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Etienne, Françoise, la réconciliation

Depuis notre altercation, Françoise me bat froid. Reste professionnelle mais me considère et me parle avec une froideur et une distance confondantes. Et rien ne la fait fléchir, ni la livraison d’un énorme bouquet de fleurs suivi d’un kilo de ses chocolats préférés, ni mes tentatives de rapprochement, ni plus tard l’intercession de Patrick. Un bloc.

Je désespère de regagner jamais sa confiance et son amitié, et je me sens mal. Patrick s’est étonné auprès de moi de cette brouille manifeste mais je ne peux me résoudre à le mettre dans la confidence.

- Encore un secret ?! S’est-il exclamé. Qu’est-ce qui t’arrive Etienne ? Tu crois pas que tu devrais vider ton sac une bonne fois pour toutes ? Tu le vides, on fait le tri, on jette ce qui n’est plus bon à rien et on range le reste. Qu’est-ce que t’en penses ?

- D’abord Eloïse, ensuite Françoise. Et si je te vide mon sac comme tu dis, toi aussi tu vas me fuir. Je n’y survivrai pas. - Parce que le fait que Françoise te batte froid a un rapport avec Eloïse ?

- Mmmm.

- Peut-être que je ne réagirai pas comme elle ? Tu sais, cette histoire de sensibilité, de solidarité féminine…

Je le regarde un instant avant de me décider. J’en ai marre de mes cachotteries.

- OK, je vais te dire. Et si toi aussi tu me lâches…

- Non, je te promets : je te garderai mon amitié. Elle marchera peut-être de guingois mais elle s’en remettra. A moins que tu te sois vraiment conduit comme un parfait salaud… Je gémis.

- Ah bon ?… Toi ? - Oui, moi.

- Bon. Bon bon bon…

Il réfléchit, le menton dans une main.

- T’as tellement l’air malheureux mon pauvre vieux que je te mettrai un sérieux coup de pied dans le cul ou mon poing dans l’estomac si j’estime que c’est tout ce que tu mérites. Et je te ferai peut-être la gueule pendant six mois. Mais nous resterons potes, quoi que tu me dises, ça te va ?

- J’ai le choix ?

Il fait une bouche en canard, secoue la tête et hausse les épaules.

- Non, tu l’as pas. Allez vas-y, je t’écoute.

Juste à ce moment-là, à l’instant où j’allais dévoiler ma face noire, nous sommes interrompus par Rodolphe : un problème se pose qui ne souffre pas d’attendre sa solution.

Patrick quitte le bureau derrière lui non sans me menacer de son index tendu et d’un regard rétréci :

- Tu perds rien pour attendre mon bonhomme.

Françoise me battra froid jusqu’au jour où elle et moi nous nous retrouvons par hasard au photocopieur, chacun une feuille à reproduire dans la main, les yeux dans les yeux. L’ombre d’un instant, je la sens vaciller sur ses positions et j’en profite pour avancer un pied dans la porte entrouverte. En bon commercial, j’avance mes arguments et enfin elle m’écoute. D’un commun accord, nous estimons que cela a assez duré et que le temps est venu d’en débattre ou d’en découdre. Nous allons déjeuner ensemble et reparlons de mon attitude, de ma bassesse, de mes remords. Avec l’élégance dont elle est coutumière, Françoise ne m’appuie pas sur la tête, ma punition je la subis tous les jours, inutile d’en rajouter.

En final je lui demande quoi faire vis-à-vis d’Eloïse. - Rien Etienne, tu ne fais rien.

- Rien ?! Mais…

- Laisse-la. Je pense que tu lui as suffisamment fait de mal comme ça sans en remettre une couche. Si un jour elle veut t’en parler, elle t’en parlera. Ou pas.

Elle se tait un instant avant d’ajouter :

- Ou alors les choses se feront d’elles-mêmes. - Tu ne comprends pas Françoise.

- Quoi, qu’est-ce que je n’ai pas compris ?

- Avant de la revoir, je ne l’avais pas oubliée, non. Je ne l’ai jamais oubliée. Mais je n’imaginais pas la revoir un jour. Pour moi c’était une histoire de mon passé, je vivais ma vie sans elle. Tu comprends ?

- Oui, jusque là je comprends. - Et puis, je la revois et…

Comme rien ne suit, Françoise penche la tête sur le côté et m’encourage :

- Et ?…

Je hausse les épaules en soupirant.

- Et je me rends compte que je l’ai encore là.

Pour accompagner mes paroles, je pointe ma tête. Puis, après un moment de réflexion, mon cœur.

- Je l’aime encore.

- Oui, j’avais compris, me dit-elle d’une voix adoucie.

Maintenant elle me regarde tendrement et pose ses doigts sur ma main qu’elle presse.

- D’accord Etienne, ça va être dur. Mais tu ignores où elle en est de son côté. Elle t’a fait comprendre qu’elle souhaitait s’en tenir à des relations strictement professionnelles avec toi, alors respecte son vœu, ne la perturbe pas. Si vraiment tu l’aimes, tu peux bien faire ça pour elle non ?

Je hoche la tête mais, bien évidemment, je ne tiendrai aucun compte de ses conseils. Ça sera au-dessus de mes forces.

La preuve, environ trois semaines après, je retourne voir Françoise dans son bureau dont je ferme soigneusement la porte avant de prendre une chaise et de m’asseoir en face elle. Elle n’est pas dupe et attend avec un petit air goguenard que je parle.

- Françoise, je peux te demander un service ? Un grand service en fait.

- Ça dépend du grand service mon grand chéri. - C’est perso.

- Oh ça, j’avais compris. Quand c’est pour le boulot, tu me demandes poliment de faire quelque chose mais il ne s’agit jamais d’un service à te rendre… Et tu ne fermes jamais la porte.

Là-dessus, elle me gratifie d’un grand sourire carnassier. - Je t’écoute.

- C’est pas facile…

- Je m’en doute rien qu’à voir ta tête. - Voilà. Ça concerne Eloïse.

Françoise hausse comiquement les sourcils et dans ses yeux je lis une dérision qui me gêne.

- Ah bon, je ne m’en serais pas doutée.

- Te fous pas de moi Françoise, je suis sérieux. - Bon. OK, je t’écoute.

- Je me disais que toi et Eloïse, vous vous entendiez bien. Je me trompe ?

- Non, c’est exact. - Et que…

- Et qu’elle m’écouterait, moi. Je me trompe ?

Les yeux sur la moquette, je me frotte les mains l’une contre l’autre avant de répondre.

- Non, c’est un peu l’idée.

- Et donc, si j’interférais en ta faveur, elle pourrait changer son attitude vis-à-vis de toi, être plus… réceptive. C’est toujours çà l’idée ?

- J’ai beaucoup d’amitié pour toi Etienne, tu le sais. Et tu sais que tu peux compter sur moi. Mais je te le dis tout de suite : sur ce coup-là…

Elle prend sa respiration avant de m’asséner : - Ne compte pas sur moi.

- Pourquoi ?

J’ai dix ans à ce moment-là.

Elle prend son temps avant de me répondre. Elle me regarde froidement de ses yeux bleus et la mer y est soudain très froide, sans Golf Stream pour tempérer.

- Tu sais ce que je pense de ce que tu lui as fait. - Oui je sais, nous en avons parlé.

- Moi je t’ai pardonné. Dans la mesure où j’ai à te pardonner quoi que ce soit d’ailleurs. Disons que j’ai entendu ta…

Elle cherche le mot.

- J’ai entendu que tu étais désolé de ce que tu avais fait, que tu t’en repentais – mon dieu que je n’aime pas ce terme ! – que tu regrettais…

Je la coupe :

- Et c’est ça justement qu’Eloïse doit savoir ! Qu’elle sache combien je regrette.

- Et que ça soit moi qui le lui dise ?

- Ben oui puisque moi elle refuse de m’entendre ! Je ne t’ai pas dit, elle et moi on a pris un pot il y a quelques jours. On parlait boulot, elle était plutôt détendue, enfin du moins elle en avait l’air. J’avais rien prémédité, je me suis décidé comme ça. D’un coup j’ai essayé de lui parler de nous et elle m’a stoppé net. Net !

J’accompagne mes mots avec le tranchant de la main. - Peut-être que toi elle t’écouterait ?…

Françoise se cale le dos dans son fauteuil. La mer de ses yeux est déjà moins glaciale mais je ne m’y baignerais pas pour autant.

- Je peux te laisser réfléchir si tu veux… - Oh c’est tout réfléchi Etienne !

Je ferme les yeux et tends les mains devant moi pour qu’elle se taise.

- Non, ne dis rien maintenant. Je te demande de réfléchir Françoise. Tu me donneras ta réponse plus tard.

Je me lève et pour dédramatiser la situation, je fais une petite grimace :

- Il en va de ma santé tu sais. Donc de la santé de cette entreprise…

Sur ce, je lui décroche un petit clin d’œil et sors de son bureau avant que le bloc-notes qu’elle me jette ne m’atteigne. La mer avait l’air à meilleure température.