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4 De l’économique au développement : la satiété à l’œuvre

4.1 Satiété, croissance et relations entre territoires

4.1.1 L'exportation de valeur

Pour banal que cela soit, exporter de la valeur implique d'en disposer. En particulier, si on se focalise sur une valeur-flux, cela renvoie à la capacité de la produire, dans le moment présent ; de l'avoir produite dans le passé, en ce qui concerne les valeurs-stock (Rainelli 1968, p.309). Dans le premier cas, on exportera plutôt de la production, donc des biens et des ser-vices, dans le deuxième on valorisera du capital, c'est-à-dire de l'actif territorial.

Enfin, précisons que par le terme exportation, on indiquera l'ensemble des transactions de vente réalisées avec l'extérieur. Donc, en font partie, à titre d'exemple, l'accueil de touristes « étrangers » ou la vente aux sujets extérieurs d'éléments du patrimoine immobilier.

tons que notre territoire T possède ces capacités de production excédentaires par rapport à

T

D

et que, puisqu’il poursuit un objectif de croissance, il les exploite.

Puisque le marché intérieur de T , par définition163, n'est pas capable d'absorber la pro-duction additionnelle de biens ou services de consommation, les producteurs territoriaux se tournent naturellement vers la demande extérieure laquelle, en analogie avec la notation key-nésienne de la relation (3.3), on indiquera par :

) ( ) ( ) ( E1 E2 S1 P1 S2 P2 E D D D D D D D = + = + + + (4.1)

À partir des hypothèses adoptées, on constate qu’en situation statique D ne constitue E1 pas un réel débouché pour cet excédent de production car DS1 est tout aussi saturée que D T1 et que D n'est pas solvable. P1

Dans ces conditions, et en l'absence d'obstacles aux échanges, les producteurs de T concurrencent ceux de

S

pour la conquête de DS1, et inversement. Si les territoires sont iden-tiques, et en absence de coûts cachés, la production agrégée des deux territoires tendra à satis-faire la demande cumulée, sans que l'on puisse déterminer une situation d'avantage pour l'un ou l'autre de T ou

S

: 0 ) ( ) ( 1 1 2 2 1 2 1 + = + + + ® D =D = = + = ' ' S T S T ' ' S T ' Z Z D D D D D D Z D Z (4.2)

Par conséquent, dans les circonstances décrites on assiste à une progressive intégration des marchés par la demande de consommation, sans que cela n'apporte aucun débouché sup-plémentaire en termes de consommation finale.

Cependant, l’hypothèse d’identité parfaite entre les deux territoires n’est pas réaliste. Donc, admettons que le territoire T ait des atouts, par exemple une réputation de marque164, qui avantage ses producteurs dans cette concurrence. Pour assurer leur survie (tém. 9) les pro-ducteurs de

S

tenteront de se défendre en utilisant tous les moyens à leur disposition. Si on se cantonne au cadre des échanges, les producteurs de

S

auront tout intérêt, dans l’immédiat, à l'incorporation d’éléments de T dans leur offre. Les produits offerts sur le marché deviennent en réalité transterritoriaux165 et le commerce de biens et services intermédiaires se développe.

Si l’opération est couronnée par le succès, les producteurs de T devront réagir et ainsi de suite jusqu’au moment où les différences relatives de compétitivité s’estompent, dans une intégration des deux systèmes économiques par les consommations intermédiaires et la

163 Cf. page 81.

164 Cf. §2.4.3, page 66 et suivantes. Bien évidemment, on peut élargir à toute forme d’avantage concurrentiel, coût et hors coût, l’exemple ayant été choisi pour sa simplicité.

duction, ce qui induit : ' ' ' ' ' D D D D Z =D =D( 1 + 2)=D 2 D (4.3)

En réalité, les deux économies ne font maintenant qu'une seule et cette fusion se réalise par la simple action de la contrainte de satiété de la demande finale, en condition d’ouverture économique des territoires, couplée avec l’existence d’avantages relatifs. Toutefois, cette in-tégration ne permet pas de générer de l’expansion autrement que par le développement des relations entre producteurs, ce qui était déjà le cas dans la relation (3.3).

Par ailleurs, il est utile de noter que le processus décrit tend à introduire des éléments de tension dans les territoires, car le « construit social » se voit concurrencé par ce qu’il perçoit comme un simple « espace économique » excessivement puissant, pouvant conduire à la dé-sagrégation du lien territorial.

Pour échapper à ce renfermement dans un périmètre économique certes plus vaste, mais tout aussi saturé qu'auparavant, les acteurs de TS=TÈS, espace économique unique, sont obligés de se tourner vers P . Or, D n'est pas solvable, en relation à P

TS

. Pour que P puisse représenter un débouché, il est donc nécessaire de permettre à H d'obtenir des moyens de P paiement appropriés et, en même temps, de faire en sorte que cette richesse alimente, directe-ment ou indirectedirecte-ment, les importations en provenance de

TS

166.

Les canaux par lesquels cette solvabilisation peut s'opérer sont multiples. Sans ambition d'être exhaustifs, on peut citer l'importation de main d’œuvre167, la réalisation d'investisse-ments productifs in situ, l'octroi de crédits ou d'aides diverses. De même, des mécanismes de développement, endogènes à P , peuvent être à l’œuvre.

Certains de ces cas de figure seront analysés par la suite. Pour l'instant, limitons-nous à admettre que D soit devenue solvable, mais que le niveau des revenus soit tel que l'écono-P mie de P n'a pas atteint la satiété. On se retrouve ici dans une contingence où les systèmes économiques des trois territoires trouvent une pause de respiration. Les entreprises de

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trouvent des débouchés autres que le « B2B » grâce au marché de P , et H améliore ses P conditions de vie. Enfin, puisque D n'a pas atteint la satiété, l'économie locale de P profite P d'un effet multiplicatif, qui dépend de la propension marginale à consommer, strictement posi-tive à ce moment précis, et du coefficient de localisation de la dépense. En effet, à condition que cette dernière ne soit pas égale à zéro, P verra l'essor d'une économie locale, d'abord à

166 Pour un exemple d'actualité, cf. §4.3.6, page 199.

167 Par le mécanisme des remises migratoires. Cela représente, à l'échelle mondiale, 325 milliards de dollars en 2010 (World Bank 2011, p.55) et, pour un nombre non négligeable de Pays, environ 20 % de leur PIB.

caractère résidentiel (Davezies 2008; 2009), et dont les acteurs peuvent également tenter de concurrencer les producteurs de

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sur leur riche marché domestique.

Cependant, ce moment de calme risque très fortement d'avoir une durée relativement courte car, dans ces circonstances, deux mouvements contradictoires se mettent à l’œuvre. D'un côté, l'économie de P , en croissance, amorce son chemin vers la saturation (tém. 6), et cela d'autant plus facilement que ses producteurs arrivent à conquérir une part de D1', avec à la clé la captation et la distribution d'une valeur ajoutée marchande élevée, tant aux investis-seurs qu'à la force travail (Corollaire 3.3). De l'autre, les relations croisées de produc-tion/consommation, contribuent à renforcer les tensions à la baisse sur les salaires réels cons-tatés sur

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(Lemme 3.11 ; Lemme 3.12).

Autrement dit, la croissance qui, au sens comptable, peut apparaître dans les trois terri-toires cache la réalité d'un P en développement et d'un

TS

en stagnation, à périmètre cons-tant, avec toutes les tensions et les conflits que cette opposition peut engendrer mettant en crise le « construit social » territorial.

Par ailleurs, déjà à ce stade, on doit considérer que l'espace économique intégré s'est élargi au périmètre transterritorial G=TSÈP, réalisant, dans notre monde fictif, un proces-sus de globalisation, et cela sans que ce parcours n'ait été sciemment choisi par aucun des territoires ni des acteurs individuels.

C’est un point qui mérite d’être souligné, en particulier au moment où de nombreuses voix se lèvent pour afficher un volontarisme dé-globalisateur, car cela à des conséquences pratiques très importantes en termes de dynamiques économiques. En effet, dans une écono-mie de non-satiété la globalisation est censée, par extension des théories des avantages territo-riaux, assurer l’allocation la plus efficace des ressources parmi tous les systèmes productifs impliqués, maximisant la satisfaction de tous les consommateurs. Née de la volonté des ac-teurs d’optimiser l’offre et de celle des consommaac-teurs d’élargir leurs choix d’achat, elle dé-coule d’une décision consciente. En condition de satiété, la globalisation n’est pas nécessai-rement choisie : dans les conditions décrites ici, elle se manifeste nécessainécessai-rement et le juge-ment sur ses bienfaits nécessite d’être nuancé.

Naturellement, une fois que le territoire global

G

atteint la satiété, on se retrouve dans la situation décrite par la relation (4.3), sans plus de possibilité de se retourner sur d’autres systèmes économiques. Cela nous conduit à énoncer les deux lemmes suivants :

Lemme 4.1 : Satiété et inefficacité de l’exportation de valeur

L'exportation de valeur ne constitue qu'un rempart temporaire et non dépourvu de dangers contre les risques de turbulence liés à la condition de satiété.

Lemme 4.2 : Satiété, ouverture par le commerce et globalisation

la recherche de l'ouverture économique par le commerce, en condition de satiété, favorise l'émergence de systèmes économiques intégrés et transterritoriaux, jusqu’à la globalisation.