur la

probléma-tique des réseaux de villes, on observe que le territoire constitue souvent, voire exclusivement,

leur liant. Les réseaux de villes ont fort à faire, pour se créer, évoluer, se faire reconnaître,

s’afficher et encore montrer les solidarités et les projets qui parfois les animent. Ils viennent

à contre-pied d’une culture politique française qualifiée de jacobine et donnant aux

collecti-vités territoriales, principaux territoires politico-administratifs, une influence et un pouvoir

colossaux. Ils s’imposent comme des contre-pouvoirs puissants, notamment face aux régions.

3.2 Territoire et métropolisation

«Je suggère de poser que le territoire est à l’espace ce que la conscience de classe,

ou plus exactement la classe sociale conscientisée, est à la classe sociale

potentielle : une forme objectivée et consciente de l’espace. »

Roger Brunet, Mondes nouveaux, 1990.

La métropolisation a bouleversé les territoires. La complexité du concept rend difficile

l’exercice de sa définition, ce qui tient surtout dans son instabilité paradigmatique. Son rôle

emblématique dans les sciences sociales nous invite toutefois à s’efforcer d’en chercher une

définition qui fasse consensus. Dans le premier temps de cette partie, nous tenterons d’en

définir les contours. Puis nous verrons comment réseau et territoire ont été théoriquement

opposés.

3.2.1 Le territoire : une définition délicate et polysémique

3.2.1.1 Une immixtion récente dans la discipline géographique

Le territoire est une notion polémique. Chez les géographes, sa définition et ses usages sont

multiples et complexes. Pourtant, le concept tient un rôle emblématique dans la géographie

francophone. De même, le territoire est mobilisé dans de nombreuses sphères, notamment

juridique. C’est le cas dans la Constitution française, où la commune, le département, la

région sont dénommées « collectivités territoriales » (art. 72 de la Constitution du 4 octobre

1958). Plus récemment, la « réforme territoriale », loi promulguée le 7 août 2015 (loi portant

sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République), confiait de nouvelles compétences

aux régions et redéfinissait celles attribuées à chaque collectivité territoriale. Les dictionnaires

de géographie de RogerBrunet(et al., 1993) et de JacquesLévyet MichelLussault(2003)

en proposent même plusieurs définitions, ce qui illustre la polysémie du terme. Nous tenterons

toutefois d’apporter un éclairage à cette notion qui demeure essentielle à la compréhension

des processus spatiaux à l’œuvre.

Pour Pierre Merlin, l’expression « territoire » est contemporaine de l’après Seconde

(Lévy et Lussault, 2013, p. 995) ainsi que BernardElissalde (2002), la notion de territoire

est d’un usage relativement récent chez les géographes, surgissant au milieu des années 1980

dans les revues de la discipline.

Apparue dès le XIIesiècle dans la langue française par emprunt au latin classique

terri-torium qui définit une « étendue sur laquelle vit un groupe humain » (Rey, 2006, p. 3804), la

notion a été investie par la géographie universitaire dans les années 1980, avant de connaître

un profond élargissement sémantique (Hypergéo, « Historique du territoire », 20055). Le mot

est d’un usage toutefois rare jusqu’au siècle des Lumières, avant de prendre une dimension

juridique et politique pour désigner « une étendue de terrain sur laquelle est établie une

collectivité, spécialement qui relève d’une juridiction » (Rey, loc. cit.).

3.2.1.2 Appartenance et appropriation

Pour circonscrire ce concept, nous commencerons par définir ce que le territoire n’est pas.

Le territoire ne doit pas se confondre avec la notion d’« espace ». Il n’en est ni un

syno-nyme, ni un ersatz. En effet, ce qui différencie l’espace, support neutre, abstrait et isotrope

(Hypergéo, op. cit.), du territoire, ce sont les nombreuses dimensions (sociale, économique,

institutionnelle, identitaire) qui donnent de la singularité à cet assemblage complexe.

Un espace vécu ne fait pas forcément un territoire, il faut également qu’il ait une existence

juridique institutionnalisée. En effet, chaque espace social relève d’une appropriation, certes

plus ou moins forte. Par ce caractère ubiquiste, limiter la définition de territoire à cela

mènerait finalement à la confusion entre territoire et espace. Mais un espace juridiquement

reconnu et borné ne suffit pas à faire un territoire, car il faut un sentiment d’identité collective

voire le sentiment d’un destin partagé, d’une connivence avec les lieux. Ainsi, le territoire a

une double nature, matérielle et symbolique (Debarbieux,in Lévy et Lussault, 2013, p. 999).

On parle alors de territorialité, c’est-à-dire de l’« existence d’une dimension territoriale

dans une réalité sociale » (Di Méo, in Lévy et Lussault, 2013, p. 1007). Edward Soja va

plus loin en présentant la territorialité comme un processus comportemental humain visant

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