Tversky. Selon cette th´eorie, l’utilit´e d’une alternative a trois attributs majeurs :
– ce qui compte n’est pas la “valeur absolue” de la cons´equence, mais sa valeur
relative, mesur´ee par rapport `a un point de r´ef´erence, qui sert `a identifier
ce qui est per¸cu comme gains et ce qui est per¸cu comme pertes (le point de
r´ef´erence ´etant “neutre”),
– la fonction d’utilit´e est concave dans le domaine des gains et convexe dans
le domaine des pertes,
– la pente de la fonction d’utilit´e est plus forte dans le domaine des pertes que
dans le domaine des gains.
L’effet de cadrage est alors expliqu´e ainsi : la description des alternatives
mo-difie le point de r´ef´erence de telle mani`ere que la classification en termes de gains
et de pertes est affect´ee, ce qui conduit `a une diff´erence dans l’attitude vis-`a-vis du
risque. Les sujets se comportent comme des adversaires du risque pour les gains,
tandis qu’ils ont du goˆut pour le risque dans le domaine des pertes.
Deux critiques peuvent ˆetre formul´ees `a l’´egard de cette th´eorie. En premier
lieu, la notion de point de r´ef´erence n’est pas totalement claire d’un point de vue
th´eorique : il semble raisonnable de penser qu’il d´epend des caract´eristiques du
probl`eme mais aussi des pr´ef´erences de chacun. Supposer que le point de r´ef´erence
est exog`ene et le mˆeme pour tout le monde semble alors extrˆemement r´educteur.
Mais s’il d´epend des pr´ef´erences, alors il conviendrait d’endog´en´eiser, du moins
par-tiellement, la d´etermination de ce point de r´ef´erence. En second lieu, la Prospect
Theory tente de “rationaliser” un ph´enom`ene qui repose apparemment sur
l’inca-pacit´e des sujets `a percevoir comme identique deux choix logiquement ´equivalents
mais d´ecrits diff´eremment. Une mod´elisation explicite de ces deux ph´enom`enes
semble possible, vers laquelle nous nous tournons maintenant.
4.1.2 Une mod´elisation en termes de pr´ef´erences incompl`etes
Une mod´elisation alternative d´evelopp´ee par Giraud (2005) permet
d’expli-quer l’apparition d’effets de cadrage comme cons´equence d’une hypoth`ese plus
fondamentale, `a savoir la possible incompl´etude des pr´ef´erences. Plus pr´ecis´ement,
consid´erons une relation de pr´ef´erences “invariante” en ce sens qu’elle repr´esente un
classement des alternatives invariant `a leur description. Cette relation de pr´ef´erences
est incompl`ete d`es lors qu’il existe un effet de cadrage, puisque dans ce cas, deux
alternatives seront class´ees diff´eremment selon la description qui en est faite. Dans
ce dernier cas, puisqu’il n’y a pas unanimit´e des pr´ef´erences sur le classement
des alternatives en question, il n’est pas possible de donner un ordre complet sur
celles-ci.
Giraud (2005) axiomatise la repr´esentation suivante des pr´ef´erences. En
repre-nant les notations introduites dans la section 2.1.2, S est l’espace des ´etats du
monde etdune d´ecision, qui sp´ecifie une cons´equenced(s) dans chaque ´etat.
Sup-posons qu’une distribution de probabilit´es soit donn´ee surS. Un d´ecideur pr´ef`erera
la d´ecision d `a la d´ecisiond
0si et seulement si
a(d) min
u∈UP
s∈Sp(s)u(d(s)) + (1−a(d)) max
u∈UP
s∈Sp(s)u(d(s))
≥
a(d
0) min
u∈UP
s∈Sp(s)u(d
0(s)) + (1−a(d
0)) max
u∈UP
s∈Sp(s)u(d
0(s))
Cette formule ressemble `a celles propos´ees dans la section 2.2, mais son
in-terpr´etation en est radicalement diff´erente. Notons tout d’abord que les minimum
et maximum sont pris sur des ensembles de fonction d’utilit´e U et non sur des
ensembles de croyances. En l’absence d’effet de cadrage, l’ensemble U se r´eduit `a
un singleton, et le mod`ele se r´eduit alors au mod`ele d’esp´erance d’utilit´e. Lorsque
l’ensemble U n’est pas un singleton, un d´ecideur ´evalue une d´ecision en prenant
la somme pond´er´ee entre son esp´erance d’utilit´e minimale, o`u le minimum est pris
par rapport `a toutes les fonctions d’utilit´e von Neumann Morgenstern u et son
esp´erance d’utilit´e maximale.
Afin de mieux comprendre ce crit`ere de d´ecision, faisons l’hypoth`ese quea(d) =
1 et donc que le crit`ere de d´ecision se r´eduise `a min
u∈UP
s∈S
p(s)u(d(s)). Ainsi,
la d´ecision d est ´evalu´ee `a l’aide d’une esp´erance d’utilit´e classique, mais la
fonc-tion vNM retenue d´epend de la d´ecision. Ceci correspond `a une endog´en´eisation
du point de r´ef´erence, qui d´epend maintenant `a la fois des pr´ef´erences et de la
description des alternatives. Lorsque plus g´en´eralement 0 < a(d) < 1, la logique
est similaire, la fonction d’utilit´e retenue ´etant une combinaison (d´ependant de la
d´ecision) entre une utilit´e “optimiste” et une utilit´e “pessimiste”.
U peut s’interpr´eter comme repr´esentant l’ensemble des ´etats d’esprit du d´ecideur.
L’´etat d’esprit dans lequel il se trouve au moment du choix d´epend de la d´ecision
consid´er´ee et de ses pr´ef´erences. L’effet de cadrage s’explique de mani`ere simple :
la description des alternatives a une cons´equence psychologique sur l’´etat d’esprit
du d´ecideur. On voit ainsi se dessiner une th´eorie plus g´en´erale de la mani`ere
dont l’information donn´ee au d´ecideur affecte ses choix. Ceci est bien connu des
d´epartements de marketing et des agences de publicit´e, mais une th´eorie abstraite
qui permette un traitement unifi´e de ce ph´enom`ene en est encore `a ses
balbutie-ments.
4.1.3 Pr´ef´erences incompl`etes : une approche exp´erimentale
L’un des probl`emes pos´es `a la th´eorie ´economique de la d´ecision par les pr´ef´erences
incompl`etes est la difficult´e qu’il y a `a les identifier. Selon la m´ethodologie usuelle
des pr´ef´erences r´ev´el´ees, les pr´ef´erences ne sont observables qu’au travers des choix
r´ealis´es par les agents. Puisque seuls les choix observ´es comptent, les pr´ef´erences
“r´ev´el´ees” par ces choix seront par d´efinition compl`etes : un non-choix a priori
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Incertitude en économie de l'environnement
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