1. La fonction masticatrice 19
1.3.1 Evolution humaine : augmentation des dysmorphoses 32
1.3.1.1 Croissance et mastication
L’appareil masticateur constitue une région de la face qui va connaître une croissance considérable depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte.
Au cours des années, de multiples perturbations, d’origine génétique ou acquise, peuvent interférer et provoquer l’apparition de dysharmonies et de dysmorphoses dento-‐maxillo-‐faciales. (12)
Parmi ces influences acquises de l’environnement, le contexte fonctionnel de la cavité buccale va jouer un très grand rôle. Si les différentes fonctions (respiration, mastication, déglutition, phonation, contexte postural) s’installent et se réalisent de manière correcte et efficace, elles produiront des stimulations de croissance qui, chez l’enfant, permettront le développement normal de l’appareil masticateur.
Parfois, ces fonctions sont anormales ou perturbées, comme par exemple : – l’absence de fonction «préhension / morsure» entre les incisives
– l’absence d’une mastication unilatérale alternée efficace.
Les conduites alimentaires vont donc jouer un rôle essentiel car elles constituent les premières fonctions dévolues à l’appareil masticateur.
Les sollicitations musculaires importantes développées au cours des cycles masticateurs vont jouer un rôle de stimulation au niveau des sites de croissance que sont la suture médio-‐palatine et le périoste.
Ceci aboutit à l’augmentation de la croissance transversale des mâchoires et donc à une expansion transversale des arcades dentaires, et ainsi, par le déverrouillage occlusal, une bonne croissance mandibulaire par facilitation des mouvements de propulsion mandibulaire.
Des muscles masticateurs efficients et puissants permettent d’acquérir une morphologie cranio-‐faciale normale.(19)
1.3.1.2 Modifications des comportements alimentaires et dysmorphoses
Le régime alimentaire a un effet sur la croissance faciale. Depuis la révolution industrielle, la texture des aliments proposés ainsi que les changements d’habitude et de comportement n’encouragent pas les jeunes enfants à réaliser un véritable exercice de mastication (12). Avant le néolithique et la naissance de l’agriculture, les hommes étaient des chasseurs, cueilleurs et mangeaient des aliments durs et fibreux ; ceci peut expliquer la faible prévalence des malocclusions dans les recherches archéologiques. (20)
La fonction de préhension et morsure, chez l’homme moderne, est une fonction qui a été progressivement abandonnée en raison de notre mode de vie et de notre type d’alimentation. Les aliments sont préparés, détaillés en petites particules, plus faciles à digérer, et nécessite très peu d’activité masticatrice comparé à la capacité réelle du système masticateur.
À nouveau, les processus de croissance ne pourront pas s’exprimer complètement si les comportements fonctionnels naturels ne sont pas suffisamment développés.
Les caractéristiques rhéologiques, la texture et la dureté des aliments vont conditionner la plupart des paramètres caractérisant des cycles masticateurs. (21)
En présence d’aliments mous, attendris ou semi-‐liquides, il ne sera pas nécessaire de développer des cycles masticateurs très larges ni une très grande quantité de travail musculaire. En effet, ces aliments ne nécessitent pas de longues triturations ni le développement de larges mouvements latéraux. Des cycles masticateurs plutôt étroits et de faible amplitude suffisent habituellement. . Une alimentation molle entraînera peu de stimulations de croissance et les mâchoires aussi bien que les arcades dentaires resteront plus étroites.
Au contraire, en présence d’aliments durs, résistants, coriaces, non attendris, non ramollis, la mastication devra s’adapter en décrivant des cycles plus larges et en développant un travail musculaire plus important, stimulant la croissance.
Les performances masticatrices seront donc largement dépendantes de la qualité des aliments.
Anderson et al (22) ont étudié l’effet de la consistance du bol alimentaire sur le cycle masticatoire, en voici les conclusions :
-‐ La mastication d’aliments durs n’entraîne pas une augmentation de la durée du cycle masticatoire.
-‐ Elle entraîne une extension de l’amplitude des mouvements masticateurs, à l’exception de la phase occlusale.
-‐ Une augmentation de la vitesse des mouvements mandibulaires est constatée à toutes les phases, sauf celle de fermeture occlusale.
Les travaux de Lieberman ont également été fait autour de ce sujet. L’hypothèse de départ était que les changements dans les préparations alimentaires au cours de ces derniers milliers d’années ont contribué à un développement facial plus faible, en réponse à des contraintes masticatrices diminuées.
Une étude expérimentale a été réalisée sur des mammifères rétrognathes (Hyrax ou Damans), qui comparait la croissance mandibulaire entre deux groupes, l’un mastiquant des aliments durs et l’autre des aliments mous. (23)
Les résultats ont montré que le groupe qui mangeait des aliments mous a eu une croissance mandibulaire significativement inférieure par rapport au groupe ayant mastiqué des éléments à consistance dure.
L’interprétation de ces données serait de considérer qu’une musculature masticatrice réduite, en lien avec la typologie faciale ou le mode alimentaire, conduit à l’apparition de dysmorphoses cranio-‐faciales.
Une expérience de Zink et Lieberman (24), réalisée sur des hommes, confirme le lien existant entre le mode alimentaire et la force musculaire développée. Les techniques de préparation
alimentaire (aliments coupés, écrasés ou rôtis) nécessitent moins de force musculaire masticatrice que si les aliments n’étaient pas préparés.
La préparation alimentaire et la consommation de viande (qui apporte plus d’énergie en mastiquant moins) semblent être en lien, dans l’évolution humaine, avec la diminution du volume facial, de la taille des dents et de l’appareil masticateur, permettant une architecture faciale adaptée aux autres fonctions (par exemple la phonation et le langage) mais aussi une modification de volume et de forme du cerveau.
Ainsi, depuis la révolution industrielle, il existe une augmentation des dysmorphoses dento-‐faciales. Contrairement à l’alimentation dure d’autrefois, de nos jours, l’alimentation industrielle est très largement composée d’éléments à consistance molle. En conséquence, les hommes actuels mâchent moins et les contraintes masticatrices mises en jeu sont bien moindres, sollicitant moins la croissance et aboutissant à de plus fréquentes dysmorphoses.
« N’oublions jamais que la mastication est la gymnastique naturelle de l’appareil masticateur ! Nos lointains ancêtres ne le savaient peut-‐être pas mais ils la pratiquaient.