ostentatoire, qui fait de la construction d’un palais un investissement immobilier
présentant des avantages considérables pour une famille noble
22. Elle souligne que la
valeur d’une œuvre est étroitement liée à la quantité de temps et d’argent qui a été
nécessaire pour la réaliser. De ce point de vue, rien n’a donc plus de valeur qu’un
palais : il suffit de penser au palais Farnese
23, dont la construction s’étend de 1495
(année de l’achat de l’immeuble d’origine et de ses dépendances par le cardinal
Alessandro Farnese) à 1603 (année de la réalisation du dernier élément du palais, un
pont jeté sur la via Giulia).
19
Sur les cardinaux en tant que clients qui commandent des palais, voir E. Fumagalli, « La committenza
cardinalizia a Roma », dans C. Conforti, R. Tuttle (éd.), Storia dell’architettura italiana. Il secondo
Cinquecento, Milan, Electa, 2001, p. 94-107. Les cardinaux ne font pas bâtir que des palais, mais
également des villas extra-urbaines, des lieux d’otium complémentaires des résidences à intra moenia.
Les villas sont souvent situées dans le village où les cardinaux ont des charges (il suffit de penser à la
villa du cardinal Ippolito d’Este localisée à Tivoli, village dont il est gouverneur).
20
G. Fragnito, « La trattatistica cinque e secentesca sulla corte cardinalizia. Il ‘vero ritratto d’una
bellissima e ben governata corte’ », dans Annali dell’Istituto Storico Italo-Germanico, 17 (1991), p.
135-185 ; Ead., « Cardinal Courts in Sixteenth Century Rome », dans Journal of Modern History, 65 (1993),
p. 26-56.
21
Une autre solution possible consiste à louer un palais. Certains édifices ont ainsi comme fonction
d’héberger les cardinaux (le palais de Cupis sur la piazza Navona et le palais à San Lorenzo in Lucina).
L’obligation de résider à Rome n’étant pas officielle, la présence effective à Rome des cardinaux reste
réduite, sauf lors des conclaves. Pour cette raison, louer un palais permet de ne pas subir les coûts de
l’édification ex novo d’un immeuble tout en gardant un style de vie distingué.
22
R. Ago, « Il valore delle cose : il palazzo di famiglia », dans Bevilacqua, Madonna (éd.), « Sistemi di
residenze nobiliari a Roma e a Firenze », op. cit., p. 59-62. Ago parle de « valenze ostentative ».
23
Sur le palais Farnèse, voir Le palais Farnèse, op. cit. ; C. Frommel, « Palazzo Farnese a Roma :
l’architetto e il suo committente », dans Annali di Architettura, 7 (1995), p. 7-18.
Cependant, le prestige lié au palais ne relève pas seulement des sacrifices de temps et
d’argent consentis par la famille qui l’a fait bâtir. En effet, comme Ago le précise,
l’édification d’un immeuble noble et esthétiquement achevé, tel qu’un palais, est
considérée par la société de l’époque comme une forme de restitution à la communauté
et à la ville d’une partie des honneurs attribués à leurs meilleurs membres. Cela est bien
exprimé par Vincenzo Giustiniani, qui affirme que la construction d’un palais doit avoir
pour but l’ornement et l’amélioration de la ville entière, pour lesquels le noble est obligé
de faire correspondre ses investissements à la hauteur des honneurs qu’il en reçoit
quotidiennement
24. Édifier un palais signifie donc se présenter et se faire reconnaître en
tant que personne douée de magnificence, de libéralité, c’est-à-dire de cette vertu
sociale qui a pour but l’accroissement du bien commun.
Le palais étant le bien le plus précieux qu’une famille possède, il est très souvent
soustrait du marché, des circuits d’échange économique. Ce type d’immeuble est en
général soumis au régime du fidéicommis (fideicommissum), disposition juridique
testamentaire qui assigne un bien à un héritier avec l’obligation de ne pas le vendre, de
le garder et de le retransmettre à une tierce personne. Dans le cas des familles nobles, le
fidéicommis est utilisé pour transmettre le patrimoine d’une génération à une autre, et
pour ne pas le disperser dans la durée. L’application du fidéicommis au palais montre
que ce type d’immeuble est investi de valeurs et de significations qui dépassent le seul
fait d’y habiter. Ces significations relèvent notamment de l’unité du groupe familial et
de sa puissance comme centre de pouvoir local.
3. Habiter ensemble. Le palais comme communauté.
Leon Battista Alberti décrit les palais comme des villes en réduction. Ils se distinguent
les uns des autres suivant le pays où ils se trouvent, et, plus précisément, selon le climat,
les traditions et les structures sociales. En outre, le palais, de la même façon qu’une
ville, héberge une population nombreuse et variée. Dans la théorie architecturale de la
Renaissance, le palais est une ville dont les habitants vivent, dans le même temps,
24
« (…) si deve avere anco mira all’ornamento pubblico e generale della città e della patria, alla quale
ciascuno è in obbligo di corrispondere ne’ commodi et onori che da essa si riceve giornalmente », cité
dans Ago, « Il valore delle cose », op. cit., p. 62.
ensemble et séparés. Il abrite en premier lieu les différents lignages de la famille noble,
les noyaux familiaux qui se forment, selon l’usage patrilocal. Comme on le verra par la
suite, parce que coexistaient le plus souvent plusieurs lignages au sein d’une même
famille, une première division à l’intérieur du palais prévoit que chaque noyau familial
habite dans un appartement séparé
25, mais toujours au sein de la maison collective.
Dans le même immeuble, à côté de la famille noble, loge ensuite la familia, qui est
composée de l’ensemble des domestiques et dépendants. Le palais accueille donc des
personnes dont le statut social est très différent, allant du prince, ou du conservateur de
Rome, jusqu’au garçon d’étable. Selon la théorie architecturale de l’époque, qui reflète
le souci que l’Ancien Régime a pour tout ce qui concerne les statuts individuels,
l’espace du palais doit être partagé, parce qu’il s’agit d’une « petite ville », d’une
communauté, d’une famille, mais à chaque niveau social doit correspondre un espace
propre, pour éviter tout risque de « contamination » sociale. Chacun doit vivre là où son
rôle le confine.
3.1. Un espace hiérarchisé
Le palais est un lieu fortement hiérarchisé : à chaque statut correspond, au moins dans la
théorie, un endroit précis où la personne a le droit d’habiter et de travailler
26. La
division de l’espace dans le palais respecte ainsi les distinctions de rang existant entre
les habitants. L’organisation hiérarchique du palais idéal est décrite dans l’ouvrage de
Paolo Cortesi, De Cardinalatu, paru en 1510
27. Le livre comprend trois volumes : le
premier porte sur les règles de formation d’un cardinal, le deuxième sur les
prescriptions concernant son style de vie, et le troisième sur ses devoirs politiques et
économiques. Le chapitre III du second volume se concentre sur la maison idéale du
cardinal. Bien que De Cardinalatu soit un ouvrage qui s’adresse aux cardinaux, on n’a
pas de raison de supposer que les palais de ces religieux avaient un modèle architectural
25
P. Waddy, Seventeenth-Century Roman Palaces. Use and the Art of the Plan, New York, The
Architectural History Foundation, 1990 ; Ead., « The Roman Apartment from the Sixteenth to the
Seventeenth Century », dans J. Guillaume (éd.), Architecture et vie sociale : l’organisation intérieure des
grandes demeures à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, Actes du colloque tenu à Tours du 6 au 10
juin 1988, Paris, Picard, 1994, p. 155-166.
26