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Evolution du lieu de culte du IIIème siècle à nos jours, du quasi-domestique à l’exaltation de

2 « Une forme forte » 1 , voir et être vu :

III. Une architecture sacrée ? Du retable au paysage

1. Evolution du lieu de culte du IIIème siècle à nos jours, du quasi-domestique à l’exaltation de

la puissance

Au fil des siècles se sont succédés des modèles qui érigeaient la puissance, et si les édifices religieux furent le lieu d’expérimentations et d’avancées techniques majeures, cela tend à se résorber. La perte de vitesse et de puissance de l’église, due à la séparation de l’instance religieuse et de l’État dans de nombreux pays, a considérablement diminué les fonds alloués à leur constructions. Nous étudierons les évolutions du lieu de culte catholique, au fil d’une lecture de l’ouverture, physique et symbolique de l’Église.

La Maison Église

Au cours des trois premiers siècles du christianisme, les chrétiens se rassemblent dans des « maisons d’habitation, en adaptant l’espace intérieur et la décoration à la liturgie. Au IIe siècle, à Rome, Justin affirme qu’il prêchait aux fidèles qui venaient le visiter, dans son appartement aménagé dans un insula1. Doura Europos est

l’unique «   maison église  » pré-constantinienne connue de l’archéologie2, la sobriété et la discrétion du bâtiment est alors de

rigueur, puisqu’à cette époque les chrétiens sont persécutés3. C’est

probablement l’une des raison qui a motivé les principes de l’organisation de la maison, autour de l’intimité d’un cloître.

1 JUSTIN MARTYR, Actes, ch. 2.

2H. KRAELING Carl, The Excavations at Dura Europos, Final Report VIII,

Part II. The Christian Building, New Haven, 1967.

3SOTINEL Claire, «  Avant le ive siècle, la discrétion est une vertu inspirée

par une dure nécessité  », « Les lieux de culte chrétiens et le sacré dans l’Antiquité tardive », Revue de l’histoire des religions, 4 | 2005, 411-434.

la chapelle abrite celles de la Sainte Ana, comme en témoigne un

écriteau à l’intérieur, elle a aussi été bénie en septembre 2014, par l’évêque Juan Rubén Martinez, du diocèse de Posadas.

L’enjeu pour les architectes est d’y associer le climat religieux approprié, en jouant avec la lumière, les matériaux, la forme et l’acoustique. Pour les rois, les enjeux sont d’asseoir leur pouvoir ; en faisant édifier des monuments colossaux, ils donnent à voir une représentation physique de la suprématie de l’empire ou du royaume.

Les rites sont orchestrés par les missels, et les conciles édictent des règles de bienséance, universelles au sein de l’église, afin de rendre plus commodes les cérémonies, et d’actualiser les pratiques au gré de l’évolution sociétale.

Au travers de l’état des lieux qui va suivre, nous verrons comment l’espace du lieu de culte a évolué au fil des siècles et des réformes. Nous verrons comment les lieux de culte catholiques se sont petit- à-petit, affranchis des principes qui les régissaient : comment d’un espace dissimulé, nous sommes allés vers un édifice qui exalte la richesse et la puissance de l’instance religieuse, comment d’un espace et d’une pensée hermétique, l’église a admis puis préconisé davantage d’ouverture sur l’extérieur, physiquement et symboliquement. Illustration d’une évolution certaine de l’église en tant qu’instance, ce phénomène se lit dans l’architecture contemporaine, au profit de l’avènement d’une richesse conceptuelle, et matérielle. 140

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En 313, l’Édit de Milan est prescrit par Constantin Ier, le même empereur qui, dès 324, veille à la restitution aux Églises de leurs lieux de cultes. Tout en régularisant le statut juridique de la propriété ecclésiastique, il établit la liberté de culte individuel et met fin aux persécutions des chrétiens.

Suzanne Robin nous apporte des précisions sur la disposition de ces maisons : La « Maison-église », dans la Rome chrétienne, « recouvrait des ensembles résidentiels de plusieurs étages contenant une grande salle de réunion spéciale, inspirée des synagogues, où se réunissait l’Ekklesia (l’église) pour la célébration du culte, et où fut placé très tôt, un autel1. »

« Au IIème et IIIème siècle, à Rome, le plan général était à peu près carré. Il y avait un petit vestibule d’entrée qui devint le narthex : au milieu était l’église proprement dite, ou salle lithurgique, comportant des piliers pour soutenir le toit à deux pentes ».2

Le temps des basiliques

L'édit de Constantin activa les conditions de la manifestation de la foi, et les basiliques, dont l’architecture était nourrie des canons architectoniques du temple païen, commencèrent à fleurir. L’empire Byzantin fut le lieu de nombreuses constructions pour lesquelles les baies étaient placées en hauteur, de telle sorte que la lumière céleste pénètre l’intérieur de l’édifice. La plupart des  édifices religieux qui furent construits entre le IVe et le XXe étaient hermétiques à leur environnement extérieur. Peu poreux, ils étaient éclairés par des ouvertures élevées au-dessus du regard. Stephanie

1ROBIN Suzanne : « Églises modernes, évolution des édifices religieux en

France depuis 1955 » Hermann, Paris, 1980 p 5

Plan-type de Doura Europos

source : Wikipedia, « Domus ecclesiae de Doura Europos »

À l’aube de la construction d’édifices consacrés au culte chrétien, des confesseurs sont déportés aux mines de cuivre de Phaino, au sud de la mer morte. Vers 310, un relâchement de la persécution se fait sentir, et leur permet de «  construire des bâtiments pour servir d’églises  ». Désignés par Eusèbe1 par le terme oikoi, il s’agirait

probablement des « premiers édifices spécifiquement destinés à abriter les réunions liturgiques d’une communauté donnée2. » En

outre, rien ne permet de savoir si certains des « temples », des « églises », des « maisons de prières » confisqués ou détruits par les persécuteurs du IIIe et du début du IVe siècle avaient été construits spécifiquement pour le culte chrétien.3

1DE CÉSARÉE Eusèbe, proche de l'empereur romain Constantin Ier. Il est

l'auteur de nombreuses œuvres historiques, apologétiques, bibliques et exégétiques.

2MAYEUR Jean-Marie,Luce Pietri,André Vauchez,Marc Venard, «  

Naissance d'une chrétienté (250-430): Histoire du christianisme  » p586

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par les nouvelles techniques, traduisait dans la pierre la pensée du Pseudo-Denys : la « lumière intelligible » rassemblait et réunissait fidèles et officiants, « ramenant la variété de leurs visions à une seule connaissance. » L’auteur ajoute à ce titre :

« Cette irradiation lumineuse était encore complétée par les éléments du décor : les vitraux [...] La basilique cessa d’être ce qu’avaient été jusqu’alors les églises monastiques romanes, [...] un espace clos, souterrain, obscur1. »

À la Renaissance, en France, la société s’inspira de l’art Antique, et les Églises, participèrent de ce modèle, en vertu de l’image de la ville, qu’elles furent destinées à orner « comme les palais et les théâtres2. » « Les lumières », écrit Patrick Mestelan3, « dans le

sillage de la renaissance se réclamaient de la clarté. » Métaphore de la pensée occidentale, la clarté est une victoire sur ce que la raison a dénommé l’obscurantisme. La valeur sacrée de la lumière n’est plus le symbole gothique de la « lumière divine intériorisée », elle pénètre l’édifice par une ouverture de palais, lieu du pouvoir temporel. Patrick Mestelan, y perçoit le signe d’une Église qui tend à s’ouvrir sur l’extérieur, « sur les sciences et la connaissance, sur l’univers4. »

Dans le Traité pratique de la construction, de l'ameublement et de la décoration des églises, tome 15, rédigé par M. X. Barbier de

Montault, et publié en 1878, sont énoncées les règles que doivent

1DUBY Georges, L’Europe des cathédrales, Genève, Skira, 1966, p. 16.

2ROBIN Suzanne : « Églises modernes, évolution des édifices religieux en

France depuis 1955 » Hermann, Paris, 1980 p 17

3Mestelan Patrick, L'ordre et la regle: vers une theorie du projet

d'architecture, PPUR presses polytechniques, 2005 p 251

4 Ibid.

5BARBIER DE MONTAULT X. Traité pratique de la construction, de

l'ameublement et de la décoration des églises, selon les règles canoniques et les traditions romaines, rédigé par t, Paris, 1878

Bruno, décrivait à ce titre3 que le positionnement des vitraux était

ainsi, « pour laisser passer la lumière, sans que l’on puisse voir au travers. Une ouverture laisse entrer le divin, la créature divine, ne laissant sortir que les plaintes, et les prières. »

Le moyen âge et la renaissance

L’évolution de l’architecture est régie par les avancées techniques, et/ou par les courants esthétiques, qui l’infusent au fil de cycles rompus par l’émergence de nouvelles formes d’art, et d’avant gardes. Parfois, c’est la technique qui fait évoluer l’architecture, parfois c’est une volonté esthétique qui fait évoluer la technique. Les constructions romanes et gothiques ont été le fruit de l’innovation technique et c’est la volonté des hommes d’honorer leurs dieux, et de communiquer avec eux qui les conduit à ériger des temples, des églises, et des cathédrales. Ils mettent au point des nouvelles technologies, afin de construire, plus grand, plus beau, plus majestueux, à l’image de leur culte. Les édifices religieux constituent à cette époque, un vaste terrain d’expérimentation et d’exploration, pour les architectes, les ingénieurs, les artistes et les charpentiers.

Serge Bramly énonce, dans un ouvrage2 qu’il consacre à l’évolution

du verre, ce qui serait selon lui, le paradoxe des cathédrales gothiques : « [élevées] en flèches pour gagner en clarté » mais « bien plus coupées du monde extérieur ». Le style gothique s’illustre, d’après B.Martin par une « irradiation lumineuse3. » L’ouverture de

baies bien plus vastes que les ouvertures romanes, rendue possible

3BRUNO Stephanie, Par la fenêtre du toit : l’union mystique à l’époux

animal, à partir du lai de Yonec de Marie de France, et de récits

mythologiques celtes et japonais texte isssu de l’ouvrage : Par la fenestre, Études de littérature et de civilisation médiévales, Chantal Connochie- Bourgne

2BRAMLY Serge, La transparence et le reflet, JC Lattès, 16 sept. 2015

3MARTIN.B, La symbolique chrétienne de la lumière,CDAS de Saint-

Etienne liturgiecatholique.fr/

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