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Slow Dance, l’exposition de Karen Jordon à la galerie Karsh-Masson Karen Jordon est une artiste originaire d’Ottawa Elle y a reçu un diplôme en

Beaux-Arts à l’Université d’Ottawa en 1992 et est devenue cette même année membre du groupe des Enriched Bread Artists, qui se définit en ces termes :

« EBA (Enriched Bread Artists) est un groupe composé de divers artistes de la région d’Ottawa. Son nom vient du fait que cette coopérative d’ateliers est localisée dans une ancienne boulangerie industrielle. Les ateliers d’EBA ont été créés en 1992 grâce à des diplômés de l’Université d’Ottawa. Au cours de ces années, les artistes d’EBA ont changé mais le ferment artistique ainsi que les expérimentations continuent. A présent, EBA est la plus grande coopérative d’ateliers de la région d’Ottawa et l’une des rares parmi celles du Canada. Chaque octobre, les artistes d’EBA ouvrent leurs ateliers pour la communauté régionale. »51

Sa démarche artistique est basée sur un processus de collection et de manipulation d’objets de la vie de tous les jours, jetés par leurs propriétaires ou rendus obsolètes par l’évolution de la société. A cheval entre la mélancolie et la parodie cette artiste cherche à interrompre avec ses œuvres l’avancée technologique fulgurante de notre époque pour créer des espaces de contemplation.

Karen Jordon a exposé à la galerie Karsh-Masson du 3 février au 8 avril 2012 une exposition intitulée Slow Dance. Pour mettre en place cette exposition dans la galerie Karsh-Masson, elle a bénéficié de plusieurs jours sur place et de l’aide des deux techniciens employés par le Programme d’Art Public. Les murs de la galerie ont été

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repeints en blanc, et les techniciens ont aussi bien aidé à installer l’éclairage qu’à ériger un mur de boitiers de cassettes audio, une des œuvres de l’exposition. En tant que stagiaire, j’ai également été invitée à lui apporter mon aide durant la semaine d’installation. J’ai donc pu assister en personne à un mode de création qui prend en partie place lors de l’accrochage et de la disposition de ses œuvres.

Dans cette exposition, Karen Jordon a utilisé comme unique matériel des audiocassettes compactes, un objet autrefois très répandu et aujourd’hui rendu obsolète par les CD et le numérique. Elle a collecté une multitude d’audiocassettes, rassemblant les siennes et celles d’amis et de connaissances, faisant les marchés aux puces et les brocantes. Elle a ensuite minutieusement démembrées un grand nombre de ces cassettes et séparés tous les éléments : boitiers, façades en plastiques, minuscules vis, étiquettes, bobines… Rien ne se perd, le moindre élément devient matériau artistique. Karen Jordon sort ces fragments d’objets à l’usage technologique très précis de leur contexte, leur retire leur utilité et les fait passer à travers une transformation créative qui donne naissance à des œuvres poétiques, fragiles et parfois d’aspect étonnamment organique. Avec les intercalaires internes, tenus entre eux par du ruban adhésif transparent en de fragiles et ultralégères compositions, elle a réalisé une série d’œuvres intitulées Acetate qui flottent à un ou deux centimètres du mur ou elles sont accrochées. Les vis sont agglutinées autour de petits aimants fixés aux murs, créant des formes aléatoires que l’artiste imagine sur le moment et prenant le nom de Cling. Le film magnétique est déroulé en des kilomètres de bandes, réduit au silence par cet acte destructeur puis entassé dans la vitrine ou de nouveau enroulé pour donner naissance à de nouvelles formes burlesques qui prennent le nom de

Slug, étranges limaces qui pouraient passer de loin pour du bois et qui se promènent dans

la galerie. Les bobines sont enroulées sur du fil de fer comme des perles en de gigantesques lianes puis manipulées par l’artiste, accrochées au plafond, entortillées, changées de place jusqu’à ce que Mme Jordon se fixe finalement sur une idée. Les boitiers des cassettes servent eux à la construction de petits piliers accueillants des tas de vis dorées ou d’un mur qui coupe la galerie en deux, partant d’un mètre de hauteur puis se dénivelant en une légère et instable courbe. Frôlé de près par la petite foule ayant envahi la galerie lors du vernissage, Arc a manqué par deux fois de s’écrouler.

Hormis les séries Acetate et Slug, le matériel amenée par l’artiste arrive en pièces détachées, les œuvres sont construites au sein même de la galerie et la quasi-totalité de

l’exposition est ainsi démontable. Le processus créatif prend place non plus uniquement dans l’atelier mais également dans la galerie, lors du montage. Dans le cas de Karen Jordon, il peut être dit qu’il démarre lors de la collection des audiocassettes auprès de ses proches ou des brocanteurs. L’omniprésence du matériel audio réduit au silence et éparpillé dans la galerie tranche avec l’absence totale d’ambiance sonore qui l’accompagne. Cette exposition de Karen Jordon a un grand coté ludique et joueur, qui se ressent particulièrement lorsqu’on a put assister et participer à sa mise en place. La construction du mur de boitiers Arc a prit le temps d’une matinée et la concentration conjuguée de quatre personnes. Durant ce temps, la discussion s’est nourrie des noms de groupes et des titres musicaux croisés sur la tranche des boitiers, vidés de leur contenu. En même temps, cette présentation éclatée d’un objet technologique autrefois usuel et aujourd’hui considéré comme inutile pose la question de l’obsolescence de la technologie et du gaspillage massif qu’elle engendre.

Petra Halkes, une artiste d’Ottawa également écrivaine et conservatrice s’est chargée de rédiger le texte inclut dans la brochure accompagnant l’exposition et décrit la pratique de Karen Jordon en ces termes : « Karen Jordon appartient à une tradition éloignée de la modernité –off-modern-, un terme inventé par l’auteur Svetlana Boym pour désigner une réflexion critique dont l’objectif n’est pas de faire renaître le passé ».

Karen Jordon a été accompagnée du début à la fin de la mise en place de son exposition par la ville d’Ottawa à travers le programme d’Art Public. Les deux techniciens employés par le programme ont été mis à sa disposition tant que cela a été nécessaire, ainsi que moi-même en tant que stagiaire. L’artiste a pu aller et venir librement dans la galerie et utiliser l’espace répartit sur deux étages sans contraintes aucunes. Le jour du vernissage, ce sont deux employées du Programme qui se sont chargées de la préparation et de la mise en place de la collation offertes aux visiteurs. L’artiste a tenu à remercier la ville, le Programme d’Art Public et ses employés pour cette occasion d’exposer son travail et pour toute l’assistance technique et humaine qui lui a été apportée, lui permettant de mener à bien ses installations dans une atmosphère laborieuse mais sereine.

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