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M EURTRE OU EXECUTION POLITIQUE

Chapitre 6 Deux éthiques de la lutte

6.4 M EURTRE OU EXECUTION POLITIQUE

ETA est l’organisation « terroriste » dont la durée de vie en Europe occidentale est la plus longue, plus d’un demi siècle. On souligne souvent ce point apparemment étonnant que le groupe a commis plus d’attentats meurtriers après la transition démocratique qu’avant. Bien que la question soit délicate à aborder dans des entretiens en face-à-face, ceux-ci permettent de cerner les attitudes et les postures discursives que les militants adoptent face au sujet de l’exécution politique ou simplement de l’assassinat.

Du côté d’IK, nous avons vu que l’atteinte aux personnes constituait une « ligne rouge » que les militants se sont interdits de franchir dès l’origine de l’organisation. Tel n’est pas le cas d’ETA puisque celle-ci s’est rendue célèbre par sa première « action d’éclat », l’attentat contre Carrero Blanco qui eut lieu le 20 décembre 1973 mais qui fut préparé bien des mois en amont1. Les entretiens dévoilent les réactions des militants face à la trajectoire de

l’organisation qui va de l’exécution du dauphin du dictateur au meurtre – certes souvent non- volontaire – de civils étrangers au conflit.

D’un point de vue subjectif et affectif, le panel des émotions s’étend de la joie de l’attentat contre Carrero Blanco « en los nubes », célébré dans de nombreuses chansons qui animaient chaque été les fêtes de village du Pays basque sud, à l’absence d’empathie et de compassion lors de l’exécution de figures marquantes de la dictature (tel Carrero Blanco) ou de la répression comme Melitón Manzanas, tortionnaire notoire et déjà bien connu à l’époque de ses agissements. Idris se souvient de l’année de l’exécution de Manzanas, alors qu’il avait à peine 13 ans :

« La même année [en 1968], ils [ETA] ont tué un policier national à Irún, Melitón Manzanas, qui était le plus grand tortionnaire qu’il y a eu. C’est le premier mort fait par l’organisation. Ça commence comme ça l’histoire. Melitón Manzanas, ce policier a même torturé mon parrain. Ici, en France ou l’administration française qui est au Pays basque, il y avait une commetta : on faisait passer les pilotes anglais, à Ciboure, Irún, Hendaye, etc. Et l’un était le frère de mon parrain qui réalisait les passages de frontière. Comme il avait l’habitude de venir avec son frère […], ils l’ont attrapé à la frontière à Irún et l’ont torturé, lui et son épouse qui était ma tante. Depuis petit, je savais qui était le tortionnaire. J’étais un enfant quand ils l’ont tué en 68 mais je savais qui c’était. J’étais très content quand ils l’ont tué. Vraiment ! »2.

L’attentat contre Carrero Blanco est l’exemple par excellence de l’assassinat politique. L’homme va succéder à Franco, désigné par ce dernier comme susceptible de permettre la perpétuation du régime franquiste. Dès lors, il constitue en tant que tel pour ETA un objectif

1 Voir le film portant le titre de l’action « Operación Ogro », réalisé par Gillo Pontecorvo.

2 Cette attitude se retrouve également chez des militants impliqués dans la logistique de l’organisation [mais qui n’ont pas connu la torture dans leur famille], tel Vicenzo : « Je comprends la souffrance de ses frères, des gens qui ne comprennent rien, qui sont en Andalousie mais par contre des gens comme Arregui. Aujourd’hui qu’ils me disent que Melitón Manzanas ou Carrero Blanco sont des pauvres innocents qui ont souffert, c’est quand même… !! Vous regardez la télévision les victimes Carrero Blanco, c’est au même titre que les autres… ! Je vais pas pleurer pour ce tortionnaire à Bilbao qui a été exécuté par ETA. Je sais qu’il torturait, c’est vrai. Je n’ai aucun doute. Tout le monde le savait et que la police a torturé dans le Pays basque, ça c’est évident. »

politique, en ce sens que son élimination doit contribuer à enrayer la dictature. Cet attentat reproduit le cas d’école du médecin du tyran1, autour duquel une forme de consensus quant

au bien-fondé de sa disparition est susceptible d’émerger. L’action se comprend d’elle-même et s’avère paradigmatique de l’exécution à vocation politique et « pédagogique ». Il s’agit bien, à travers elle, de montrer aux Basques et aux militants politiques que quelque chose est possible contre la dictature, qu’une forme de résistance voire d’action politique contre ce régime est envisageable et réalisable. C. Blanco incarne la continuité du régime fasciste soutenu notamment par l’Opus Dei et par la Phalange. Neuf militants d’ETA avaient été tués avant 1973 (Txabi, Txapela, Xenki, Mikelon, Iharra, Txikia, Jon, Beltza et Josu) et une répression intense s’abattait sur la classe ouvrière, répression menée par la grande bourgeoisie. ETA présente l’action du 20 décembre 1973 comme un « cadeau » fait aux peuples du Pays basque, d’Espagne, de Catalogne et de Galice aussi bien qu’à tous les démocrates, révolutionnaires et antifascistes (voir l’Annonce faite par ETA, 20 décembre 1973, p. 152). Cet attentat est également conçu par l’organisation comme visant le sommet d’un « État de terreur » et comme une réponse immédiate au meurtre de Josu Artetxe, tué à l’arme automatique (Documents Y, vol. 15, p. 223). L’action est qualifiée de « justice [rendue] au nom du Peuple » (Documents Y, vol. 15, p. 337) et constitue un avertissement pour l’oligarchie contre laquelle ETA avait déjà déclaré la guerre (Documents Y, vol. 15, p. 362 in Nuñez, 1993, p. 150- 151).

De fait, la fonction « pédagogique » de l’opération a trouvé un écho dans l’ensemble du territoire basque. L’action intervient comme un détonateur – au sens propre comme au sens figuré – qui non seulement a marqué les consciences – jusqu’en France puisque la gauche française a longtemps manifesté une forme de tolérance à l’égard d’ETA du fait de ce geste – mais qui a également pesé sur les trajectoires militantes individuelles. Franck, Rémy et Xavier le reconnaissent :

« La gauche abertzale a lutté contre Franco. ETA a tué le bras droit de Franco, Carrero Blanco en 73. […] Mais les gens savaient que c’était presque les seuls [i.e. ETA] qui avait fait face à Franco – il y en avait d’autres aussi, le MIL, plein de petits groupes. Mais là, il y avait un mouvement assez fort. Quand Franco est mort, les forces dans la rue, ça se sentait. Les gens voulaient changer les choses. Alors c’était facile d’aller dans la direction de la vague. Peut-être plus facile que pour un autre mouvement plus minoritaire. Peut-être, je sais pas. » (Xavier)2.

Non seulement les auteurs de l’attentat, mené à bien par le commando Txikia regroupé autour d’Argala, sont célébrés comme des héros par l’organisation mais aussi dans une large part du Pays basque. Cet événement participe en outre de la cohésion sociale d’une communauté autour de l’opposition à la dictature. Les militants se souviennent avec tendresse des fêtes de village où tout le monde lançait sa chemise au ciel, lorsque les chansons célébrant l’attentat contre Carrero Blanco s’entonnaient. Ils évoquent également les bouteilles de champagne qui attendaient au frais pour être ouvertes à la mort du dictateur.

L’évocation de l’exécution de tortionnaires comme M. Manzanas est l’occasion de souligner l’injustice de la répression et leur place dans le système répressif espagnol3.

1 Platon, République, IV, 425 e et sqq. ; VI 493 a-d ; Lois, IV, 720 a sqq. ; Gorgias, 517 c et sqq.

2 Rémy lui fait écho : « J’ai vécu quand j’étais enfant, l’action contre Carrero Blanco : ça, ça a été quelque chose qui nous a tous marqués énormément. » « Le premier drapeau basque, l’ikurriña, était illégalisé. De temps en temps, tu entendais, tu voyais une ikurriña. Et voilà. C’est là que j’ai commencé à prendre conscience que j’étais basque. Et tout ça c’était l’ETA qui faisait donc… Après, il y a eu l’attentat de Carrero Blanco : putain ! Tu t’imaginais que derrière tout ça, il y avait quelque chose d’énorme. »

3 À ce propos Vicenzo ne mâche pas ses mots : « Moi, j’ai fêté beaucoup de fois avec le champagne les exécutions de tortionnaires, de répresseurs, de choses comme ça. J’ai crié “Gora ETA-militar !”. Je suis responsable de ce qu’ils ont fait. […] Les tortionnaires sont récompensés par la garde civile. Ceux qui ont

Torturant ouvertement et impunément les militants basques voire leur entourage, le système se délégitime aux yeux de ceux qu’il réprime et des minorités présentes en Espagne. Les acteurs ne manquent pas de rappeler les passages entre institutions, la perméabilité entre système politique, judiciaire et policier, la collusion entre le pouvoir et la répression illégale. D’aucun mentionne les photos d’identité données à la préfecture en France pour que les réfugiés puissent demeurer légalement dans l’hexagone et le fait que les GAL les utilisaient pour retrouver les militants basques réfugiés en Iparralde. D’autres soulignent la façon dont la justice fermait les yeux sur la torture ainsi que s’en souvient Fabienne arrivée commotionnée à l’Audience nationale, après avoir été passée à tabac pendant plus d’une semaine à la brigade centrale d’information de Madrid. Nombreux sont ceux qui dénoncent les formes illégales de répression, l’institutionnalisation de la torture en Espagne et la complicité de la France dont les gendarmes à partir des années 1980 remettent à la garde civile espagnole, notoirement connue pour ses pratiques de torture, les réfugiés basques.

D’un point de vue cognitif et historique, certains expliquent l’attentat contre C. Blanco en le réinscrivant dans le temps long de l’histoire espagnole. Ainsi Gaya rappelle et institue une continuité historique entre le bombardement de Guernica et l’exécution de Carrero Blanco1.

De façon récurrente, l’inscription historique, que ce soit sous la forme de la continuité ou selon la modalité de la comparaison, permet aux militants de rationaliser les formes de violence mises en œuvre par l’organisation. Cette rationalisation ne donne pas exclusivement lieu à une justification – comme le voudrait la littérature (voir Sommier, 2008 ; Della Porta, 2013) – mais contribue à donner sens, à rendre raison de ces périodes historiques.

Dans cette logique cognitive, la référence à la résistance menée durant la seconde guerre mondiale est convoquée de façon récurrente. La mobilisation de ce paradigme reçoit au moins deux explications dans le cadre de cette recherche : une large part des entretiens menés avec d’ex-militants d’ETA a été réalisée en France auprès d’individus installés de longue date dans le pays ; ces derniers s’adressaient en outre à une enquêtrice française pour laquelle cette référence est éminemment signifiante. Le caractère apparemment incongru de la comparaison n’échappe toutefois pas aux militants. Elle paraît d’autant plus décalée que les résistants sont actuellement célébrés en France comme des héros, alors qu’ETA n’est jamais sortie de son statut d’organisation terroriste qui a, de surcroît, aujourd’hui rendu les armes aux deux États. Néanmoins le paradigme de la résistance autorise la conversion de l’exécution politique en devoir. Le discours de Vicenzo permet de le comprendre :

« Certains me disent : je ne peux pas te donner ma main droite parce qu’elle a été obligée de tuer quelqu’un. […] C’est un devoir, c’est pas un plaisir. Si tu tues à quelqu’un que tu ne connais pas ou à quelqu’un que tu connais que c’est un tortionnaire, c’est la même chose que la résistance française avec les Allemands – c’est ça que nous on a vécu – mais tu peux pas être fier d’avoir tué une personne. Tu le fais parce que tu dois le faire. Un garde civil, la police ou les choses comme ça, tu tues un uniforme, une fonction répressive, l’État

torturé à Tomas Igacaï, ils étaient dans le coup d’État de Tejero, il a pas fait un jour de prison. Il est responsable de la lutte en Catalogne, le 1er octobre [2017]. Il était colonel, était condamné pour torture, maintenant amnistié. Il a pas fait un jour de prison. Il a été si hautement gradé que l’Espagne l’envoie comme responsable de la garde civile [pour la répression en Catalogne] alors que c’est un putschiste, qui est entré avec les armes dans le Parlement espagnol !! ». Vicenzo rappelle également le cas de José Barrionuevo Peña, ministre de l’intérieur socialiste, condamné à 39 ans de prison pour avoir participé à un enlèvement commandité par les GAL et dont il souligne : « Il est entré à 10 h [en prison], accompagné de Felipe Gonzalez, il a mangé et il est sorti à 15 h de l’après-midi ! ».

1 « Quand Carrero Blanco, ils l’ont tué, on était très content. On a bu du champagne. Et quand ils tuaient des tortionnaires et compagnie, on était très content aussi. Quand ils ont tué Manzanas, il y a une chanson qui a été faite et tout. C’est pas rien ce que les Basques ont vécu. Ce qui se passe maintenant, ce qui s’est passé avec l’ETA, c’est la conséquence de ce qui s’est passé à Guernica. C’est les enfants de Guernica qui ont fait ça. »

espagnol. Tu n’as rien contre cette personne-là. En tant que personne, tu ne peux pas être fier. » (nous soulignons)

Les activistes des organisations illégales inscrivent ainsi l’exécution politique sous le paradigme du devoir, de la nécessité comme antonyme du plaisir, la rendant ainsi plus acceptable1. Dans cette logique, Rémy s’efforce de dépeindre une image des membres de

commandos se distanciant de celle de tueurs. À la question de référence, il répond :

« Les gens, ils nous traitent de terroristes, de violents, de radical mais ils savent pas que chaque fois que quelqu’un fait un attentat, c’est pas un plaisir de faire ce qu’on a fait. La première personne… qui va pas regretter – parce que c’est toi qui l’as fait consciemment – mais… tuer quelqu’un c’est pas un plaisir. Tu fais pas ça en rigolant. Voilà »2.

La prégnance du paradigme de la nécessité et du devoir va de pair avec le cadrage du conflit comme une guerre. Il marque très fortement les représentations puisqu’on le retrouve, y compris dans le discours de militants d’ETA dissociés tels Leonardo revenant sur son passé d’activiste armé3.

La mise à distance de tout plaisir ou de toute fierté autorise à concevoir ces actions comme une forme de « travail » et plus encore de « sale boulot » (Hughes, 1958). Dans le monde professionnel, cette catégorie désigne soit des professions méconnues ou dévaluées par opposition aux métiers prestigieux et valorisés, soit au sein de chaque métier ou fonction, des activités considérées comme indues ou ingrates (voir Lhuilier, 2005, p. 73). Dans le monde du travail, « le sale boulot » désigne les restes de la production socialement reconnue et valorisée. L’objet de ce type de travail est frappé du sceau du désaveu ou de la condamnation, ce jugement « contaminant » par effet de proximité les individus affectés à son traitement. Dans la sphère des « sales boulots » se conjuguent méconnaissance, rejet et déni. Or c’est précisément sous cette modalité que se trouvent appréhendées, lorsqu’elles sont abordées par les personnes rencontrées, les exécutions. Gaya qui a hébergé pendant des décennies des clandestins confie : « On m’avait raconté qu’est-ce que c’était dur de tuer… Ils ont tué pour quoi ? Pour faire pression contre le gouvernement qui décide, pour que le gouvernement se mette un jour à discuter. Ils m’avaient dit que c’était très très dur. » D’aucun objecterait que les militants d’ETA qui ont purgé leur peine de prison sont célébrés comme des héros à leur retour dans leur village d’origine. Pourtant la récurrence avec laquelle les acteurs soulignent l’absence de plaisir pris à ce type d’opérations, au-delà de l’opprobre et de la condamnation à la clandestinité qu’elles impliquent, permet de les placer sous la qualification du « sale boulot » d’autant qu’à strictement parler elles illustrent par excellence le fait de « se salir les mains » (voir Sartre, 1948) ainsi qu’une forme archétypique de transgression. Or il existe bien, dans la militance pour la cause basque, une division du travail initiée lors de l’institution de quatre fronts au cours de la Ve assemblée d’ETA en 1972 (voir aussi Lacroix, 2011, 2013, p. 50).

L’éthique du sacrifice, très présente chez les militants basques ainsi que nous l’avons précédemment vu, peut expliquer que certains « se dévouent » pour se consacrer aux tâches « physiquement dégoûtantes ou symbolisant quelque chose de dégradant et d’humiliant », lesquelles coïncident aussi avec « ce qui va à l’encontre de nos conceptions morales les plus héroïques » (Lhuilier, 2005). Le fait de ne pas se soustraire à cette tâche la plus compromettante – et qui n’est pas seulement celle qui implique le plus de risques – s’exprime dans le discours de militants d’ETA, y compris des plus jeunes générations comme Dimitri ou

1 S’y associe une récusation du plaisir ou de la joie au sein de ce type de lutte et d’actions (voir Rémy). 2 Voir la fin de la citation supra p. 149.

3 Interrogé sur la « justice » de ses actions passées, il répond : « C’était nécessaire, simplement. On croyait que c’était nécessaire. Alors on a une stratégie, on va frapper ces intérêts, et tout ça. Il y a, pour moi, une chosification de l’ennemi, comme à la guerre. »

Etan (voir supra p. 153-154). Nous verrons également que le cadrage de la guerre ne constitue alors pas simplement un discours de légitimation ou de justification mais participe des ressources symboliques convoquées pour apprivoiser le réel.

L’interprétation des exécutions en termes de « sale boulot » se laisse encore saisir à travers d’autres modalités des discours. En effet les militants ne manquent pas de souligner les traumatismes induits chez les auteurs de ces actes1. Mathieu qui participa à un commando –

ayant éliminé un tortionnaire – n’évoque pas que la déshumanisation de l’ennemi mais également la déshumanisation de soi dans ces opérations. L’image de soi que produisent ces dernières s’avère difficilement soutenable et récuse l’héroïsation souvent dénoncée des membres d’ETA2. Ces actions n’induisent aucune fierté et sont volontairement pensées à

partir de ce prisme. Elles sont instituées comme des actes incontournables dans la situation cadrée, appréhendée et vécue comme une guerre. Les acteurs sont pris entre la lâcheté de ne pas agir – quoique l’on pense des moyens mis en œuvre – et la violence, le traumatisme des actions menées du côté des victimes civiles mais aussi pour eux-mêmes et pour le pays. On pourrait parler de renversement, partiel au moins, de la victimisation. Nous évoquerons plutôt une tentative de compléter le tableau d’ordinaire dressé du conflit basque et de nuancer l’appréhension du « terroriste » basque. Les militants rappellent simplement qu’il n’y a pas de conflit, de guerre, de lutte contre l’État sans un versant sombre ainsi que le soulignait précédemment Thibault (supra p. 145)3.

Alors que certaines cibles sont « consensuelles » telles Carrero Blanco ou M. Manzanas, les militants ont conscience de l’injustice de la mort de gardes civils tout comme de celle des soldats dans une guerre. Quand bien même le conflit est cadré dans les termes d’une guerre, persiste la conscience de l’humain au-delà de l’uniforme (voir Vicenzo et Julien)4. À la

différence de militaires professionnels ou de paramilitaires qui atteignent ou non un objectif, ces militants illégaux refusent d’admettre qu’il puisse y avoir de la fierté à perpétrer ce type d’actions.

L’expression de la nécessité de l’assassinat ainsi que des traumatismes liés aux guerres conventionnelles se retrouvent dans les récits des soldats sur le front (voir Prost, 2004), sur la modalité du : « si ça n’est pas lui, c’est moi » – bien que dans le cas d’ETA, il s’agisse plutôt de guérilla urbaine – ainsi que dans d’autres mouvements révolutionnaires comme le PKK (voir Guibet Lafaye et Frénod, 2020, l’entretien avec Yasmine). De même, la comparaison, dans le discours des acteurs basques, avec d’autres situations de conflit (telles les victimes non voulues du débarquement de Normandie), rend intellectuellement appréhendables les dommages vécus par les familles de la garde civile lors des attaques de caserne5. Ces comparaisons

participent de la production d’une rationalisation de ce qui apparaît comme un acte

1 Vicenzo, parlant au nom de ces derniers, évoque ce camarade de lutte qui, accusé indûment d’avoir fait