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I : Explication de la notion de dopage

1 : Définition

Pour commencer, partons de la définition concrète du dopage donnée dans le livre II titre III du code du sport : « est considéré comme dopage l’utilisation de substances ou de procédés de nature à modifier artificiellement les capacités d’un sportif ou à masquer l’emploi de substances ou de procédés ayant cette propriété »23. Nous pouvons constater que cette

définition est en deux temps. Le premier aspect s’intéresse à l’utilisation directe de substances, dont nous pouvons sous-entendre l’aspect médicamenteux, ou bien de procédés, autrement dit, de mécanismes ou d’aides extérieures, dans la pratique du sport. La deuxième partie de la définition s’intéresse au fait de « masquer » l’usage de produits ou procédés dopants. Nous assistons depuis de nombreuses années à l’utilisation de produits masquant, c’est-à-dire qui « trompent » les analyses afin de cacher la prise de substances interdites dans la pratique du sport. Autrement dit, les contrôles doivent, non seulement définir si le sportif a pris des substances améliorant ses capacités, mais également détecter s’il a pris des produits masquant, ce qui sous-entendrait qu’il est également dopé. Tout ceci dans le seul but d’améliorer ses performances. Ces dernières sont d’ailleurs l’un des fondements, pour ne pas dire l’origine, du dopage.

Notre constat de base part du principe qu’un athlète de haut niveau a atteint le paroxysme de son art et, en conséquence, ne peut plus s’améliorer. Afin de rester compétitif, il aurait besoin d’aide, en d’autres termes, de dopage. Selon une définition de Patrick Laure « la consommation de produit s’effectue dans l’objectif soit de devenir performant, soit de le rester »24. Pour le

sportif de haut niveau, le sport est certes une vocation, mais surtout un métier, une source de revenus. En plus des primes lors d’une victoire, le sportif trouve dans la pratique de son sport

23 Code du sport, Livre II, Titre III loi n°2006.

24 LAURE P, « Le dopage » in Ellipses «Dopage et société » PUF, Paris, 2000

Partie 2 : Des technologies omniprésentes dans le sport et la

société

35 une rémunération, et une reconnaissance sociale. Il est important de comprendre que le fait de rester le meilleur, ou de le devenir est gage de pérennité dans ce milieu. Nous pouvons donc, si ce n’est cautionner, du moins comprendre les motivations des sportifs qui se dopent.

La recherche de la performance est au cœur de ce débat, puisque c’est cette volonté de puissance qui pousse les athlètes à cette extrémité. Une fois que leur technique est acquise et parfaitement maitrisée, ils en viennent à prendre des substances afin de rendre le corps et l’esprit plus performant.

2 : Mécanismes et Artefacts

Dans le cas qui nous intéresse, Oscar Pistorius a été « accusé » de « dopage mécanique ». En d’autres termes, il a été décrété que ses prothèses lui procuraient un avantage non négligeable, car elles le grandissaient et lui permettaient de faire de plus grandes foulées, d’avoir plus de rebond, qu’un athlète valide. Si l’on se réfère à la définition du dopage donnée si dessus, cela rentrerait dans « procédés de nature à modifier artificiellement les capacités d’un sportif ». Au sens littéral du terme, cette accusation parait valide. En effet, ces prothèses modifient artificiellement, nous reviendrons sur l’importance de ces deux termes, les capacités du coureur. Or, la définition ne prend pas en compte le contexte. De fait, le caractère particulièrement nouveau que revêt la situation nécessiterait une réécriture de la règle. Oscar Pistorius étant né sans tibia, il n’a donc pas le choix que d’avoir des dispositifs lui permettant de pratiquer son sport. Tout le problème réside dans le fait que l’on compare deux types de personnes qui ne sont pas comparables. Accepter cette accusation reviendrait à dire qu’un handicap serait un avantage, or nous avons à faire à une antithèse puisque ces deux termes sont radicalement opposés.

Revenons aux termes : modifier et artificiel. Le verbe « modifier » pose une question de l’ordre de l’identité, notion sur laquelle nous reviendrons en troisième partie de ce mémoire. Lorsqu’on parle d’Organisme génétiquement modifié par exemple, nous parlons de changement d’ADN, changement de nature, changement d’identité. Peut-on dire qu’Oscar Pistorius est un être modifié ? Cela reviendrait à dire qu’il n’a plus d’identité. Mais laissons ces questionnements en suspend pour l’instant, pour y revenir plus tard. Le terme artificiel est également primordial dans cette définition. Nous pouvons l’assimiler au terme artefact, qui a été analysé par l’auteur Herbet Simon. L’auteur part d’un constat de base définissant l’artefact comme « une entité

36 spécifique, distincte de la chose naturelle »25. Mais pour Simon, cette définition a un caractère

péjoratif, il préfère parler de l’artefact comme « toute entité à la fois conçue par l’homme pour répondre à ses besoins, architecturée par son concepteur et dont la dynamique repose sur ses reconceptions successives, induites suite à son usage »26. Autrement dit, l’artefact est un élément construit par l’homme pour répondre à des attentes précises. Cette définition semble pertinente dans l’étude de notre cas. De fait, Pistorius avait besoin d’un dispositif afin de pouvoir marcher. Puis, ce dispositif a dû s’adapter dans le cadre de son métier, la pratique du sport, pour finir par se perfectionner afin de lui procurer le maximum d’avantage, pas dans l’intention de « tricher » mais dans la volonté de se rapprocher au mieux de son objectif. Deforge explique que pour comprendre l’artefact, il faut « comprendre ce pour quoi il est fait »27. Il parait indispensable de le penser ainsi, et de l’appliquer à la définition du dopage inscrite dans le code du sport.

Notre hypothèse de départ se base sur une expression de Jean-Pierre Escriva qui parle de l’athlète dopé comme d’un être « sur-adapté plutôt que déviant »28. Il nous semble pertinent

d’utiliser ce terme de « sur-adapté » dans le cas d’Oscar Pistorius. De fait, c’est à cause d’un dispositif technique, qui lui est d’ailleurs indispensable, qu’on l’accuse d’être dopé. C’est également une « sur-adaptation » si l’on s’attache à la comparaison avec ses adversaires qui eux, n’utilisent pas de dispositifs techniques. Là où l’analogie pourrait être intéressante, c’est dans le cadre d’une compétition handisport, où l’on pourrait le juger face à des adversaires ayant le même handicap que lui. Or, comme nous l’avons déjà expliqué, sa catégorie de « double amputé tibial » est associée au « simple » amputé tibial. La comparaison est là encore inadéquate puisque dans le cas d’une « simple » amputation, la prothèse doit s’adapter à la taille de la jambe valide de l’athlète. La question de la « sur-adaptation » parait là encore au centre de la polémique.