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Introduction :

A. Histoire de la douleur et de sa prise en charge en médecine humaine et vétérinaire.

La douleur n’a pas eu la même signification à toutes les époques ni dans toutes les civilisations, pouvant être considérée comme épreuve nécessaire, une fatalité ou plus récemment comme une expérience insupportable face à laquelle il faut lutter avec tous les moyens disponibles (Lazorthes).

Durant l’antiquité Greco-Romaine, les hommes, incapables d’expliquer les mécanismes physiologiques des différentes fonctions humaines, cherchent des explications de ces mécanismes dans des interventions divines ou mythologiques.Par exemple, pour Galien (129-216), la douleur, aux côtés des autres symptômes, est chargée d’indiquer l’organe qui est malade, il ne lui accorde donc qu’une finalité utile (Lazorthes). En revanche, des tentatives pour soulager la douleur sont déjà présentes à cette époque. Par exemple, les Romains utilisaient des moyens physiques comme le chaud, le froid, les eaux et boues des sources thermales afin de soulager les douleurs d’origine musculaire ou articulaire.

A la renaissance, la douleur est considérée comme une conséquence d’un déséquilibre de la qualité des 4 humeurs (sang, bile jaune, bile noire et phlegme) constituant le corps humain (Lazorthes). Cette théorie ne sera d’ailleurs pas remise en question durant la Renaissance par Vesale (1514-1567) qui, malgré les très grandes avancées qu’il fera faire aux connaissances de l’anatomie humaine, notamment du système nerveux, continuera à penser que le rôle du cerveau est de sécréter le phlegme (correspond à une humeur muqueuse que l’on rejette en crachant). L’animal est considéré à cette époque comme sans âme, et ne peut pas ressentir de douleurs.

Du XVIIIe siècle au XIXe siècle, on assiste à une remise en question de l’approche de la douleur par les médecins et les philosophes. Elle est alors perçue comme indépendante du péché originel et de son châtiment divin quelles que soient les explications nouvelles apportées sur son mécanisme de perception (Lazorthes). Les connaissances dans le domaine de l’anatomie et de la neurophysiologie progressent considérablement. Les principes de la biologie mécaniste s’effondrent et certains philosophes accordent aux animaux non seulement la sensation mais encore des facultés de jugement, un véritable langage, voire la capacité de se

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perfectionner. Pour Rousseau (1712-1778) l’argument est la capacité de souffrir commune aux hommes et aux animaux, sur laquelle il se base pour attribuer des droits aux animaux. De plus, l’anatomie comparée et les travaux de Darwin (notamment (« On the Origin of Species » (1859)) remettent totalement en question la différence de nature entre l’homme et l’animal jusqu’ici avancée pour justifier l’exploitation des animaux par l’homme. Néanmoins, d’autres courants philosophique s’opposent à ceux de Rousseau comme celui d’Emmanuel Kant (1724-1804) qui à l’inverse, exclue les animaux de toute considération éthique car il les croit incapables d’avoir une pensée rationnelle. A cette même époque, la santé animale et la situation sanitaire des cheptels sont fortement impactés à cause d’une augmentation d’épisodes successifs d’épizooties et de maladies du bétail envahissant l'Europe et induisant des pertes économiques préoccupantes pour l'opinion et les pouvoirs publics. Par exemple entre 1713 et 1796, il aurait péri environ 10 millions de bovins en France et en Belgique (Robin). Ainsi pour lutter contre ce fléau, le premier établissement d'enseignement vétérinaire vit le jour à Lyon et servit de modèle pour la création d'institutions analogues dans presque toute l'Europe. Claude Bourgelat (1712-1779) est à l’origine de cette création et il établit ainsi le programme d’enseignement vétérinaire. Ces écoles furent à l'origine de l'art vétérinaire moderne et ont également permis aux médecins et aux chirurgiens désireux de s'instruire et de faire progresser la médecine humaine (Robin ; Barroux, 2011). L’anatomie et la physiologie vont considérablement progresser, notamment grâce à l’essor de la microscopie optique qui va permettre de nouvelles observations. Ainsi, François Magendie (1783-1855) et Charles Bell (1774-1842) démontreront le rôle des racines postérieures, tandis que Paccini (1812-1883) et Messner (1829 - 1905), identifieront les principaux récepteurs cutanés de la douleur de même que Von Frey précisera le rôle des terminaisons libres dans la douleur (1896). Concernant la prise en charge de la douleur ce n’est qu’à partir de 1847 que l’anesthésie générale s’impose avec la mise au point de la strychnine.

Dans ce contexte, une sensibilité nouvelle vis-à-vis de l’animal parmi les couches urbaines de la population émerge en Angleterre puis en France au début du XVIIIème siècle : la chasse, les combats de chiens et les mauvais traitements infligés aux bêtes de somme sont peu à peu dénoncés (Larrère et Larrère., 2000). En France, ces préoccupations conduisent à la création de la Société protectrice des animaux (SPA) en 1845 et l’adoption en 1850 d’un premier texte de loi (loi Grammont) qui érige en contravention punissable une amende et une peine de prison les mauvais traitements infligés en public à des animaux domestiques.

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La question de la douleur des animaux apparait en médecine vétérinaire dans la seconde partie du 19ème siècle, soit plus tardivement qu’en médecine humaine (Le Neindre et al., 2009). La douleur est parfaitement connue et reconnue par les vétérinaires de cette époque mais elle est considérée comme variable selon les espèces (Le Neindre et al., 2009). Les bœufs, symbole de stoïcisme, manifestent peu leur douleur alors que les chevaux, symbole de courage, souffrent plus mais ce sont les chiens qui apparaissent comme les plus sensibles : plus l’animal est anthropomorphisé, plus sa sensibilité à la douleur est reconnue (Le Neindre et al., 2009).Le traitement de la douleur reste jusqu’au milieu du 20ème siècle très marginal.

Au XXème siècle en Humaine, la douleur est définie chez l’homme, par l'International Association for the Study of Pain (IASP) comme « une sensation désagréable et une expérience émotionnelle en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en ces termes » (1979). Cette définition prend en compte les expériences émotionnelles, un concept difficilement applicable chez les animaux.

A la fin du 20ème siècle, Bernard Kouchner secrétaire d'état à la santé met en place un plan de lutte contre la douleur afin de développer une prise en charge globale du patient à toutes les étapes des processus de santé.Ce programme de lutte contre la douleur s’articule autour de 4 axes principaux (i) la prise en compte de la demande du patient (ii) le développement de la lutte contre la douleur dans les structures de santé et les réseaux de soins (iii) le développement de la formation et de l’information des professionnels de santé sur l’évaluation et le traitement de la douleur (iv) l'information du public. Ce programme de lutte permet la mise en place entre autre du carnet de douleur remis au patient à leur arrivée afin d’améliorer l’évaluation et la prise en charge de la douleur mais également l’introduction dans les établissements de santé des pompes d'auto-analgésie contrôlée permettant au patient de déclencher ses injections d'antalgiques.

Chez les animaux, depuis la 2nd Guerre Mondiale, et plus particulièrement depuis ces 10 dernières années, le consommateur se préoccupe de plus en plus du bien-être des animaux d’élevages. Cette évolution des mentalités a conduit, à la demande par les ministres chargés de l’Agriculture et de la Recherche, à la réalisation d'une expertise scientifique collective (ESCo) conduite par l’INRA sur ce sujet en 2008. Cette expertise montre, entre autres, les critiques et questionnements sociétaux envers l’utilisation de l’animal, que ce soit en élevage ou à des fins scientifiques (expérimentation animale) (Dartevelle, 2014). Jusqu’à 1950, la douleur animale est décrite en tant que "phénomène physiologique" et il faut attendre la

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décennie suivante pour que la question de la douleur psychologique soit intégrée (Le Neindre et al., 2009). La définition de la douleur fut adaptée à l’animal en 1982: « La douleur est une expérience sensorielle aversive causée par une atteinte réelle ou potentielle qui provoque des réactions motrices et végétatives protectrices, conduit à l’apprentissage d’un comportement d’évitement et peut modifier le comportement spécifique de l’espèce, y compris le comportement social ». L’absence de douleur est l’une des cinq libertés fondamentales de l’animal. La prise en charge de la douleur des animaux reste, jusqu’au milieu du 20ème siècle très marginale : les médecins vétérinaires sont peu intéressés par cette question et le coût financier de l’anesthésie et de l’analgésie rend ces pratiques souvent impossibles pour les éleveurs (Goudeau, 1932; Pineteau, 1933). Le premier ouvrage d’anesthésiologie vétérinaire en français a été publié en 1973, mais ces approches sont strictement physiologiques et n’ont pour objectif que la sécurité du vétérinaire (Guezennec, 2006). Ce n’est que depuis 1985, date de la loi américaine votée pour le bien-être des animaux de laboratoire, que la douleur commence à être prise en compte dans les enseignements et la pratique vétérinaire (Guezennec, 2006).

B. Evolution de la législation :

Il aura fallu plus d’un siècle pour que la considération de l’animal dans les textes de loi passe de « meuble » à « être sensible » et que toute souffrance " inutile " soit évitée. En 1805 le code civil inclue l’animal dans les textes de lois uniquement pour l’intérêt économique de l’animal mais le considère comme un « meuble » (article 528 du code civil de 1804 : « sont meubles, par leur nature, les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se mesurent par eux-mêmes comme les animaux, soient qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère comme des choses inanimées »). Au début du XIX siècle, le contexte historique de la loi Grammont nous rapproche des mœurs anglaises témoignant d’un grand respect pour l’animal tout ceci entrainant un mouvement européen en faveur de l’animal et conduisant à la création en France de la SPA en 1845. Grace à cette loi l’animal bénéficie d’une protection qui punit ceux qui exerceraient publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques (extrait de la loi Grammont : « seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques). Néanmoins cette loi ne protège que les animaux domestiques et uniquement dans les lieux publics. Il faut attendre le décret n°59-1051 du 7

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septembre 1959 pour que les animaux domestiques mais aussi apprivoisés ou tenus en captivité soient protégés à la fois dans les lieus publics ou privés (article R.38-12 de l’ancien code pénal : cet article punit « ceux qui auront exercé sans nécessité, publiquement ou non, de mauvais traitements envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité »). Jusqu’à cette époque, l’animal sauvage n’est pas pris en compte dans les textes de loi et on ne reconnait que l’aspect physiologique de la sensibilité animal (Dupas, 2005). En 1976, la loi du 10 juillet (loi n°76-629) prend en compte la faune ainsi que l’aspect psychologique de la sensibilité animale et reconnait des droits aux possesseurs d’animaux et leur impose des devoirs notamment de veiller au bien-être de leurs animaux, d’empêcher toutes souffrance et abandon et d’être responsable des dommages commis par leurs animaux. Si les lois ont avancé sur la protection des animaux contre la maltraitance au fils des années, l’animal est toujours considéré comme une « chose » qui est animée, qui vit et qui meurt (Dupas, 2005). Il faut attendre le 28 janvier 2015, pour que l’animal soit reconnu comme un « être vivant doué de sensibilité » dans le Code civil (nouvel article 515-14) et non comme un bien meuble (article 528).

Concernant les animaux utilisés à des fins d’élevage ou d’expérimentations, la directive n°98/58/CE en juillet 1998 est établie et protège les animaux élevés ou détenus sur leurs conditions de détention prenant en considération entre autre leurs besoins physiologiques et éthologiques. Suite à cette directive, plusieurs réformes seront mises en place afin d’améliorer le bien-être au cours du transport, de l’abattage et de l’expérimentation animale. La directive européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques a été révisée et mise à jour en 2010 (Directive 2010/63/UE). Les conditions d’application de cette directive sont (i) l’application autant que possible du principe des 3R qui demande que l'utilisation d'animaux soit remplacée, réduite ou améliorée (ii) le control via un examen critique des projets d'étude sous l'angle bénéfice pour la recherche et contrainte pour les animaux et la publication de résumés non-techniques (iii) la mise en place de conditions d'hébergement adéquate (iv) l’utilisation autant que possible de méthodes alternatives. Concernant la réglementation nationale, la réglementation en vigueur en France (articles R214-87 à R214-137 du code rural) a été mise à jour par le décret 2013-118 et cinq arrêtés datés du 1er février 2013 et publiés le 7 février 2013, en application de la directive 2010/63/UE. Les conditions d’application de cette réglementation sont (i) la protection des animaux vertébrés, des formes larvaires autonomes ou fœtales évoluées (ii) la provenance des animaux d’élevage ou de

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fournisseurs agrées (iii) l’’utilisation d’anesthésique pour chaque intervention douloureuse (iv) l’agrément pour les établissements utilisateur et valable 6 ans (v) l’évaluation éthique et les autorisations des projets de recherches.

C. La douleur des animaux aujourd’hui.

Deux principes majeurs ont été mis en place afin de limiter la douleur chez l’animal de rente : - le principe des 3R, applicable en expérimentation animale, vise à Réduire le nombre d’animaux, à Raffiner, c’est-à-dire améliorer la méthodologie utilisée, ou à Remplacer le modèle animal (Russell et Burch, 1959)

- le principe des 3S applicable en élevage vise à Supprimer les sources de douleur lorsqu’elles sont inutiles, à Substituer les pratiques à l’origine de douleur par des pratiques moins douloureuses et, lorsqu’elles sont inévitables, Soulager la douleur (Guatteo et al., 2012).

Dans ce cadre, la prise en charge et le traitement de la douleur ne peuvent être réalisés que si celle-ci a été au préalable évaluée de manière la plus objective et la plus fiable possible notamment en tenant compte des causes de la douleur, du ressenti de l’animal et du contexte. Cette seconde partie aura pour objet de décrire, dans un premier temps, les différents types de douleur rapportés chez les mammifères ainsi que les mécanismes associés à ces douleurs y compris les mécanismes régulateurs (endogènes ou exogènes). Dans un deuxième temps, nous nous attacherons à rapporter les modifications engendrées par la douleur chez l'animal, en particulier les modifications comportementales, physiologiques, métaboliques et zootechniques ainsi que l'incidence de ces modifications sur les performances des animaux. Enfin, nous ferons le point sur les principales méthodes disponibles actuellement pour évaluer l'intensité douloureuse chez les mammifères en particulier chez l'animal de rente.

Une part importante des notions développées dans les chapitres suivants a donné lieu à 2 articles de synthèses (Faure et al., 2015 ; Paulmier et al., 2015 ; cf Annexe N°1 et 2).

Chapitre I.

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