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ET L’ARCHITECTURE RATION- RATION-NELLE ITALIENNE

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GIUSEPPE TERRAGNI

123 L’architecture de Giuseppe Terragni, membre du Parti fasciste dès 1928,

l’année même où il commence les premières esquisses pour la Casa del Fascio à Côme, pose la question du rapport entre architecture et idéologie politique ou, plus précisément, de la relation entre l’architecture rationnel-le et rationnel-le fascisme.

Durant les années 1950, des critiques comme Bruno Zevi ont entretenu l’opinion que les œuvres modernes étaient « naturellement » antifascistes – même si elles étaient conçues par des architectes fascistes - par opposi-tion à l’aspect monumental et classique spécifique des œuvres fascistes. A cette vision unilatérale, qui réduit le débat à une opposition stricte entre rationalistes et traditionalistes, a succédé, dans les années 1970, une autre

« vision mieux à même de rendre compte des contradictions et de la com-plexité de l’architecture italienne entre les deux guerres. Elle s’appuyait sur les termes des débats de l’époque : les qualificatifs « moderne », « ration-nel », « classique », « moral », « traditionration-nel », « méditerranéen », « italien » ou « romain » se rapportaient tous au fascisme dans la bouche de leurs protagonistes qui leur attribuaient autant de nuances ou de significations différentes. C’est ainsi que l’on est passé de l’idée d’un fascisme monoli-thique à celle d’un fascisme à plusieurs visages, tantôt moderne, tantôt traditionaliste, tantôt révolutionnaire, ou se rapportant à la romanité » (C.

Baglione, « Terragni, l’Italie et le fascisme », L’Architecture d’aujourd’hui, n° 298, 1995, p. 58)

C’est en effet dans une vision éclectique de l’idéologie fasciste qu’il faut encadrer l’œuvre urbanistique et architecturale de Terragni. Une œuvre qui, comme pour d’autres architectes tels Le Corbusier – dont les écrits théoriques et l’architecture vont être une référence majeure – ou Alvar Aalto, va évoluer du classicisme vers une esthétique moderne et rationnelle.

GIUSEPPE TERRAGNI

LE RAPPORT AU PASSÉ

En 1926, Terragni fait partie d’un groupe d’architectes pour la plupart issus comme lui du Politecnicum de Milan : le Gruppo 7, constitué, en plus de lui-même, d’Ubaldo Castagnoli (remplacé rapidement par l’architecte romain Adalberto Libera), Luigi Figini, Guido Frette, Sebastiano Larco, Gino Pollini et Carlo Enrico Rava.

Les membres du Gruppo 7 connaissent, essentiellement par le biais des livres et revues spécialisées, le mouvement moderne artistique européen.

Leur discours théorique et critique, publié pour la première fois en 1926 dans la revue Quadrante, est un manifeste pour l’affirmation d’une avant-garde architecturale qui doit néanmoins prendre ses distances par rapport aux excès d’un mouvement précédent, internationalement reconnu : le futurisme.

« Le signe distinctif de l'avant-garde à ses débuts était un élan imaginatif et une fureur vaniteuse et destructive, mêlant les bons et les mauvais éléments : la caractéristique de la jeunesse d'aujourd'hui est un désir de lucidité et de sages-se... Cela doit être clair... Nous n'entendons pas rompre avec la tradition...

L'architecture nouvelle, l'architecture vraie doit être le résultat d'une proche association entre la logique et la rationalité. »

Gruppo 7, "Note" in Rassegna Italiana, décembre 1926.

Tout en adhérant aux préceptes formulés par Gropius ou Le Corbusier, les jeunes architectes revendiquent néanmoins l’héritage de l’architecture classique, expression d’une stabilité sociale, politique et économique qu’il faut réinstaurer :

« Notre passé et notre présent ne sont pas incompatibles. Nous ne souhaitons pas ignorer notre héritage traditionnel. C'est la tradition qui se transforme toute seule et prend de nouveaux aspects que seuls quelques-uns peuvent recon-naître. »

Gruppo 7, "Note", Rassegna Italiana, décembre 1926.

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ENTRE CLASSICISME ET MODERNITÉ : LE NOVOCOMUM

On retrouve cette tentative de synthèse entre le rationalisme et le classicis-me dans l’expression architecturale de l’imclassicis-meuble de logeclassicis-ments construit à Côme en 1926. Considéré par l’historien et critique italien Bruno Zevi comme « le premier édifice (italien) de niveau européen », sa teneur peut néanmoins faire l’objet de deux lectures, opposées mais finalement com-plémentaires : comme un objet moderne, qui repose sur les canons esthé-tiques appliqués au même moment par les avant-gardes européennes ; ou alors comme un objet dont la modernité s’insère, d’une façon implicite, dans une continuité historique.

La première lecture fait ressortir l’expression épurée et puriste des façades, les porte-à-faux à différents étages, le jeu volumétrique des angles – inspirés semble-t-il du club ouvrier Zuyev construit par Golossov à Moscou en 1926-1928 – enfin l’imagerie navale suggérée par des bar-rières métalliques et les fins détails des panneaux vitrés qui font office de séparation entre les appartements.

La deuxième lecture met plutôt en exergue l’adoption de plans tradition-nels, conçus selon le standard bourgeois local, et une série de correspon-dances et d’opérations de renversements stylistiques par rapport au bâti-ment préexistant de l’îlot : l’importance accordée aux angles est mainte-nant exprimée par des évidements et des cylindres vitrés, en lieu et place des renforcements maçonnés habituels, comme des tours d’angle; le socle en retrait par rapport au piano nobile, plutôt qu’en saillie, est souligné par des bossages en pierre ; enfin l’attique, comme un étage plein, est forte-ment exprimé par un porte-à-faux vertigineux dans les angles, par opposi-tion aux loggias du bâtiment d’origine.

Le Novocomum se réfère simultanément à des sources traditionnelles et modernes, dans le sillage des préceptes énoncés par le Gruppo 7. Malgré sa complexité conceptuelle, il apparaît prioritairement comme un premier exemple du rationalisme italien ou, selon l’affirmation plus imagée de Giuseppe Pagano dans les pages de la revue Casabella, comme un « excel-lent exemple de machine à habiter ». (G. Pagano cité par T. L. Schumacher, Surface & Symbol. Giuseppe Terragni and the Architecture of Italian Rationalism, Princeton Architectural Press, New York, 1991, p. 78)

GIUSEPPE TERRAGNI

Novocomum, Côme (1927-29)

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GIUSEPPE TERRAGNI

UNE « MAISON DE VERRE » : LA CASA DEL FASCIO

« Il est des phrases ou des gestes qui éclairent, guident, et donnent forme au caractère d’une œuvre aussi typique du Régime. Le Duce déclare que le « fas-cisme est une maison de verre ». Transposé, le sens de sa phrase indique et trace les qualités d’organicité, de clarté et d’honnêteté de la construction .»

G. Terragni, « La construzione della Casa del Fascio di Como, Quadrante, n° 35-36, 1936, cité par C. Baglione, « Terragni, l’Italie et le fascisme », op. cit., p. 59.

Par cette affirmation, Terragni témoigne de sa quête d’une expression architecturale apte à représenter « l’ordre nouveau » du fascisme, qu’il assimile à l’idée de transparence et à l’adoption d’une rhétorique abstraite.

Ces deux notions président en effet à la conception de la Casa del Fascio de Côme, mandat prestigieux et symbolique obtenu en 1932.

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