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Exemples et questions pratiques : autonomie, ergonomie et efficience

La société moderne a vu nombre de ses repères classiques profondément évoluer, notamment par des mutations technologiques. Nous vivons ainsi le passage de la société industrielle à la société du savoir (Barbier, Berton, & Boru, 1996). Tous les acteurs sont touchés par ces changements, à des degrés différents. Voici trois constats qui illustrent cette évolution :

• Les profondes crises économiques qui se sont succédées depuis les années 1970 ont eu des conséquences sociales qui se traduisent par des compressions de personnel, des restructurations, une globalisation croissante. Dès lors, de nouvelles formes d’organisation du travail voient le jour. La complexité technologique sollicite des ergonomes ainsi que des psychologues du travail.

• L’analyse de travail permet de limiter les risques et conduit à des propositions d’aménagement et d’aides au travail qui passent souvent par des programmes de formation des opérateurs. Il s’agit de « former des compétences » (Petit, 1998).

• Des réorganisations, dans les années 1980, qui transforment la relation à l’emploi et le contenu des fonctions. Le souhait d’accroître la souplesse des processus de production entraîne la recherche de nouveaux modèles d’organisation qui permettront de mieux gérer les demandes du marché.

Ces phénomènes, étroitement liés au processus de modernisation, saisissent les collectifs de travail et introduisent de nouvelles perturbations de natures variées. Ainsi, les recherches menées dans le cadre de la problématique « organisation du travail » ont joué un rôle non négligeable dans l’affirmation de cette fragilité.

Comme le disent Osty, Sainsaulieu et Uhalde (2007), les modernisations peuvent engendrer une série de ruptures et de désordres qui s’instituent en un véritable mode de fonctionnement social. On observe ici

un sentiment typique de disjonction entre la sphère de l’activité de travail et celle de l’organisation. Les salariés éprouvent des sentiments de plus en plus négatifs à l’encontre du fonctionnement de l’organisation perçue comme un lieu de contraintes, de régression et de menace pour les individus.

Sur le lieu de travail, le temps et ses contraintes constituent un invariant irréductible. Toute modification de travail devrait garantir une meilleure intégrité physique et psychologique des travailleurs et toute action formation peut avoir une place centrale dans cette dynamique.

Le mirage de l’autonomie

Dans cette mouvance, les questions d’études parmi les plus prioritaires touchent à l’intégrité même des conditions de travail. En premier lieu, le recours fréquent à la notion « d’autonomie » dans le travail, présentée comme un degré élevé de maîtrise et de responsabilisation. Un très grand nombre de stratégies de management postulent que l’autonomie participe de la

motivation donc du rendement en termes de productivité.

Les expériences d’autonomisation d’équipes travaillant auparavant à la chaîne (cf. ateliers Volvo) ont montré quelques bénéfices subjectifs dans les premiers temps, puis très rapidement des tensions au sein du groupe suivies de pratiques inadéquates. Ainsi, la pression exercée par une très grande responsabilité sur les épaules d’un individu ou d’un collectif entraîne, de fait, un stress associé à un surinvestissement très souvent néfaste pour la performance de l’individu voire dangereux pour le statut de l’employé ou de l’équipe. En effet, l’idée de l’autonomie va beaucoup plus loin que le traditionnel principe de délégation. De fait, la responsabilité n’est plus partagée mais est « déversée » dans les mains de celui qui reçoit la mission, tel un agent isolé (Jardin, 2002 ; De Gauléjac, 2005). La gestion par l’autonomie peut représenter une bonne stratégie tant qu’elle n’annule pas les responsabilités « organiques » qui fondent les voies hiérarchiques. Les psychologues du travail ainsi que les sociologues étudient, depuis plusieurs années, le positionnement de l’individu face à ses tâches en lien avec les responsabilités attribuées.

Sans chercher à nier l’intérêt du principe d’autonomie, force est de constater les dégâts de plus en plus objectifs de cette pression sur la production (Bilheran, 2010). On se souviendra ainsi des évènements tragiques, durant les années 2006–2007, au sein du Groupe Renault avec les suicides en série de collaborateurs du pôle

« Développement », mis sous la pression de projets à

gérer en toute autonomie dans un contexte de régression des parts de marché. Il apparaît donc clairement que la structure sociale d’une organisation repose sur des flux de responsabilités qui s’étayent tout au long des voies hiérarchiques.

L’ergonomie au cœur du travail

Autre cible d’études et d’analyses, le contexte réel dans lequel vont prendre place les pratiques des opérateurs. Partant d’un premier intérêt consistant à rechercher les meilleures conditions de production (organisation de l’atelier, réduction des gestes et déplacements non-productifs, confort et sécurité, etc.), l’ergonomie s’est très vite confrontée à des constats troublants concernant la nature des pratiques telles que réalisées au quotidien par les employés. C’est principalement les métiers à très haut risque ou impliqués dans des processus extrêmement sensibles (énergie, transports, armée, etc.) qui furent les premiers à être analysés de près.

Selon de Montmollin (1996), l’ergonomie est fondée sur des modèles de la situation de travail qui mettent l’accent sur la différence de nature entre la tâche (pro-jet, consignes, procédures) et l’activité du corps (dont le cerveau bien sûr) qui prend des postures et fait des mou-vements, actionne des commandes, mobilise volontaire-ment ou non des processus de pensée, communique avec autrui, organise ses actions, etc.

Le premier trait dominant de l’analyse de cette activi-té, c’est que l’opérateur « régule » son activiactivi-té, en

fonc-tion de son environnement externe, de son état interne (fatigue par exemple) pour obtenir un maximum de régu-larité de la performance : accélération du rythme de travail pour rattraper du retard ou faire face à une ur-gence, modification du mode opératoire face à la mau-vaise qualité des résultats obtenus.

Le second trait dominant, c’est la notion de compro-mis entre les exigences de la performance, (toujours explicitement ou implicitement présentes) et les exi-gences liées au respect des règles (de sécurité, de ges-tion, techniques, règlementaires...). L’observateur de l’activité du travail constate toujours que ce compromis existe, et qu’il n’est pas construit comme le voudraient les organisateurs, en privilégiant la règle prescrite avant tout. La réalité est plus complexe, comme dans la vie courante, où nous respectons tous les vitesses limitées sur la route ... sauf si nous avons peur de rater notre train ou d’arriver en retard à un rendez vous urgent.

La course à l’efficience

Troisième exemple de question d’études en lien avec l’organisation du travail : l’efficience. Après avoir re-cherché une organisation scientifique du travail, après avoir mobilisé l’ergonomie pour comprendre comment se construit une action, après avoir tenté de stimuler la motivation et l’implication individuelle au travers du recours à l’autonomie, place au principe d’efficience qui vise à rechercher la rationalisation des moyens tout en maintenant (voire augmentant) la production. Il s’agit ici de débusquer toutes les zones de gaspillage, de

non-rendement ou, au contraire, de pointer les processus les plus rentables. De manière emblématique, c’est parmi les services à la personne que les exemples sont souvent pris : parcours du patient, réduction des temps d’hospitalisation, fermeture d’unités de soins, prestations sous condition, etc. Cette tendance existe aussi dans les industries avec une volonté marquée de se séparer de tout ce qui ne permet pas un rendement majeur. Dans ce contexte, l’organisation du travail est systématiquement touchée, principalement dans le calibrage des ressources à disposition ainsi que dans les modes opératoires vali-dés comme étant ceux qui permettent la meilleure effi-cience : ce qui se faisait avec quatre opérateurs devra se faire dorénavant avec trois… Le crédo de l’efficience reste la plupart du temps l’apanage des stratèges investis au niveau macro de l’organisation. Vu par les yeux de l’opérateur individuel, ce souci reste très souvent diffi-cile à comprendre et à inscrire dans une logique de quali-té du travail. Bien que la recherche d’un meilleur équi-libre entre les dépenses et les produits soit « politique-ment correct », tout comme l’autonomie, l’efficience ne peut être avancée comme seul concept de gestion au risque de produire des contre-réactions sur le moyen terme. Nous sommes ici au cœur d’un conflit de tempo-ralités entre le long terme envisagé par l’employé dans une activité professionnelle renouvelée chaque jour et le court terme pensé par les investisseurs comme échéance de rendement.

C. Liens avec les questions d’ingénierie et de