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c) Quelques exemples de stratégies pour la synthèse de nanobagues de carbone

Si l'on s'intéresse à la synthèse d'aromatiques courbes, il n'est pas possible de passer à côté des nombreux travaux en vue de la synthèse de nanobagues. On considère qu'une nanobague est une molécule macrocyclique cylindrique rigide avec un squelette constitué uniquement d'atomes de carbone hybridés sp2 et d'atomes d'hydrogène. L'obtention de tels objets représente non seulement un challenge synthétique mais pourrait présenter des propriétés de conduction intéressantes ainsi qu'une grande utilité en chimie supramoléculaire.

La première tentative de synthèse ayant abouti à une molécule s'approchant d'une nanobague a été proposée par Herges et collaborateurs en 199626. En utilisant une réaction tandem cycloaddition [2+2] et rétrocycloaddition [2+2] à partir du tétradéhydrodianthracène (Schéma 22), ils réussissent à former la molécule ci-dessous avec un rendement de 16 %. Ce précurseur a été baptisé "picotube" par ses auteurs car il pourrait conduire à la formation d'un nanotube de carbone mais les essais de graphitisation menés dans les conditions de Scholl ou par pyrolyse flash sous vide ont conduit respectivement à des produits de polymérisation et à un produit de réarrangement.

Schéma 22. Les picotubes de Herges et collaborateurs.

La même année, l'équipe d'Oda a décrit la synthèse d'un 4-cycloparaphénylèneacétylène ou 4-CPPA

(Schéma 23)27. Pour ce faire, ils utilisent le couplage de McMurry pour former le macrocycle sous la forme d'un mélange de diastéréoisomères (Z3, E et Z,E,Z,E). Ce dernier peut alors être traité par du dibrome pour former le produit d'addition qui sera ensuite chauffé en milieu basique pour procéder à deux éliminations et ainsi former les triples liaisons. La stéréochimie des doubles liaisons est importante puisqu'il faut au moins une double liaison de stéréochimie E pour que l'étape de formation des alcynes fonctionne (un produit d'addition est obtenu sinon)28.

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Kammermeier, S.; Jones, P.G.; Herges, R. Angew. Chem. Int. Ed., 1996, 35, 2669.

27

Kawase, T.; Ueda, N.; Darabi, H.R.; Oda, M. Angew. Chem .Int. Ed., 1996, 35, 1556.

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Schéma 23. Synthèse du 4-CPPA.

Ce type de macrocycle n'est pas vraiment une nanobague puisque la présence de liaisons simples autorise les rotations autour de l'axe de ces dernières, ce qui fait que le système n'est pas complètement rigide.

La même équipe aussi décrit la manière de faire un 6-CPPA et un 8-CPPA en utilisant des voies de synthèses similaires mais optimisées concernant l'étape de Mc Murry29.

Une famille de composés cycliques très proche de celle des nanobagues est celle des cycloparaphénylènes (CPP). Il s'agit de macrocycles constitués d'un enchainement de benzènes disubstitués en para. Même si une nouvelle fois, les CPPs ne sont pas aussi rigides qu'une nanobague, ce type de composé a été envisagé en vue de servir de base à la croissance de nanotubes de carbone.

La difficulté pour atteindre ce type de structure repose sur le fait d'avoir une contrainte énergétique importante à cause des benzènes "tordus" pour former le macrocycle. Trois grandes stratégies de synthèses ont été développées pour essayer de pallier à ce problème.

La première synthèse a été décrite par l'équipe de Bertozzi en 200830 qui a réussi à produire des [9], [12] et [18] CPPs (Schéma 24). Leur stratégie de synthèse repose sur l'utilisation de 3,6-syn-diméthoxy-cyclohexa-1,4-diène comme précurseurs flexibles de benzène. Ainsi, les "maillons" de la chaine sont suffisamment flexibles pour pouvoir former un macrocycle qui sera ensuite "aromatisé".

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Kawase, T.; Ueda, N.; Tanaka, K.; Seirai, Y.; Oda, M. Tetrahedron Lett., 2001, 42, 5509.

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Schéma 24. Première synthèse d'un CPP.

La synthèse des précurseurs commence par une monolithiation du diiodobenzène qui, après une double addition sur la benzoquinone et une méthylation du diol formé conduit au composé X. Ce dernier est transformé en diester boronique Y qui va ensuite réagir avec X lors d'un couplage de Suzuki qui est également l'étape de macrocyclisation. Les auteurs obtiennent trois tailles de macrocycles différents après cette étape qui seront ensuite transformés en CPP en utilisant le naphtaléniure de lithium. Jasti a également réussi à former un [6]CPP en utilisant une stratégie assez proche de celle décrite ci-dessus31.

En 2009, Itami et collaborateurs proposent une synthèse du [12]CPP (Schéma 25) qui est inspirée à la fois d'une approche de Vötgle32 (qui avait aussi essayé de faire des CPPs) et des travaux de Jasti car elle repose également sur des précurseurs flexibles du benzène (des cyclohexanes disubstitués en 1,4 au lieu de cyclohexadiènes) et sur un assemblage par couplage de Suzuki33. Ce changement a pu être obtenu en remplaçant la benzoquinone utilisée lors de la première étape de synthèse par la 1,4-cyclohexanedione.

31

Xia, J.; Jasti, R. Angew.Chem.Int. Ed., 2012, 51, 2474.

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Friederich, R.; Nieger, M.; Vögtle, F. Chem. Ber., 1993, 126, 1723.

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Schéma 25. Synthèse du [12]CPP par Itami et collaborateurs.

Le gros avantage de la voie de synthèse d'Itami est qu'en utilisant une approche séquentielle au lieu d'avoir une étape de macrocyclisation avec des mélanges de plusieurs macrocycles, il a été possible d'améliorer le rendement de chaque étape et par conséquent le rendement global de la synthèse. De plus, cette méthode est généralisable et a permis à Itami de moduler la taille du CPP en proposant la synthèse des [14], [15], et [16] CPPs34.

La dernière approche est celle proposée par Yamago et collaborateurs qui ont choisi d'utiliser une réaction à base de platine pour former le macrocycle (Schéma 26)35. En effet, les auteurs se basent sur le fait que les complexes de platine sont de géométrie plan-carré. Ainsi, avec des angles de liaisons proches de 90°, il n'y a pas de contraintes géométriques empêchant la formation du macrocycle et ils ont réussi à former ainsi un [8]CPP avec un rendement global élevé.

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Omachi, H.; Matsuura, S.; Segawa, Y.; Itami

,

K. Angew. Chem. Int. Ed., 2010, 49, 10202.

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Schéma 26. Approche "métallique" de synthèse des CPPs.

De nombreux essais menés par différentes équipes de recherches ont été effectués afin de former une "vraie" nanobague. On peut par exemple mentionner l'approche originale de l'équipe de Schlüter qui a réussi à préparer une molécule assez proche d'une nanobague (Schéma 27) mais dont la graphitisation n'a été que partielle36.

Schéma 27. Essai de synthèse de nanobague par Schlüter et collaborateurs.

Enfin, ce n'est que très récemment, en 2017, que la première synthèse de nanobague a été décrite par Itami et collaborateurs (Schéma 28)37.

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Neudorff, W.D.; Lentz, D.;Anibarro, M.; Schlüter, A.D. Chem. Eur. J., 2003, 9, 2745.

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Schéma 28. Première synthèse de nanobague.

Les premières étapes de synthèse visent à préparer les réactifs nécessaires en vue de pouvoir réaliser plusieurs réactions de Wittig successives en utilisant un atome de carbone dibromé comme groupement protecteur. Un atome de brome est ensuite enlevé pour régénérer une position benzylique monobromée qui est nécessaire pour faire la réaction de Wittig suivante. La macrocyclisation se fait également à l'aide d'une réaction de Wittig légèrement différente puisque l'ylure de phosphonium est isolé avant de réagir en présence d'une base. La graphitisation se fait à l'aide d'un couplage au nickel qui nécessite une quantité stœchiométrique de complexe métallique mais aussi des bromes au niveau des sites de formation de liaisons. Le rendement de cette dernière étape est très faible (1 %) mais il a depuis été revu à la hausse puisque l'auteur annonce qu'il arrive à des rendements de 8 % désormais. Toutefois, la prouesse synthétique est remarquable et la première nanobague va même devenir un composé commercial tellement les enjeux autour de ce type de composé sont importants pour la recherche.

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