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3. L ES SANS - PAPIERS 1 DEFINITIONS

3.7 ETRE SANS-PAPIERS AU QUOTIDIEN

Etre sans-papiers, c’est obligatoirement vivre avec la conscience de braver un interdit. Il faut composer quotidiennement entre les activités d’une vie ordinaire (travailler, étudier, sortir, etc.) et la nécessité de rester discret. Les étrangers sans autorisation de séjour doivent faire l’apprentissage d’un mode de vie clandestin qui est souvent le fruit d’une initiation par les parents ou par les pairs : « Les règles à connaître pour prendre un minimum de risques circulent à l'intérieur de chaque communauté : lieux à fréquenter ou à éviter, ce qui peut se faire ou non, comment garder un profil bas, éviter les conflits ou les discussions sur la voie publique, nécessité de se faire accompagner pour entreprendre certaines démarches, etc. »86. Cette vie sur le qui-vive, les incertitudes quant à l’avenir, la méfiance qu’il est indispensable d’adopter, les privations, les envies et ambitions qu’il faut refréner, la peur qu’il faut apprivoiser, toutes ces composantes génèrent forcément du stress.

83 Flückiger, Y. & Pasche, C. (2005), op. cit., p. 32.

84 Carreras, L. (2007). Femmes migrantes et externalisation du travail domestique : constats et pistes de réflexion. "Quel autre choix politique sur les flux migratoires que des murs ?" Journée de débats du 24 février 2007. [Page Web]. Genève : SolidaritéS. Accès : http://www.solidarites.ch/geneve/index.php/journees-de-debats/flux-migratoires (Page consultée le 20 août 2009).

85 Byrne-Sutton, P. (2005), op.cit., p. 15.

86 Valli, M. (2007), op.cit., p. 31.

Malgré tout, les sans-papiers participent à la vie de la collectivité par leur travail, leurs études et leurs loisirs. Si d’un point de vue légal, leur intégration est exclue, elle s’opère néanmoins dans certains pans de la société. Ils ont, comme le précise Claudio Bolzman, une « existence sociale » et les notions de

« désaffiliation » et d’isolement social ne correspondent pas à leur vécu87. Par ailleurs, les Latino-Américains bénéficient d’un certain capital sympathie de la part des ressortissants suisses, d’autres catégories d’étrangers (Kosovars, musulmans, noirs, etc.) subissent une pression médiatique plus accrue et davantage de méfiance.

3.7.1 ETAT DE SANTE

Les praticiens du terrain affirment que les sans-papiers sont de manière générale en relative bonne santé, ce qui paraît être une condition nécessaire pour la quête d’un travail et une grande probabilité en fonction de leurs âges. Malgré tout, les conditions particulières de leur existence les rendent au moins aussi vulnérables à la maladie que les citoyens suisses, sans compter les risques d’accident liés aux conditions de travail.

En revanche, pour certains spécialistes de la santé, la migration semble déjà être en soi un facteur à risque pour la santé. Même si le projet migratoire visait une amélioration des conditions d’existence, il peut par la suite avoir des conséquences contraires. Dans une étude sur la situation psychosociale des familles migrantes, Andrea Lanfranchi a répertorié toute une série de causes et de difficultés à l’origine de troubles psychosomatiques et psychologiques observés chez des patients étrangers, des facteurs interagissant entre eux ou pouvant se cumuler :

- les troubles causés par la « condition migrante » et les perspectives incertaines relatives à la durée du séjour : déracinement par rapport aux relations familiales, sociales et culturelles connues ; éloignement entre les membres de la famille, séparés durant de longues années ; incertitude par rapport au statut de leur séjour, à leur emploi, à leur situation de logement (existence menée dans le provisoire permanent) et les ambivalences en découlant pour tout ce qui touche à leurs plans d’avenir et projets de vie ; différences de statut dues aux attentes déçues à travers le temps (les attentes d’une élévation sociale ou d’un retour réussi au pays, ou alors les possibilités de carrière offertes aux enfants ne se concrétisent pas) ;

- les conflits qui naissent au sein de la famille à cause des changements liés à la compréhension des normes et des rôles, par exemple entre conjoints et entre générations (mécanismes d’éloignement, amenuisement d’une base de compréhension commune) ;

- les entraves sociales déjà mentionnées (à savoir facteurs découlant de la classe sociale, tels que séquelles durables d’un travail pénible assorti d’un risque d’accident élevé, mauvaises conditions de logement, charge de travail double ou triple dans le cas des femmes, pauvreté, etc.) ;

- les tensions résultant de la xénophobie et des discriminations, dont notamment les humiliations et les peurs, la stagnation à un bas échelon hiérarchique dans le milieu du travail ou à des degrés inférieurs dans la formation scolaire ou professionnelle88.

Il nous semblait important de reproduire cet extrait de la recherche : non pas dans l’intention de contredire la bonne santé des sans-papiers, mais pour nuancer le propos et montrer la nécessité pour ces personnes de gérer les difficultés que peuvent provoquer le déracinement et l’exil. Ces observations sont d’autant plus intéressantes qu’elles tiennent compte des effets de la migration sur

87 Bolzmann, C. (2007), op. cit., p. 96.

88 Lanfranchi, A. (2002). La situation psychosociale des familles migrantes. In R. Fibbi & P. Wanner (éd.). Familles et migration : études sur la situation des familles migrantes et recommandations de la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (pp. 75-95). Berne : COFF, p. 86.

l’ensemble de la famille. Enfin, sans qu’ils ne soient questions de troubles ou de maladie, ces facteurs reflètent que la « condition migrante » a des influences certaines sur le statut social, les conditions de vie, l’estime de soi et les relations familiales et sociales.

3.7.2 ACCES AUX SOINS

En Suisse, le droit à des soins médicaux pour tous n’est pas garanti. Seul l’article 12 de la Constitution fédérale [Cst.] peut être interprété dans ce sens, mais uniquement dans les cas de grave nécessité :

« Quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine ». De ce fait, les hôpitaux et médecins suisses sont tenus de dispenser les soins de base en cas d’extrême gravité, indépendamment du statut légal de la personne.

L’organisation des infrastructures sanitaires incombant aux cantons, l’Etat de Genève a décidé de permettre l’accès aux soins pour tous, et ce, indépendamment du statut juridique des personnes. De ce fait, le canton a soutenu la création de l’Unité mobile de soins communautaires [UMSCO] qui s’adresse aux personnes précarisées, non assurées, ou dont le séjour à Genève est illégal. Financée principalement par les Hôpitaux universitaires de Genève [HUG], l’UMSCO est doté d’un budget attitré lui permettant d’offrir des soins de base gratuits et en cas de besoin, de faciliter l’accès aux services compétents des HUG. L’équipe de base est composée d’infirmiers, médecins généralistes et assistants sociaux, complétée régulièrement par un psychiatre et des membres du planning familial. Les locaux de l’UMSCO sont indépendants de ceux des hôpitaux, car la marginalité de certaines personnes comme la clandestinité imposée aux sans-papiers rendent généralement ces populations réticentes aux structures publiques.

Quand les problèmes de santé nécessitent des soins conséquents, hors des compétences de l’UMSCO et des moyens financiers des patients, ils peuvent bénéficier du Fonds Patients Précarisés des HUG ou de l’aide d’un autre organisme d’entraide. Cette démarche se fait par l’intermédiaire des assistants sociaux compétents.

3.7.3 ASSURANCE-MALADIE

Toute personne domiciliée en Suisse est tenue de souscrire une assurance-maladie de base des soins89. Ce droit s’applique donc également aux sans-papiers. Dans la pratique, il s’est avéré que des assureurs ont refusé des personnes en situation irrégulière, ce qui est contraire à la législation fédérale.

En 2001, le Conseil d’Etat de Genève a adressé une lettre aux assureurs-maladie précisant qu’exclure une demande d’assujettissement en raison d’une absence d’autorisation de séjour transgresse le droit fédéral. Il sommait donc les assureurs à respecter les dispositions légales en la matière. En 2002, une circulaire fédérale rappelle cet impératif aux cantons comme aux assurances maladies90.

Malgré ce droit, beaucoup de sans-papiers n’ont pas les moyens de s’assurer en raison du coût élevé que représentent les cotisations à l’assurance-maladie. D’autres craignent d’être identifiés et dénoncés en concluant un contrat d’assurance, malgré la protection des données à laquelle sont soumis les assureurs. Sur les 4'393 personnes connues par le SIT en 2008, seules 798 sont assurées contre la

89 Art. 3 al.1 LAMal : « Toute personne domiciliée en Suisse doit s’assurer pour les soins en cas de maladie, ou être assurée par son représentant légal, dans les trois mois qui suivent sa prise de domicile ou sa naissance en Suisse » ; art. 1 OAMal spécifie : « Les personnes domiciliées en Suisse au sens des art. 23 à 26 du Code civil suissesont tenues de s’assurer, conformément à l’art. 3 de la loi ». L’ordonnance prévoit des exceptions au droit de s’affilier, notamment à son art. 2 al.1 let. b : « Les personnes qui séjournent en Suisse dans le seul but de suivre un traitement médical ou une cure ».

90 Commission d'experts "Sans-papiers". (2004), op. cit.

maladie, dont 398 enfants91.La situation des enfants scolarisés est particulière, puisqu’ils sont obligatoirement affiliés à une assurance et des subsides leur sont accordés. Les écoles, le Centre de contact Suisses-immigrés et le SIT accompagnent les parents dans les démarches à entreprendre à ce sujet.

3.7.4 LOGEMENT

Les sans-papiers genevois cumulent les inconvénients pour trouver un logement. D’une part, leur salaire impose des limites aux coûts dans un lieu où la vie est réputée chère, d’autre part, ils doivent faire face à la pénurie de logements à Genève. Plus que tout, les agences et propriétaires ne louent généralement pas aux personnes ne disposant pas d’une autorisation de séjour. Tous ces obstacles amènent des personnes peu scrupuleuses à sous-louer leur appartement ou des pièces de ce dernier à des prix astronomiques. Il n’est donc pas rare que les sans-papiers, même en famille, soient obligés de cohabiter avec d’autres personnes. Le SIT évoque aussi des situations ou plusieurs personnes partagent la même pièce selon un système de rotation mis en place92. Ces cohabitations forcées ne sont pas simples à gérer et posent parfois problème : conflits et méfiance entre habitants, crainte d’être repéré et dénoncé par le voisinage, etc.

Les familles, quand elles trouvent un appartement libre et accessible financièrement, font souvent appel à des proches en situation régulière pour contracter le bail à loyer à leur nom. D’autres, principalement les célibataires, vivent sur leur lieu de travail, l’hébergement étant déduit de leur salaire. Une situation qui pose problème, lorsque l’employé désire quitter son travail ou se fait congédier.

Ces migrants n’ont aucune marge de manœuvre pour dénoncer les abus concernant les contrats de location. Ce domaine relevant du droit privé, il faut sortir de l’anonymat pour demander justice. Ils ne peuvent pas non plus profiter des allocations logement puisqu’elles nécessitent un statut légal de résident.

3.7.5 AIDE SOCIALE

Quand la situation financière est irrémédiable et qu’ils ne peuvent plus faire appel à la solidarité de leur réseau, ils ont la possibilité de solliciter un soutien financier auprès du Service étrangers sans-papiers de l’Hospice général. Cette aide est toutefois soumise à condition : ils sont tenus de s’annoncer à l’Office cantonal de la population [OCP]. Jusqu’à ce que la décision d’octroi ou non d’un permis de séjour tombe, des subsides leur sont accordés selon les barèmes qui s’appliquent aux requérants d’asile.

Les personnes qui envisagent sérieusement de retourner dans leur pays d’origine, ou du moins de quitter la Suisse, peuvent s’adresser au Service d'aide au retour de la Croix-Rouge genevoise. Si, initialement, ce service s’adressait plutôt aux déboutés de l’asile, aujourd’hui les sans-papiers constituent la moitié des prestataires. Cet organisme fixe certains critères pour octroyer un soutien financier :

- La personne doit être là depuis un an au moins et pouvoir l’attester (factures de téléphone…).

- Elle doit pouvoir expliquer comment elle a vécu depuis son arrivée, avec quel gain, et pourquoi (lorsque c’est le cas) celui-ci a été perdu.

91 SIT. (2008). Documents statistiques internes disponibles auprès du syndicat.

92 SIT. (2004), op. cit.

- Les informations font l’objet de recoupements auprès d’institutions partenaires.

- Il y a également prise en charge lorsque la Croix-Rouge est en présence de personnes en grande vulnérabilité : handicapées, malades ou très âgées93.

L’aide financière accordée est prélevée sur les dons privés offerts à la Croix-Rouge. Ces derniers s’épuisant, l’organisme a sollicité une contribution financière au canton, qui la lui a accordée (loi 10291 lui attribuant une aide financière annuelle pour la période de 2009 à 2012). De plus, en fonction de la situation économique du demandeur, le service exige de sa part une participation aux frais. En 2007, le Bureau d’aide au retour aurait soutenu une centaine de sans-papiers94.