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Pour réaliser leur étude, Zhang et al. ont utilisé une méthodologie basée sur la dynamique moléculaire Born-Oppenheimer avec un potentiel ab initio QM/MM103 et la méthode de l’ « umbrella sampling ».104 Cette méthode consiste à imposer des contraintes sur des coordonnées réactionnelles choisies par rapport à la réaction étudiée (Schéma 4), et à faire des dynamiques moléculaires sur ces structures avec une répartition QM/MM du système.

Schéma 4 : Coordonnées réactionnelles choisies pour l’acylation et la déacylation : a) première étape de l’acylation, b) deuxième étape de l’acylation, c) première étape de la déacylation, d) deuxième étape de la

déacylation

102

Yanzi Zhou, Shenglong Wang and Yingkai Zhang J. Phys. Chem. B, 2010, 114, 8817. 103

(a) Warshel, A.; Levitt, M. J. Mol. Biol. 1976, 103, 227. (b) Singh, U. C.; Kollman, P. A. J. Comput. Chem. 1986, 7, 718. (c) Field, M. J.; Bash, P. A.; Karplus, M. J. Comput. Chem. 1990, 11, 700. (d) Mulholland, A. J. Drug Discovery

Today 2005, 10, 1393. (e)Zhang, Y. K. Theor. Chem. Acc. 2006, 116, 43. (f) Hu, H.; Yang, W. T. Annu. Rev. Phys. Chem. 2008, 59, 573. (g) Friesner, R. A.; Guallar, V. Annu. Rev. Phys. Chem. 2005, 56, 389. (h) Gao, J. L.; Truhlar, D.

G. Annu. Rev. Phys. Chem. 2002, 53, 467. (i) Senn, H. M.; Thiel, W. Angew. Chem., Int. Ed. 2009, 48, 1198. 104

(a) Patey, G. N.; Valleau, J. P. J. Chem. Phys. 1975, 63, 2334. (b) Roux, B. Comput. Phys. Commun. 1995, 91, 275. (c) Boczko, E. M.; Brooks, C. L. J. Phys. Chem. 1993, 97, 4509.

Chap. 3 : Etude théorique de l’hydrolyse de l’ACh par l’AChE

73 Leur modèle QM/MM a été préparé, après une équilibration en dynamique moléculaire, en coupant l’enzyme dans un rayon de 25 Å autour de la Ser203. Leur zone QM comporte pour l’acylation la triade catalytique et l’ACh, et pour la déacylation, la triade catalytique avec la sérine acétylée et la molécule d’eau responsable de la réaction. La choline a été retirée du site actif pour cette dernière étape. Seuls les atomes dans un rayon de 20 Å autour du centre de la réaction sont autorisés à bouger en MM. Les optimisations QM/MM ont été réalisées en B3LYP/6-31G*.

Les zones QM étant différentes pour les deux étapes considérées, celles-ci ne peuvent être directement comparées. Elles sont donc étudiées séparément.

IV.1. Etude de l’acylation

Selon leurs résultats, l’acylation se déroule en deux étapes comme on peut le voir en figure 10.

Figure 10 : Profil énergétique de l’acylation (énergie libre)

Les intermédiaires sont nommés de la même façon que précédemment. Les structures qu’ils ont obtenues sont représentées sur la figure 11. Les auteurs observent une barrière de 12.4 kcal/mol

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74 pour la formation de TI1, ce qui est cohérent avec les résultats de Mc Cammon. Il faut noter que seules deux liaisons hydrogènes avec le trou oxyanionique existent dans la structure du réactif ES. TI1 par contre est stabilisé par trois liaisons hydrogènes avec les Gly121, Gly122 et l’Ala204. Durant cette étape, l’attaque de la sérine catalytique sur la fonction carbonyle de l’acétylcholine est concertée avec le transfert du proton entre la sérine et l’histidine. Cette réaction est très endothermique (+11.3 kcal/mol). TI1 est dans un puits peu profond. C’est une espèce métastable. La seconde étape de l’acylation, à savoir le départ de la choline, se fait très rapidement (1.9 kcal/mol) et la réaction est fortement exothermique. Durant cette étape, le proton de l’histidine est transféré à la choline. Globalement, la réaction d’acylation est exothermique de 6 kcal/mol. Toutes ces observations sont cohérentes avec l’expérience.

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IV.2. Etude de la déacylation

Le profil de la déacylation est très proche de celui de l’acylation (Figure 10). De la même façon, elle se déroule en deux étapes avec un intermédiaire haut en énergie dans un puits de potentiel peu profond. Il ne faut pas oublier que la choline a été retirée du site actif pour cette étape puisque l’élimination de la choline est plus rapide que la déacylation.105

Il faut noter que Zhang et al. ont étudié la déacylation avec le Glu202 déprotoné (Glu202) et protoné (Glh202). En accord avec les observations expérimentales basées sur le pKa et sur des simulations EVB,106 les barrières obtenues avec le Glu202 protoné sont 5 kcal/mol plus faibles que celles obtenues avec le Glu202 déprotoné, ce qui semble montrer que le Glu202 est protoné dans l’étape d’acylation (Figure 12). Ils ont donc réalisé cette étape avec le résidu 202 protoné.

Figure 12 : Profils comparés Glu202 protoné et déprotoné

La première étape de la déacylation consiste en l’attaque de la molécule d’eau sur la fonction carbonyle de la sérine acétylée avec transfert du proton sur l’histidine. Elle a une barrière de 17.5 kcal/mol. Cette barrière est plus élevée que celle de l’acylation, ce qui va dans le sens des observations expérimentales.107 Cette réaction est très endothermique (+16.3 kcal/mol), et elle est suivie de l’élimination de l’acide acétique. Cette dernière étape a une barrière de 1.7 kcal/mol, elle se fait donc très facilement une fois la fixation de la molécule d’eau réalisée. Elle est exothermique,

105

(a) Froede, H. C.; Wilson, I. B.; Kaufman, H. Arch. Biochem. Biophys. 1986, 247, 420. (b) Szegletes, T.; Mallender, W. D.; Thomas, P. J.; Rosenberry, T. L. Biochemistry 1999, 38, 122.

106

Vagedes, P.; Rabenstein, B.; Aqvist, J.; Marelius, J.; Knapp, E. W. J. Am. Chem. Soc. 2000, 122, 12254. 107

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76 mais globalement la déacylation est endothermique (+2.3 kcal/mol) (Figure 13).

Figure 13 : Profil énergétique de la déacylation (énergie libre)

Les structures des intermédiaires et des états de transition de la déacylation sont présentés en figure 14. Le réactif de la déacylation (EA2) est stabilisé par trois liaisons hydrogène avec le trou oxyanionique. L’état de transition de la deuxième étape de la déacylation (TS2’) consiste en fait simplement à un changement d’orientation de l’histidine catalytique pour favoriser le transfert du proton de l’histidine vers la sérine.

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77 Ainsi, nous sommes d’accord avec Zhang et al. pour souligner les faiblesses de la méthodologie de Nemukhin et al. qui discréditent quelque peu leurs résultats. Cependant, nous n’obtenons pas non plus les mêmes résultats que Zhang et al. Notamment, ils ont des barrières plus élevées que les nôtres pour les deux étapes et les premières étapes de l’acylation et de la déacylation respectivement sont fortement endothermiques. Il faut cependant noter qu’ils ont réalisé la déacylation avec le Glu202 protoné, ce que nous n’avions pas fait dans un premier temps, nous empêchant ainsi de comparer directement nos résultats pour cette étape. Afin de vérifier l’influence de la protonation du Glu202 sur l’étape de déacylation, nous avons modélisé cette étape avec le Glu202 protoné et sans la choline dans le site actif. Le profil obtenu est présenté en tableau 5.

Barrière énergétique de la déacylation (kcal/mol)

Glu202 non protoné 8.2

Glu202 protoné 7.2

Tableau 5 : Comparaison des barrières énergétiques de la déacylation suivant l’état de protonation de Glu202 (PDB 1F8U, PBE0/SVP)

De la même façon que Zhang et al., nous observons une barrière plus faible lorsque le Glu202 est protoné (7.2 kcal/mol vs 8.5 kcal/mol), ce qui est cohérent avec les données expérimentales. Nos barrières sont encore une fois plus faibles que celles obtenues par Zhang et al.

Egalement, dans l’étude de Zhang et al., la définition de la zone QM change entre les deux étapes empêchant toute comparaison entre celles-ci, et donc toute comparaison complète du mécanisme d’hydrolyse de l’ACh par l’AChE. Les barrières plus élevées de Zhang et al. peuvent s’expliquer notamment par le fait qu’ils travaillent en énergie libre (!G) de par leur méthodologie basée sur la dynamique moléculaire, contrairement à nous qui ne travaillons qu’avec les enthalpies (!H). En effet, , la différence d’énergie provient donc de l’entropie. Or, dans notre système, nous réduisons le nombre de degrés de liberté en formant des liaisons. Le système final est plus ordonné que le système initial, il y a donc diminution de l’entropie. Ainsi, et

.

V. Conclusion

Tout le monde s’accorde sur le profil général de l’hydrolyse de l’acétylcholine par l’acétylcholinestérase : celle-ci se déroule en deux principales réactions (acylation et déacylation) se décomposant chacune en deux étapes. La première étape de la déacylation est cinétiquement déterminante (Schéma 5).

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Schéma 5 : Mécanisme d’hydrolyse de l »ACh par l’AChE

Par contre, les différents profils divergent beaucoup d’un point de vue quantitatif (barrières énergétiques, caractère exothermique). Ceci peut venir des différentes méthodologies employées (Tableau 6), mais aussi du fait que l’AChE soit une enzyme très flexible.

Nemukhin Zhang Nous

Avantages Surface en un seul bloc Dynamique moléculaire Energie libre

Surface en un seul bloc Pas de coupure de

l’enzyme Pas de solvatation Inconvénients Coupure de l’enzyme

Solvatation excessive Retournement de la choline

Surface en deux blocs Enthalpie

Retournement de la choline Tableau 6 : Avantages et inconvénients des différentes méthodologies employées

Ainsi, selon la structure de départ, le degré de solvatation et la définition du système, les résultats obtenus peuvent être très différents. Le système semble extrêmement dynamique et de nombreuses zones d’ombres persistent telles que l’état de protonation de certains résidus, le nombre de molécules d’eau et leur rôle… En effet, les molécules d’eau que nous utilisons pour nos

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79 optimisations proviennent de la structure cristallographique, et donc sont des molécules d’eau cristallines, mais il est possible, voire probable que dans l’organisme elles ne soient pas au même endroit, et qu’elles bougent rapidement. On voit nettement dans cette étude comparative que selon la méthode de calcul employée, les résultats sont différents, les barrières énergétiques bougent beaucoup ce qui semble être une caractéristique de l’AChE. La rigidité de son site actif n’est pas très importante ce qui est un défi pour la traiter en chimie théorique. Ceci implique que nous ne pouvons pas faire de modélisation quantitative avec cette enzyme. Mais il est bien sûr possible de travailler comparativement, et donc qualitativement, sur un système défini, comme nous l’avons fait par la suite avec le tabun.

CHAPITRE 4

ETUDE THEORIQUE DE L’INHIBITION

DE L’ACETYLCHOLINESTERASE PAR

Chap. 4 : Etude théorique de l’inhibition de l’AChE par le tabun

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I. Introduction

I.1. Réactivité du tabun au sein de l’AChE

Comme souligné dans l’introduction générale (Chap.1, §II-3), le tabun inhibe de façon irréversible l’AChE par substitution nucléophile sur la sérine de la triade catalytique. Ainsi, l’AChE ne peut plus fonctionner, ce qui entraîne des troubles importants pouvant aller jusqu’à la mort. Des traitements à base des nucléophiles puissants tels que les oximes existent mais restent quasiment inefficaces face à une intoxication au tabun. C’est pourquoi il est nécessaire d’étudier précisément le complexe AChE-tabun. En étudiant la fixation du tabun au sein de l’AChE, nous cherchons ainsi à mettre en évidence les paramètres qui régissent la réactivité du tabun dans le site catalytique de l’AChE, et notamment l’influence de l’amine tertiaire fixée sur le phosphore (en orange sur le schéma 1) et du groupe partant (en bleu sur le schéma 1) qui sont les deux particularités structurales du tabun.

Schéma 1 : Inhibition de l’AChE par le tabun

Nous nous sommes donc intéressés à la fixation du tabun sur l’AChE, et plus précisément à la détermination de l’isomère le plus actif du tabun, afin de comprendre les causes de la sélectivité de l’enzyme vis-à-vis de ces isomères. Les isomères les plus actifs ont été identifiés pour plusieurs organophosphorés tels que le sarin ou le soman.108

C’est également le cas pour le tabun. Dès 1986, Benschop et al. se sont penchés sur l’isolation et

108

Spruit, H.E.T.; Langenberg, J. P.; Trap, H. C.; van der Wiel, H. J.; Helmich, R. B.; van Helden, H. P. M.; Benschop, H. P. Toxicol. and appl. pharmacol. 2000, 169, 249.

Chap. 4 : Etude théorique de l’inhibition de l’AChE par le tabun

81 l’étude des propriétés des deux énantiomères du tabun.109 Pour cela, ils ont utilisé une méthode de complexation énantiospécifique utilisant la chromatographie en phase gaz. Ils ont ainsi séparé et identifié les deux énantiomères, lévogyre et dextrogyre. Il avait auparavant été montré que les phosphorylphosphatases hydrolysaient l’isomère le plus actif du tabun, qui se trouve être le lévogyre selon l’étude de Benschop. Ainsi, ils soulignent que le (-)-tabun est 6.3 fois plus actif que le (+)-tabun, à savoir que les constantes d’inhibition respectives sont de 3.9 x 104 mol-1.L.s-1 et 0.62 x 104 mol-1.L.s-1. Cependant, la configuration absolue des isomères lévogyre et dextrogyre n’a jamais été attribuée. Récemment, il est apparu qu’en fait la différence d’activité entre les deux isomères serait beaucoup plus importante.110 En effet, les énantiomères obtenus par Benschop en 1986 contiendraient des impuretés, ce qui aurait faussé les résultats. Worek et al. les ont donc de nouveau séparés, et testés. Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau 1. Il semble donc que le (-)-tabun est environ 300 fois plus actif que le (+)-tabun.

Enzyme (-)-tabun (+)-tabun ki,(-)-tabun/ki,(+)-tabun AChE humaine (2.77±0.107) x 107 (7.02±1.15) x 104 395

AChE de porc (6.52±0.183) x 106 (2.92±0.303) x 104 224 Tableau 1 : Constantes d’inhibition des deux énantiomères du tabun (en mol-1.L.min-1)

I.2. Règles de Cahn-Ingold-Prelog pour le phosphore

Afin de pouvoir étudier la fixation des différents isomères du tabun dans le site actif, il faut déterminer la configuration absolue sur le phosphore.

Les règles de Cahn-Ingold-Prelog sont la base pour déterminer la configuration d’un carbone. Elles permettent de classer les différents substituants tels que :

- Le substituant prioritaire est celui dont l'atome directement lié (une liaison) au centre stéréogène possède le numéro atomique Z le plus grand.

- Quand deux substituants sont liés au centre stéréogène par des atomes identiques, on compare entre eux les atomes situés à la proximité suivante (deux liaisons) et on applique la règle précédente à cette proximité. S'ils sont identiques, on poursuit la comparaison dans les proximités suivantes de la ramification prioritaire.

- Les liaisons multiples sont comptées comme autant de liaisons simples, et chaque atome engagé dans une liaison multiple est répété autant de fois qu'il est lié dans cette liaison.

109

Degenhardt, C. E. A. M.; Van Den Berg, G. R.; De Jong, L. P. A.; Benschop, H. P. J. Am. Chem. Soc. 1986, 108, 8291. 110

Chap. 4 : Etude théorique de l’inhibition de l’AChE par le tabun

82 Ainsi, pour un atome de carbone, une fonction carbonylée est prioritaire sur un éther ou un alcool. Une fois les substituants classés, la configuration peut être déterminée telle que :

Le même type de règles s’applique dans le cas du phosphore de géométrie tétraédrique, à l’exception du fait que la double liaison avec l’oxygène perd sa priorité sur les éthers ou les alcools. Ainsi, par convention, une fonction éther est prioritaire dans le cas du phosphore, soit : P-OR > P=O.111 On peut donc définir les deux énantiomères du tabun (Schéma 2). A partir de là, nous avons pu définir notre modèle théorique.

Schéma 2 : Représentation des deux énantiomères du tabun