1. INTRODUCTION
1.2. Sclérose latérale amyotrophique et maladie du motoneurone
1.2.3.2. Expositions aux pesticides
En 1983, Bharucha et al. publient la première étude rapportant une mortalité accrue de MMN
en zone rurale aux Etats-Unis (133). Par la suite, treize études cas-témoins (125, 126, 128,
134-143) et trois études de cohorte (144-146) ont porté sur la relation entre l’exposition
professionnelle aux pesticides et la MMN.
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Parmi les études cas-témoins, 6 ont été réalisées en Europe (125, 126, 134, 135, 138,
143), 4 aux États-Unis (128, 137, 139, 140), 2 en Australie (141, 142) et 1 en Inde (136). Les
résultats de ses études sont hétérogènes, sept études rapportant une association statistiquement
significative entre l’exposition aux pesticides et la MMN (125, 134, 136, 139-142) alors que
six études ne rapportent pas de différence significative (126, 128, 135, 137, 138, 143).
L’exposition était généralement évaluée de manière sommaire (questionnaires auto-rapportés)
et le rôle de familles ou substances actives spécifiques n’a pas été étudié.
Dans une seule étude cas-témoins conduite en Californie en population générale (174
cas, 348 témoins) (140), les données d’exposition collectées par questionnaire ont été validées
par des hygiénistes industriels qui ont estimé des probabilités d’exposition à 28 agents
chimiques dont les pesticides. Après cette expertise, une association a été mise en évidence
entre l’exposition aux pesticides et la MMN chez les hommes (OR = 2,4, IC 95% [1,2-4,8]),
avec une relation dose-effet. En revanche, il n’y avait pas d’association chez les femmes
(OR = 0,8, IC 95% [0,3-2,4]). Chez les hommes, l’association était similaire pour les
insecticides et herbicides alors que le faible nombre d’exposés n’a pas permis d’étudier les
fongicides (140).
Une étude cas témoins récente (156 cas et 218 témoins, Michigan, Etats-Unis
d’Amérique) a retrouvé des niveaux sanguins élevés de deux pesticides chez les personnes
atteintes de MMN par rapport à des témoins (pentachlorobenzène: OR = 2,21, IC 95%
[1,06-4,60], p = 0,04 ; cis-chlordane: OR = 5,74, IC 95% [1,80-18,20], p = 0,005) (147).
Compte tenu du caractère rare de la pathologie, seulement trois études de cohorte,
réalisées aux Etats-Unis, ont étudié la relation entre la MMN et les pesticides (144-146). La
première est une cohorte historique composée d’hommes ayant travaillé entre 1945 et 1994
dans une usine de production d’acide 2,4-dichlorophenoxyacetique (herbicide 2,4-D) (144).
L’objectif principal de cette étude était d’évaluer la relation entre l’exposition au 2,4-D et la
mortalité par lymphomes non-hodgkinien, mais les auteurs ont également identifié la
survenue d’autres pathologies dont la MMN. L’évaluation de l’exposition reposait sur une
matrice emploi-exposition. Parmi 1 517 employés, 330 sont décédés dont 3 par MMN. Les
employés exposés au 2,4-D avaient un risque augmenté de mortalité par MMN (RR = 3,45,
IC 95% [1,10-11,11]) (144).
La deuxième étude de cohorte a été réalisée à partir des données del’American Cancer
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à 11 catégories de produits chimiques, dont les pesticides. Parmi 987 229 participants, 1 156
décès liés à la MMN ont été identifiés entre 1989 et 2004. Dans l’ensemble, il n’existait pas
d’association entre la MMN et l’exposition aux pesticides (RR = 1,07, IC 95% [0,79-1,43]).
Toutefois, par rapport aux personnes non exposées, les personnes exposées entre 4 et 10 ans
avaient un risque relatif de 1,92 (IC 95% [0,71-5,19]) et celles exposées plus de 10 ans de
1,48 (IC 95% [0,82-2,67]) (146).
La troisième étude de cohorte a été réalisée à partir des données de l’Agricultural
Health Study (AHS) (145). Les participants ont renseigné des informations sur l’usage de 50
pesticides spécifiques. Les données de mortalité des participants (inclus entre 1993 et 1997)
étaient disponibles jusqu’en février 2010. Parmi les 84 739 participants, 41 cas de MMN ont
été identifiés à partir des certificats de décès. Il n’y avait pas d’association entre la MMN et
l’exposition aux pesticides (OR = 1,1, IC 95% [0,4-3,0]). Cette étude est la seule à avoir
évalué le rôle de produits spécifiques et de familles de produits ; la fréquence de l’exposition
à 29 produits auxquels au moins 5 cas avaient été exposés a été comparée chez les cas et les
autres participants. Il existait une augmentation non statistiquement significative du risque de
MMN chez les personnes exposées aux herbicides (OR = 1,6, IC 95% [0,7-3,7]), les
insecticides (OR = 1,3, IC 95% [0,6-2,9]), et les fumigants (OR = 1,8, IC 95% [0,8-3,9]))
alors qu’il n’existait pas d’association avec les fongicides (OR = 1,0, IC 95% [0,4-2,2]).
Aucun résultat significatif n’était retrouvé pour les différents types d’insecticides
(organochlorés, organophosphorés, carbamates) (145).
Une méta-analyse récente, considérant l’ensemble des études parues jusqu’en
septembre 2013, repose sur un total de 15 études, incluant les 3 études de cohortes et 12
études cas-témoins. Cette méta-analyse rapporte un risque de MMN augmenté chez les
personnes ayant été exposées aux pesticides (OR = 1,44, IC 95% [1,22-1,70]) (123). Il n’y
avait pas d’hétérogénéité en fonction du design de l’étude, du sexe, du pays, de la définition
des cas et des méthodes d’évaluation de l’exposition. A noter que dans une étude le métier
d’agriculteur a été utilisé comme proxy de l’exposition professionnelle aux pesticides (129).
Une étude cas-témoins de 2006 rapportant une association entre l’exposition aux pesticides et
herbicides et la MMN (OR = 1,57 CI 95% [1,03-2,41]) (141) et une étude de 2014 rapportant
également une association positive entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la
MMN (OR = 6,50 CI 95% [1,78-23,77]) (139) n’ont pas été incluses dans la méta-analyse.
Toutefois, il existe des arguments en faveur d’un biais de publication et ses conclusions
doivent donc être interprétées avec prudence (148).
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L’ensemble des études décrites portent soit sur l’exposition professionnelle aux
pesticides soit sur une exposition indifférenciée et aucune étude n’a porté sur la relation entre
l’exposition environnementale aux pesticides et la MMN.
A notre connaissance, aucune étude toxicologique n’a porté spécifiquement sur l’effet
des pesticides sur les neurones moteurs atteints dans la MMN ; il n’y a pas non plus de
modèle animal de MMN induit pas les pesticides. En revanche, on sait que les pesticides
peuvent induire un stress oxydant qui a été impliqué dans l’étiologie de la MMN (149).
1.2.3.3. Tabac
Une méta-analyse portant sur 15 études cas-témoins et 5 études de cohortes ne retrouve pas
d’association dans l’ensemble entre le tabagisme et la MMN (OR = 1,12, IC 95% [0,98-1,27])
(150). A noter qu’une partie de la variabilité entre les études était expliquée par la proportion
de femmes avec une augmentation de l’OR en fonction de la proportion de femmes, mais il
n’y avait pas eu d’analyses stratifiées sur le sexe.
Une autre méta-analyse plus récente ne retrouvait pas non plus d’arguments pour une
association avec un OR global de 0,97 (IC 95% [0,88-1,08]) estimé à partir de 20 études
cas-témoin. Toutefois, l’analyse combinée des femmes de 3 études de cohorte retrouvait un RR de
1.34 (IC 95% [1,17-1,55] ; I² = 12%) pouvant suggérer une association chez les femmes ; il
n’y a pas d’explication quant à une éventuelle différence d’association en fonction du sexe.
De plus, d’autres études n’ont pas retrouvé d’association entre l’incidence de la SLA et
l’incidence du cancer du poumon, ce qui n’est pas en faveur d’une forte association (151).
1.2.3.4. Autres facteurs environnementaux
Belbasis et al. ont conduit une revue systématique des méta-analyses (« umbrella review »)
ayant examiné la relation entre des expositions ou des biomarqueurs et la MMN. Au total, 12
articles publiés entre 2005 et 2015, correspondant à 16 méta-analyses de 138 études, ont été
retenus. La médiane était de 8 études (IQR 5-9) et de 1 779 (IQR 937-2911) cas par
méta-analyse. Lorsque plusieurs méta-analyses étaient disponibles pour une même question, la
méta-analyse ayant inclus le plus grand nombre d’études a été sélectionnée (148).
Les résultats de ce travail sont résumés dans le Tableau 2. Les facteurs ayant une
relation statistiquement significative avec la MMN ont été classés en 3 classes. Le niveau de
preuve est jugé convainquant, lorsque le nombre de cas inclus > 1 000, l’effet estimé très
significatif (p < 0,001), pas d’arguments en faveur d’un biais de publication et peu
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d’hétérogénéité entre les études (I
2< 50%). Le niveau de preuve est classé comme étant
suspecté, s’il n’y avait pas d’arguments en faveur d’un biais de publication et peu
d’hétérogénéité entre les études (I² < 50%). Le reste des associations significatives étaient
classées comme faibles. Pour l’exposition aux pesticides et le métier d’agriculteur, le niveau
de preuve était jugé faible.
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Tableau 2: Classement des expositions environnementales associées à la MMN suivant
les niveaux de preuve sur la base d’une revue systématique des méta-analyses
Premier-auteur* Année* N* Exposition OR (IC 95%)* NP*
Variables agricoles
Kang 2014 15 Pesticides 1,44 (1,22-1,70) Faible
Kang 2014 10 Métier d’agriculteur 1,42 (1,17-1,73) Faible
Associations positives
Zhou 2012 17 CMTBF 1,29 (1,03-1,62) Faible
Wang 2014 9 Plomb 1,89 (1,39-2,35) Convainquant
Chen 2007 8 Traumatismes crâniens 1,65 (1,09-2,50) Suggéré
Wang 2014 4 Autres métaux lourds 2,13 (1,33-3,41) Suggéré
Associations inverses
Fitzgerald 2013 9 -carotène 0,92 (0,87-0,97) Suggéré
Fitzgerald 2014 8 Acides gras 0,66 (0,53-0,82) Faible
Abraham 2014 3 Taux sérique d’acide urique 0,31 (0,18-0,52) Faible
*
Pour chaque méta-analyse, le tableau ci-dessus résumé le premier auteur, l’année de
publication, le nombre d’études (N),l’odds ratio (OR) et intervalle de confiance à 95% (OR,
IC 95%), le niveau de preuve (NP).
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