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Etude bibliographique

3. Evaluation de la biodiversité à l’échelle de la parcelle et de l’exploitation

Pour concilier production et biodiversité à l’échelle de l’exploitation, il n’est pas indispensable de rechercher une diversité floristique élevée sur toutes les parcelles. Un territoire hétérogène, avec notamment un mélange de parcelles contrastées par le nombre d’espèces, le milieu, ou la nature des espèces présentes, pourrait être plus favorable à la diversité animale et végétale dans l’exploitation qu’une forte diversité floristique dans un territoire homogène (Steiner et Köhler, 2003 ; Dauber et al., 2003 ; Hoffmann et Greef, 2003). Dans une exploitation herbagère, l’hétérogénéité du territoire est déterminée conjointement par la diversité des types de prairie et par la diversité des modes d’utilisation des types de prairie et des parcelles au sein d’un type, qui aboutissent à un contraste de biodiversité entre parcelles.

Les indicateurs : des outils utiles pour approcher la biodiversité

Les mesures directes de la biodiversité sont longues à réaliser à l’échelle de la parcelle et de l’exploitation, et demandent l’intervention de spécialistes, c’est pourquoi on a souvent recours à des indicateurs. Un indicateur a tout d’abord une fonction informative, mais il peut aussi servir de support pour l’aide à la décision (Bockstaller et al., 2003). Peeters et al. (2004) distinguent : des indicateurs d’état, issus de mesures directes de variables corrélées à la variable d’intérêt (ex. : abondance d’espèces indicatrices) et des indicateurs indirects, qui mesurent l’intensité de facteurs qui agissent sur la variable d’intérêt (ex. : intensité des pratiques agricoles).

Les indicateurs d’état consistent souvent en une évaluation de l’abondance d’un petit nombre d’espèces sélectionnées pour leur représentativité ou leur rareté. Parmi les méthodes examinées par Braband et al. (2003), seule une méthode hollandaise (« Yardstick for Biodiversity », Van Wenum, 1999) mesure la biodiversité naturelle (d’espèces sauvages) au sein de l’exploitation, mais demande de longs relevés in situ. Des méthodes d’évaluation du niveau de biodiversité animale et végétale à partir d’indicateurs visuels simples (présence d’éléments fixes du paysage, couleurs des fleurs et des papillons, présence de quelques espèces animales et végétales facilement reconnaissables, …) ont été mis en place, en Suisse (SRVA, 2002) et en France (Orth et al., 2004).

Les indicateurs indirects consistent souvent en des indicateurs de pratiques, et en particulier l’utilisation de pesticides et d’engrais (Braband et al., 2003). Pour les systèmes

les indicateurs d’état peuvent présenter les mêmes inconvénients que les mesures directes, les indicateurs indirects peuvent être faciles et rapides à mesurer, accessibles à des non-experts (Crabtree et Brouwer, 1999).

Les indicateurs offrent des perspectives intéressantes pour le développement et la sensibilisation. Des indicateurs, principalement indirects, ont été mis en place dans différents pays d’Europe dans le cadre d’évaluations de l’état environnemental des exploitations agricoles. La principale limite des indicateurs réside dans la validité des hypothèses qui relient les pratiques à la biodiversité (Brouwer, 1999): ainsi, un indicateur basé sur l’application de pratiques environnementales ne permet pas d’évaluer l’effet de ces pratiques sur la biodiversité. Par ailleurs, les indicateurs sont souvent site-spécifiques, c'est-à-dire difficilement transposables entre régions ou pays (Büchs, 2003).

Pour une évaluation exhaustive à l’échelle de l’exploitation, il est indispensable de considérer des indicateurs à l’échelle de la parcelle (Van der Werf et Petit, 2002). En effet, sans tenir compte des effets parcellaires on ne peut se rendre compte des éventuelles discordances, comme par exemple une chute drastique de la diversité floristique dans une parcelle (biodiversité α), alors que des indicateurs de biodiversité à l’exploitation comme contraste entre parcelles (biodiversité ) ou le nombre d’espèces total à l’exploitation (biodiversité ) augmentent.

Les typologies de prairies : des indicateurs du contraste entre parcelles

La plupart des typologies existantes ont été conçues au départ comme des outils d’aide au conseil technique en matière de conduite des surfaces fourragères, et privilégient donc les critères agronomiques à la diversité floristique. Ces typologies peuvent néanmoins permettre de rendre compte de l’hétérogénéité, voire du contraste de biodiversité entre parcelles au sein d’une exploitation, car elles donnent un aperçu de variables liées à la biodiversité, comme le niveau de nutrition minérale, le taux de consommation de l’herbe ou encore le rythme d’utilisation.

De nombreuses typologies ont été construites, principalement à partir de critères de composition botanique, qui ont l’avantage d’être relativement faciles à mesurer, d’être liés à la production des prairies, et de répondre aux modes d’utilisation (Vivier, 1990 ; Delpech, 1993). Des typologies agronomiques ont été réalisées en interprétant la composition botanique avec des indices spécifiques (ex : Cantal, Margeride et Jura : Daget et Poissonnet, 1974), la proportion de très bonnes graminées comme le ray-grass (ex : pays de Herve, Belgique :

Tableau 1 : Construction de la biodiversité à différentes échelles spatiales, en rapport avec les facteurs de conduite et les interactions troupeau - ressources herbagères.

Echelle spatiale

Exploitation d’élevage Parcelle Faciès

Pratiques impliquées

Attribution d’une fonction aux parcelles Allotement du troupeau Gestion du pâturage Gestion de la fauche Fertilisation Chargement instantané Complémentation des animaux Interactions troupeau- ressources Dynamique saisonnière d’utilisation des ressources par le troupeau

Durée, intensité du pâturage Nombre de fauches

Stades de récolte

Ingestion sélective et spatialisée des animaux

Mesure de biodiversité

Contraste entre parcelles (diversité ) et effet sur la diversité à l’exploitation

Nombre d’espèces par parcelle (diversité α)

Contraste entre faciès (diversité ) et effet sur la

Peeters et Lambert, 1990), ou encore le type fonctionnel de graminée dominant (ex. : Pyrénées : Ansquer et al., 2004 ; Massif Central : Louault et al., 2005). D’autres typologies ont été construites en croisant la composition botanique avec des facteurs du milieu et/ou de pratiques comme le mode d’utilisation dominant par fauche ou pâture (ex : Alpes du Nord : Fleury et al., 1988 ; Jeangros et al., 1991) ou l’intensification (ex : plateau Lorrain : Plantureux et al., 1992 ; Suisse : Thoeni et al., 1991 ; Daccord et al., 1999).

Certaines typologies sont aujourd’hui complétées à partir de mesures directes de la biodiversité (nombre d’espèces, indice de rareté des espèces) (Petit et al., 2004 ; Plantureux et al., 2005b) pour permettre, en plus d’un diagnostic agronomique (potentiel de production et utilisation souhaitable), un diagnostic environnemental (potentiel de biodiversité et voies d’amélioration).

Les modèles : un moyen d’aborder la biodiversité à l’échelle de l’exploitation ?

Pour comprendre et évaluer les liens entre production et biodiversité à l’échelle de l’exploitation, il faut pouvoir expliciter : i) la diversité du territoire de l’exploitation en termes de types de prairies, en associant à chaque type un mode d’utilisation, ainsi qu’une production et une biodiversité potentielles ; ii) la dynamique saisonnière d’utilisation des prairies par le troupeau d’herbivores, et ses conséquences pour la production saisonnière et pour la biodiversité sur le long terme (5-10 ans). Le tab 1 récapitule plus en détail les échelles spatiales, les pratiques et les phénomènes biologiques à prendre en compte pour caractériser la biodiversité d’une exploitation herbagère.

Plusieurs modèles de simulation de systèmes d’élevage herbagers ont été construits dans les quinze dernières années. On distingue parmi eux : i) des modèles d’aide à la décision pour la conduite du pâturage des vaches laitières (ex. : Delaby et al., 2001 ; Cros et al., 2001), ii) des modèles pour le développement qui optimisent la structure de l’exploitation et la conduite en fonction d’objectifs le plus souvent économiques (ex. : ovins viande : Donnelly et al., 2002 ; vaches laitières : Herrero et al., 1999 et Pacini et al., 2004 ; bovins allaitants : Veysset et al., 2005), iii) des modèles de recherche ou de développement qui détaillent les processus biologiques et permettent de tester l’impact de différentes stratégies de conduite, structures d’exploitation ou milieux sur le fonctionnement du système fourrager (ex. : ovins viande : Cacho et al., 1995 et Donnelly et al., 1997 ; bovins laitiers : Andrieu, 2004 ; bovins allaitants : Teague et Foy, 2002, Romera et al., 2004 et Rotz et al., 2005).

Tableau 2 : Variables du milieu dans une typologie simple des associations prairiales d’Auvergne. Le milieu est caractérisé par les indices d’Ellenberg pour l’humidité (Hum), pour le pH (pH) et pour les minéraux (Min).

Indices d’Ellenberg Classe de fertilité Classe F/P Code Nombre d’association s Min Hum pH Altitude (m) Diversité moyenne (nombre d’espèces) Fauche FP 1 33 47 39 1410 22 Pauvre Pâture PP 19 26 31 64 834 25 Fauche FM 9 46 46 60 747 34 Moyen Pâture PM 4 41 37 63 812 30 Fauche FR 10 62 45 70 652 31 Riche Pâture PR 3 63 56 61 887 18

Tableau 3 : Espèces de graminées indicatrices pour six types de prairies d’Auvergne croisant la fertilité et le mode d’utilisation. La valeur indicatrice des espèces pour un type de prairie (Indicator Species Analysis) est l’abondance relative d’une espèce dans les associations du type considéré, exprimée en % au dessus de l’abondance moyenne de la même espèce dans toutes les associations. Signification de la valeur indicatrice : + : 0.05<p<0.1 ; * :p<0.05 ; ** : p<0.01 ; *** : p<0.001.

Classe de

fertilité Classe F/P Espèces indicatrices

Valeur indicatrice Pauvre Pâture Festuca lehmanii Koeleria cristata Brachypodium pinnatum Phleum phleoïdes Nardus stricta Festuca ovina 63 *** 42 *** 41 * 25 * 21 + 16 + Fauche Anthoxantum odoratum Holcus lanatus

Festuca rubra

72 ** 67 *** 53 * Moyen

Pâture Briza media Bromus erectus 58 * 42 * Fauche Arrhenatherum eliatus Dactylis glomerata Poa pratensis Trisetum flavescens

Avena pubescens & pratensis Lolium perenne Cynosorus cristatus 86 *** 74 *** 74 *** 68 ** 64 *** 54 *** 48 ** Riche Pâture Agrostis stolonifera Poa trivialis Poa annua Alopecurus pratensis Bromus hordaceus 66 ** 50 * 33 + 31 + 29 +

Ces modèles sont centrés sur des objectifs de production, sous l’angle biologique (biomasse produite), fourrager (autonomie de l’exploitation) ou économique (marge brute dégagée). Les préoccupations environnementales allant croissant ces dernières années, les modèles de systèmes d’élevage intègrent de plus en plus soit des pratiques environnementales en entrée, soit des variables environnementales en sortie, souvent autour de problèmes d’effluents d’élevage (Teague et Foy, 2002 ; Rotz et al., 2005). Andrieu (2004) a récemment construit un modèle de simulation qui représente explicitement la diversité du territoire de l’exploitation, en caractérisant chaque parcelle par son altitude, son exposition, sa distance au siège et son type de prairie. Ce modèle a pour but de comparer l’efficacité d’utilisation des ressources fourragères en termes d’autonomie fourragère et de résistance aux aléas climatiques, selon si la stratégie de conduite de l’éleveur prend en compte ou non la diversité du territoire. Aucun modèle actuellement publié ne considère les systèmes d’élevage allaitants herbagers et leur rôle dans la gestion de la biodiversité des prairies.

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