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Etudes thermiques

Dans le document Boson de Higgs: du simple au double (Page 54-63)

3.5 Etudes thermiques

L’un des aspects les plus critiques pour la validation du design du détecteur à pixels incliné est de

démontrer que les transferts thermiques au travers du support mécanique sont suffisants pour évacuer

la chaleur dissipée par l’électronique de lecture. Contrairement au détecteur IBL, le chemin thermique

entre les modules inclinés et les tubes de refroidissement est relativement grand (Figure 62).

a

Figure 62 – Positionnement des tubes de refroidissement dans la structure en mousse carbone pour

le détecteur alpin du LAPP (gauche) et le détecteur SLIM de l’Universités de Genève (droite).

Les études de performances thermiques du détecteur alpin ont été démarrées au LAPP avec la

thèse de Zhan Zhang [ref37], de 2012 à 2015. Son travail, que j’ai encadré à partir de 2015, a permis

au laboratoire de s’équiper d’une station de refroidissement au CO2 diphasique et d’acquérir une

ex-pertise solide pour l’opération des dispositifs expérimentaux dédiés aux mesures thermiques. Zhan a

pu démontrer grâce à des prototypes en mousse carbone réalisés par le LPSC (Figure 63) et testés au

LAPP que le refroidissement de modules pixels inclinés sur la structure alpine était compatible avec les

spécifications requises. Elle a également pu valider une partie des prédictions du modèle CoBra (CO2

BRAnch Calculator) développé par Bart Verlaat [ref50] sur le comportement du CO2 diphasique le long

des tube en titane. Cependant, à l’issue de la thèse de Zhan, les mesures thermiques réalisées sur les

prototypes alpins montraient d’importants désaccords avec les simulations. Les prototypes semblaient

présenter des performances thermiques bien meilleures que celles prédites par les simulations.

L’observable considérée pour l’estimation des performances thermiques est la température du point

le plus chaud à la surface du module. Pour prédire cette température, il faut estimer deux

compo-santes. La première composante est la variation de température entre le fluide et la paroi du tube

titane, déterminée par le coefficient de transfert thermique (HTC) du CO2 diphasique. La deuxième

composante est le gradient de température dans le support mécanique, entre la paroi du tube et la

surface du module. Ces deux composantes sont illustrées sur la Figure 64. La Figure 65 présente un

mo-dèle de montagne alpine modélisée dans ABAQUS ainsi que les prédictions de gradient de température

obtenues en modifiant certains matériaux du support.

Le HTC du CO2 est prédit par le logiciel CoBra en fonction de paramètres tels que le débit, la

température du fluide, la pression, la longueur du tube et la densité de flux de chaleur à évacuer. Le

gradient dans le support mécanique est estimé avec le logiciel de calculs par éléments finis ABAQUS

12

,

qui prend en compte les épaisseurs des matériaux utilisés pour la structure des montagnes, leurs

conductivités thermiques, le flux de chaleur total et sa distribution dans le support.

Figure 63 – Prototypes alpins fabriqués au LPSC et testés au LAPP pour l’évaluation des

perfor-mances thermiques.

Figure 64 – Schéma descriptif des deux composantes influençant la température maximale à la surface

du module : la composante convective (∆T

conv

) entre le fluide et la paroi du tube, déterminée à partir

du logiciel CoBRA, et la composante conductive (∆T

cond

) entre la paroi du tube et la surface du

module, simulée avec ABAQUS.

Pour essayer de comprendre et d’expliquer les désaccords observés entre mesures et prédictions,

plusieurs effets devaient être étudiés et quantifiés. La difficulté principale de l’exercice étant de parvenir

à mettre au point un dispositif expérimental pertinent pour tester chaque hypothèse indépendamment :

- Les mesures thermiques n’étaient pas réalisées dans une enceinte à vide, mais à l’air libre. De

fait, les apports de chaleur extérieure par convection pouvaient faire varier les résultats des

mesures de plusieurs degrés selon le moment de la journée. Ces effets convectifs étant difficiles

à modéliser dans ABAQUS, ils étaient tout simplement ignorés pour les comparaisons.

- Les valeurs de conductivités thermiques des matériaux utilisées dans ABAQUS sont extraites

de publications ou de fiches techniques de fabricants, assez peu précises et souvent mesurées à

une température ambiante de 20 degrés. La plupart du temps, aucune dépendance en

tempé-rature n’est fournie pour ces conductivités thermiques, qui sont appliquées telles quelles à -30

degrés, la température d’opération du détecteur ITk. De plus, une modification mineure dans

la composition de certains alliages ou la présence d’impuretés peuvent changer drastiquement

les valeurs de conductivités thermiques.

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Figure 65 – Modèle ABAQUS utilisé pour la simulation du gradient thermique dans le support

mécanique alpin (haut) et performances attendues en faisant varier certains paramètres critiques du

modèle (bas).

- Certains matériaux et certaines interfaces sont difficilement modélisables dans ABAQUS et

génèrent des incertitudes importantes sur les conductivités thermiques effectives : diffusion de

la colle dans les alvéoles de la mousse carbone, maîtrise imparfaite de l’épaisseur des dépôts

pour les colles ou les pâtes thermiques...

- Le modèle théorique utilisé dans CoBRa pour décrire le comportement du CO2 diphasique est

un modèle semi-empirique [ref51], ajusté sur des mesures thermiques correspondant

approxi-mativement à la zone de fonctionnement du détecteur IBL. Les prédictions de CoBRA ont par

ailleurs été validées par Zhan et Bart Verlaart pour le détecteur IBL. Mais dans le cas du

dé-tecteur ITk comportant des modules inclinés, les flux de chaleurs mis en jeu sont 5 à 10 fois

plus importants que pour l’IBL, du fait d’une surface de contact plus faible entre le module et

la zone de refroidissement. La Figure 66 compare l’espace de phase des données utilisées pour

ajuster le modèle décrivant le comportement du CO2 diphasique avec les zones d’opération des

détecteurs IBL et ITk. Ce graphique suggère fortement de vérifier que le modèle de CoBRA est

réellement extrapolable dans la zone de fonctionnement de l’ITk.

En septembre 2016, Pierre Barroca a démarré une thèse sur le sujet, sous supervision conjointe de

Stéphane Jézéquel et moi-même. Durant la première année, nous avons mis au point une enceinte de

test sous vide pour s’affranchir d’une partie des apports de chaleurs parasites et travaillé longuement

sur toutes les procédures expérimentales (préparation des prototypes, collage des chaufferettes kaptons

et des sondes de température sur les échantillons, traitement des données, installation et calibration de

capteurs environnementaux...). Au terme de cette première année, nous étions enfin parvenus à obtenir

des résultats reproductibles.

Figure 66 – Comparaison de l’espace de phase (Température du fluide T

sat

; Flux de chaleur ˙q)

correspondant aux données utilisées pour ajuster le modèle CoBRA (vert) avec les zones d’opération

des détecteurs IBL (bleu) et ITk (rouge).

En 2017, le CERN et l’Université de Genève ont réalisé des mesures thermiques dans des conditions

approximativement similaires à celles réalisées au LAPP, sur un prototype de support pixels incliné

concurrent, et ils ont observé des désaccords semblables : les prototypes testés semblent avoir des

performances meilleures que celles prédites par le modèles CoBRA + éléments finis combinés (Figure

67).

Suite à ces observations, nous avons demandé à l’Université de Genève de nous fournir un prototype

thermique simplifié, constitué de simples blocs de cuivre brasés sur un tube en inox et équipés de

chauf-ferettes kapton (Figure 68). Ce prototype permet de minimiser le nombre de paramètres nécessaires à

la modélisation des gradients de température dans le support mécanique.

Nous avons réalisé 18 séries de mesures sur ce prototype, en variant les conditions expérimentales

liées au CO2 (débit, température, fraction gaz/liquide) ainsi que la charge thermique appliquée (de 1

à 8 Watts). Chaque série a été réalisée indépendamment pour chacun des 5 blocs de cuivre.

En utilisant un modèle paramétrique pour décrire le terme conductif (commun pour tous les blocs

de cuivre) et le terme convectif affecté d’un paramètre de correction α pour chaque série de mesures,

et en ajustant ce modèle avec des paramètres de nuisance adaptés

13

, il devient possible de mesurer le

comportement du CO2 en s’affranchissant des incertitudes sur la modélisation du support mécanique.

Grâce à ce travail, Pierre a pu extraire de ses données les conductivités thermiques in situ des matériaux

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Figure 67 – Comparaison des performances thermiques prédites (gauche) et mesurées au CERN

(droite) pour le prototype de détecteur pixels incliné CERN/Université de Genève. Les modèles

pré-disent une augmentation de température de 23 K.m

−2

/W, tandis qu’une valeur de 18 K.m

−2

/W est

observée dans les mesures effectuées sur le banc de test thermique du CERN.

Figure 68 – Prototype thermique simplifié fabriqué par le CERN/Unige et installé pour des tests

thermiques dans l’enceinte à vide du LAPP.

avec une précision de l’ordre de 5%, mesurer la variabilité et la qualités des soudures entre les blocs de

cuivre, et surtout, démontrer que le modèle utilisés dans CoBRA dérive significativement des mesures

pour des densités de flux de chaleurs de l’ordre de ceux mis en œuvre dans le détecteur ITk incliné

(Figures 69 et 70).

Figure 69 – Valeurs de HTC extraites des ajustements contraints réalisés sur les mesures du prototype

thermique simplifié (markers), comparés avec les prédiction de CoBRA (lignes pointillées) en fonction

de la densité de flux de chaleur ˙q. Les déviations s’observent pour les flux de chaleur importants, dans

une zone de l’espace de phase (T

CO2

, ˙q) très éloignée de celle des données qui ont été utilisées pour

ajuster le modèle de Thome.

Figure 70 – Facteur de correction α sur les prédictions HTC de CoBRA, extrait des ajustements

contraints réalisés sur les mesures du prototype thermique simplifié. Dans la zone à très grand flux de

chaleur, qui correspond à la région de fonctionnement du détecteur ITk, le modèle de Thome

sous-estime la valeur du coefficient de transfert thermique du CO2 de 30 à 35%.

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L’ensemble de ces résultats thermiques et la mise au point du banc de test associé sont documentés

dans la thèse de Pierre Barroca [ref52], et les outils d’analyse développés par Pierre vont être exploité

intensivement durant les dernières années de R&D du détecteur à pixels ITk, pour qualifier le procédé

de fabrication des prototypes, optimiser la forme des supports inclinés et tester les interfaces thermiques

(soudure, collage, plaquette thermique...) avant de figer le design définitif.

4 Perspectives

4.1 Programme pour le HL-LHC

Le programme des dix années à venir est relativement bien tracé. Les trois prochaines années

se-ront consacrées à la fin de la R&D du détecteur ITk, la qualification des prototypes définitifs et la

production des services de type 0. L’intégration des modules pixels sur les structures mécaniques au

laboratoire et leur qualification doit démarrer en 2020, et s’achever au plus tard en 2023. Durant cette

période, l’équipe ITk du LAPP participera à l’intégration au CERN du détecteur Outer Barrel, à

son installation et au câblage en caverne. Et la boucle sera bouclée : commissioning du nouveau

détec-teur, participation aux opérations, monitoring, analyse des premières données... Nouvelles découvertes ?

Figure 71 – Réjection des jets légers et des jets c en fonction de l’efficacité d’identification des jets b

pour le détecteur ITk dans des conditionsµ=200 et comparaison avec les performances du Run 2 dans

les conditions µ =60.

Durant cette période, il sera intéressant de tirer profit des améliorations apportées par le détecteur

ITk (Figures 71 et 72) pour développer les analyses de mise en évidence des processus HH et de mesure

du couplage trilinéaire du boson de Higgs. La Figure 73 suggère que des progrès significatifs sont

certainement encore à attendre dans ce domaine dans les années à venir. Une piste de développement

pour les performances est la combinaison des informations du tracking à l’avant avec les informations

temporelles fournies par le détecteur HGTD [ref53]. Une extension de l’acceptance des électrons au-delà

de η = 3.2 et l’amélioration de la mesure de l’énergie d’isolation des photons pourraient contribuer à

l’amélioration de la significance des canaux HH→ ZZ

→ 4e et HH→ γγb¯b respectivement.

4.1 Programme pour le HL-LHC 59

Figure 72 – Largeur de masse invariante reconstruite dans les canaux H→ ZZ

→ 4µ (bleu) et H →

µµ (vert) en fonction de la plus grande pseudo-rapidité |η| des muons produits. La largeur attendue

au HL-LHC avec le détecteur ITk est comparée à la valeur du Run 2, basée sur les performances du

tracker actuel.

Figure 73 – Amélioration de la significance du canal HH→ γγb¯b après chaque publication de Technical

Design Report pour les upgrades HL-LHC. Crédit : Elisabeth Petit.

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