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Chapitre III Identification et analyse des différentes formes d’évolution autour de l’oued Merguellil

III.3. Evolution des ressources en eaux souterraines du système aquifère Bouhefna-Haffouz

III.3.3. Evolution des prélèvements dans la nappe de Bouhefna :

Dès l’instauration du protectorat français en Tunisie (1881), l’alimentation en eau des villes a mobilisé savoirs et savoir-faire de l’administration coloniale. Les premières actions ont concerné l’incorporation juridique des eaux dans le domaine public en 1885, puis en 1896 l’inventaire des ressources et installations hydrauliques que l’on doit à l’ingénieur Boulle (Besbes et al., 2014). Dans le centre du pays, l’alimentation en eau potable de la ville de Sousse - qui concentrait un nombre important de colons – a rapidement posé problème, vu la faiblesse des ressources en eau de qualité dans cette région littorale. L’oued Merguellil est alors identifié comme ressource potentielle. A la fin du XIXème siècle, un transfert des eaux du Merguellil vers

260 270 280 290 300 310 320 1964 1969 1974 1980 1985 1991 1996 2002 2007 2013 N P (m N GT)

Agroub Hajel Bir Ladjmi Ste Juliette Hir Assel Cassis Haffouz

66 la région de Sousse a été aménagé à partir du captage dit de Bouhefna (Figure III.29). À travers les documents d’archives ainsi que les inventaires de la DGRE (DGRE, 1970 - 2015) relatives aux captages de Bouhefna nous avons retracé l’histoire de l’évolution du captage de Bouhefna depuis 1899, date de début de l’exploitation de la nappe. Trois étapes majeures se dessinent à travers cette histoire.

Figure III.29 Les captages de Bouhefna (A droite vestiges des infrastructures, crédit photos S. Massuel)

Le captage d’un écoulement inconnu (« l’ancien captage »)

L’exécution du captage de Bouhefna a débuté en 1899. Selon Limouse (1923), le premier captage (appelé « ancien captage ») visait à recueillir les eaux de plusieurs sources situées dans le lit de l’oued Merguellil dans une région appelée Ouljet Bouhefna où l’oued faisait des courbes successives et formait des amas de sable et de graviers (Figure III.30) qui correspond à la section 3 sur les profiles hydrologiques (Cf. Figure III.12). Ces émergences étaient alors vues comme des affleurements des flux de sub-surface de l’oued qui s’écoulaient dans une strate de sables et de graviers de deux mètres d’épaisseur au-dessus d’une couche géologique imperméable. Des drains menant l’eau de la rive gauche de l’oued vers des « galeries drainantes » furent construits, ainsi qu’une conduite en ciment longue de 125 km pour desservir la ville de Sousse dimensionnée pour un débit moyen de 100 l/s. Une fois la zone humide asséchée, les débits captés tarissent rapidement et passent à 40 l/s en 1910. Ce qui pousse les ingénieurs à modifier le captage pour fournir les 100l/s à la compagnie du sahel.

La découverte de la nappe (« le nouveau captage »)

Les activités autour du captage de Bouhefna reprennent de l’intensité dans les années 1920. A cette époque-là, l’attention des ingénieurs est focalisée sur des sources, et en particulier celles de Ktifet El Homrane (Figure III.30) situées à quelques centaines de mètres à l’amont du captage de Bouhefna et déjà identifiées en son temps par l’ingénieur Delacourcelle (Limouse, 1923). L’idée est toujours de renforcer le captage pour garantir l’alimentation en eau de Sousse, dont la demande est par ailleurs en constante augmentation. Après un long débat entre les protagonistes sur la provenance des eaux des sources de Ktifet El Homrane. Ces

67 sources ainsi que l’eau recueillie dans l’oued Merguellil au niveau de l’ancien captage ont été identifiées comme l’émergence de trop-plein de la nappe de Bouhefna (Figure III.30). Les sources de Ktifet El Homrane ont finalement été captées en 1930 (le nouveau captage). Après un an de fonctionnement, le dispositif permet de capter 60 L/s de manière constante.

Figure III.30 L’ancien et le nouveau captage de Bouhefna

La maitrise de la nappe : la stratégie d’exploitation de la nappe de Bouhefna

Les investigations reprennent dans les années 1950, comme en témoigne le rapport de Degallier (1952), avec toujours le même objectif : accroître le débit transféré vers la région du Sahel. De nouvelles méthodes d’investigation en hydrogéologie sont testées localement. La connaissance des différentes nappes de la région et de leurs relations est approfondie grâce à l’analyse systématique de la chimie des eaux. Ces connaissances sont mises au service des Travaux Publics (TP) dans l’objectif d’établir un « captage rationnel » des nappes de la région de Bouhefna « susceptibles d’être captées sur une grande échelle » (Degallier, 1952). L’idée est désormais de stocker dans la nappe de Bouhefna le trop-plein des eaux qui s’évaporent ou qui s’écoulent en période d’abondance dans l’oued et dans les nappes adjacentes, de manière à pouvoir le mobiliser en période d’étiage. Pour cela, l’idée déjà ancienne de rabattre artificiellement les niveaux statiques est appliquée à la nappe profonde de Bouhefna. C’était d’ailleurs le sujet de la thèse de 3e cycle de l’hydrogéologue Besbes (1967), sous la direction de G. Castany qui dirigeait alors le service géologique à Tunis.

L’exploitation par forages profonds en complément des captages de Bouhefna a débuté dans les années 1950. L’installation de forages s’est poursuivie à un rythme soutenu. Dans la continuité des propositions de Degallier (1952), l’idée proposée par Besbes (1967) est d’optimiser le débit qui s’écoule dans la nappe (ressource dynamique) et qui peut être récupéré sans que l’on ne touche aux réserves statiques, de manière à préserver la productivité des captages sur le long terme. Pour cela, Besbes (1967) avait cherché à établir un équilibre hydraulique optimal estimé par simulation mathématique. Une action en deux phases est proposée : dans un premier temps, il s’agit de pomper au-delà du débit d’alimentation de la nappe, de manière à « annuler le débit de la nappe » (essentiellement celui qui transite vers la source de Ktifet El

N

2 km

68 Homrane) ; dans un second temps, il faut établir un équilibre entre le débit d’exploitation et le débit d’alimentation, pour « assurer la conservation des réserves non renouvelables » (Besbes 1967).

Alors qu’en 1968 est constituée la Société Nationale d’Exploitation des Eaux (SONEDE), le taux d’exploitation de la nappe de Bouhefna continue d’augmenter. On atteindra le nombre de 14 forages en 1982 (Hamza, 1983) et 20 forages en 2000 (Gassara, 2000), tandis que les quantités pompées atteignent 18,6 hm3/an en 1982. Même si ces quantités fluctuent, les ressources renouvelables de la nappe fixées à 300 L/s (soit 9,5 hm3/an) par Besbes (1967) sont largement dépassées. En 1983, Hamza – hydrogéologue de la Direction des Ressources en Eau - parle de « surexploitation » ou « d’exploitation minière » et en démontre l’impact négatif à la fois pour le rendement des pompages, et pour les populations dont les ressources (oued et sources) sont taries. Dans son rapport de 2001, le géologue en chef de la DGRE, Gassara, souligne à nouveau l’impact négatif des prélèvements de la SONEDE sur l’hydrodynamique des nappes profondes du Kairouanais. Chiffres à l’appui, il affirme que « la SONEDE accapare la presque totalité des volumes pompés dans les nappes de Bouhefna et Chérichira » et que cela provoque « des baisses continues et généralisées parfois inquiétantes de la piézométrie » (Gassara, 2000). A la suite de ces constats, et dans l’objectif de « préserver ce patrimoine contre tout risque d’épuisement », Gassara demande à la SONEDE de réduire ses prélèvements, or, les chiffres de la DGRE (DGRE, 1970-2015) (Figure III.31) montrent une reprise de l’intensification des pompages à partir de 2003. Il semble que, sous la pression de la demande accrue en eau potable, la SONEDE ait perdu complètement le programme de la surexploitation contrôlée.

Figure III.31 Évolution de l’exploitation (chiffres officiels (DGRE, 1970-2015)) et du niveau de la nappe de Bouhefna (emplacement du piézomètre KT5 sur la Figure III.5)