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L’exclamation vient aussi pour décrier un stéréotype socioculturel qui veut que les filles soient quasiment toutes destinées à ne pas être scolarisées. Comment comprendre que de toutes

les filles du village, Awu était la seule diplômée. Cela pointe du doigt la déscolarisation des

filles, un véritable fléau des sociétés africaines à l’ère du développement :

Awu avait été bien dotée. Et pour cause ! C’était la seule femme diplômée de toute la

contrée ! Elle était titulaire d’un certificat d’études primaires et elle était maitresse de

couture ! Comment ne pas décemment doter un spécimen aussi rare ! »

373

L’exclamation exprime aussi le ras-le bol dans une société où le féminisme en tant qu’égalité

homme/femme a pris le dessus : « Enfin quoi ! Sommes-nous forcements plus heureux en

portant le pantalon ? »

374

L’auteur veut enfin porter une critique sur le fait que dans cette société, seule la femme jeune,

fraiche et féconde mérite attention et convoitise. « Le troisième âge »

375

est considéré comme

l’âge de la fin, où plus aucun rêve n’est permis, où plus aucun homme ne la sollicite plus : « O

image évanescente de mes jeunes printemps ! Vision traitresse ! »

376

II.5.3. Le recours aux éléments du registre oral

371

Mbazo’o Kassa (C-M), Fam !,op. cit., p.102.

372

Ngou (H), Féminin interdit, op. cit., p.73.

373

Mintsa (J), Histoire d’Awu, op. cit., p.11.

374

Mbazo’o Kassa (C-M), Fam !, op. cit., p.103.

375

Ibidem, p.84.

L’oralité désigne l’ensemble des textes oraux [proverbes, légendes, chants, …] transmis

verbalement d’une génération à l’autre. Elle constitue un patrimoine culturel et dénombre des

mythes, des proverbes, rites, croyances, chants.

II.5.3.1. Le symbolisme dans le proverbe gabonais

C’est la représentation détournée des éléments du monde sensible, autrement que par la

parole. Joseph Bill Mamboungou affirme que,

Le symbolisme du proverbe gabonais est la figuration par des symboles de la vision

matérielle, morale et spirituelle du monde dans lequel vivent les gabonais. […].

377

C’est donc de l’importance du proverbe, élément du patrimoine culturel ancestral devenu

d’ailleurs un outil pour enrichir, densifier la joute oratoire car « pour être efficace, tout discours

en Afrique doit se référer à la sagesse des anciens, au passé du groupe social, à un ensemble

de valeurs morales dont le proverbe constitue l’expression la plus belle et la plus profonde »

378

.

Dans bien des certaines circonstances, l’emploi seul du proverbe suffit pour délivrer un

message qui aurait demandé de rentrer plus en détail s’il avait fallu utiliser le langage ordinaire.

Certes, il tient compte des réalités culturelles d’une société, mais il est important de préciser

que quel que soit l’espace culturel qui l’exploite, le proverbe a ceci de particulier qu’il fait la

promotion de valeurs humaines universelles. C’est à cet effet que, « le symbolisme du

proverbe gabonais baigne, […], dans un symbolisme universel. »

379

. Ainsi, dans toutes les

sociétés humaines, le proverbe est « un message social »

380

qui décrit la « réalité ». Il a une

valeur didactique, moralisatrice.

En effet, le proverbe « une hydre de miel peut devenir une hydre de poison, quand elle te fait

oublier ta vraie maison »

381

, comme tous les autres, construit le sens à partir d’images et/ou

de symboles, ici l’exhortation à la prudence est le sens connoté. Cet énoncé est utilisé pour

évoquer la prudence, la réserve. Le mot « hydre » est saisi comme un signe. De même, le

377

Mamboungou (J-B), « Le petit poulet… », op. cit., p.67.

378

Belinga (E), cité par Nang Eyi Obiang (P-C), « Au rythme des saisons », in Notre Librairie, La

littérature gabonaise, numéro 105, avril-juin 1991, p.29.

379

Boukandou (A-P), Esthétique du roman gabonais : Réalisme et tradition orale, thèse de doctorat,

Nancy II, 2005, p.235.

380

Cauvin (J), Comprendre les proverbes, Ed. Saint-Paul, 1981, p.7.

381

Ngou (H), Féminin interdit, op. cit., p.269.

proverbe « si l’oiseau oublie le piège, le piège, lui, n’oublie pas l’oiseau »

382

est aussi une

exhortation à la prudence. Le proverbe gabonais a donc une fonction sociale, symbolique,

mais aussi ésotérique. Ce dernier élément n’est pas des moindres. En effet, un proverbe tel

que « deux oveng ne pouvaient pas être plantés sur la même colline »

383

est utilisé pour

augurer l’imminence du conflit entre deux esprits ou deux forts tempéraments. Autrement dit,

« il n’y a qu’un seul roi dans chaque cour ». D’autres proverbes ont des corollaires sexistes

stéréotypés. C’est le cas par exemple du proverbe qui dit que « la femme est un grain de mais

susceptible d’être mangé par toute bouche pourvu qu’elle ne soit pas édentée »

384

.. Le

proverbe qui dit que « la bouche d’une femme peut être, un nid de mauvaises paroles »

385

sous-entend l’existence de la nature médisante de la femme. Doit-on comprendre par-là que

la possibilité pour une bouche d’être un nid de mauvaises paroles est l’apanage du seul sujet

féminin ? Il faut dire que le proverbe est une donnée culturelle. L’usage du proverbe dans une

tournure à tendance dévalorisante n’a pas pour but de saper l’image de la femme. Ce serait

plutôt un usage à la seule fin de souligner la subjectivité dont se nourrit parfois la pensée

traditionnelle.

La valeur moralisatrice du proverbe est très recherchée par nos auteures en vue de faire la

promotion de valeurs positives, constructives. Dans l’énoncé « un seul doigt ne lave pas la

figure »

386

, l’unité est le sens connoté. Cet énoncé est utilisé pour évoquer la solidarité,

l’entraide. Autrement dit, « l’union fait la force ». Le proverbe est une bonne alternative car

plutôt que d’agir dans la précipitation par exemple, il suggère de recourir à une minute de

réflexion ou au fait de ne pas agir de façon hâtive, en situation de crise. Ainsi, « la nuit porte

conseil »

387

est l’expression d’une attitude à adopter : prendre du temps pour réfléchir avant

d’agir. Plutôt que de toujours dire directement, attitude qui, à la longue, pourrait paraitre d’un

pédantisme exacerbant, les auteures optent pour une méthode de moralisation plus subtile.

382

Mbazo’o Kassa (C-M), Fam !, op. cit., p.128.

383

Ngou (H), Féminin interdit, op. cit., p.38.

384

Mbazo’o Kassa (C-M), Fam!, op. cit., p.29.

385

Ibidem, p.23.

386

Ibid., p.68.

387

Ibid., p.102.

Chapitre 5. Actant féminin et tensions sémiotiques

Les différentes approches effectuées dans le cadre d’une appréhension de la construction du