E VALUATION DE L ’ ARBRE DECISIONNEL INCLUANT CE TEST : A PPLICATION A LA TUBERCULOSE BOVINE
5.1 Estimation directe des caractéristiques des tests de dépistage de la tuberculose bovine
La première partie de cette étude avait pour but de réaliser une estimation directe des sensibilités et des spécificités du dosage de l’IFN dans ses conditions d’utilisation de terrain et de les comparer à celles des tests habituels (intradermotuberculinations simple et comparative). Ces estimations ont été faites en utilisant comme référence positive l’isolement de M. bovis au LNR (après abattage) et comme référence négative l’appartenance à un cheptel indemne depuis plusieurs années et ne présentant pas de risque épidémiologique particulier vis‐à‐vis de la tuberculose bovine. L’isolement de M. bovis en culture a été choisi en tant que référence positive en raison de sa spécificité parfaite (absence de résultats faussement positifs), mais elle présente l’inconvénient de ne pas avoir une sensibilité parfaite. Par ailleurs, les animaux présentant des résultats positifs en culture constituent probablement une population particulière dans laquelle la maladie a évolué suffisamment longtemps pour que les bacilles tuberculeux soient retrouvés dans les nœuds lymphatiques ou pour avoir engendré des lésions. Ces deux points engendrent un biais de sélection des animaux infectés et un biais dans l’estimation des caractéristiques des tests.
Pour chacune de ces estimations, les calculs ont été effectués à partir d’un nombre très limité d’animaux, ce qui engendre à la fois une piètre précision des résultats obtenus et une faible puissance statistique. Par ailleurs, les tests sont utilisés dans des contextes très particuliers (usage en série, difficultés de contrôle des foyers de tuberculose, fréquence des mycobactéries atypiques en Côte d’Or, bovins de combat en Camargue…). Avant de procéder à toute interprétation de ces résultats, il est indispensable de garder à l’esprit ces deux points.
En Côte d’Or, la sensibilité et la spécificité individuelles du test ESAT‐6 étaient particulièrement satisfaisantes comparées à celles du Bovigam®. La sensibilité individuelle brute de l’IFN global1 était faible mais sa sensibilité individuelle « UE »2 était satisfaisante et n’était pas significativement différente de celle de l’IDC (p>0,05). A l’échelle collective, la sensibilité « troupeau » du test Bovigam® n’était pas significativement différente de celle de l’ESAT‐6 (p>0,05). 1 Interprétation en parallèle des résultats au test Bovigam® et à l’ESAT‐6 2 Résultats douteux assimilés à des résultats positifs, interprétation prévue par la réglementation européenne et appliquée sur le terrain
Les spécificités individuelle et collective de l’IFN global étaient basses, en raison de la faible spécificité du test Bovigam®. Le seul test IFN dont la spécificité (individuelle et collective) était correcte était l’ESAT‐6.
Les sensibilités individuelles moyennes du test Bovigam® et de l’IFN global étaient plus élevées en Dordogne qu’en Côte d’Or. Cette observation peut être mise en relation avec l’utilisation d’un seuil de positivité pour le Bovigam® plus bas en Dordogne (0,03% D.O.) qu’en Côte d’Or (0,04% D.O.). Les sensibilités des tests IFN à l’échelle collective étaient similaires dans les deux départements.
Les spécificités individuelles et collectives du test Bovigam® et du test IFN global étaient plus élevées en Dordogne qu’en Côte d’Or (p<0,05). En revanche, le gain de spécificité attendu du fait de l’utilisation du CFP‐10 dans le cocktail d’antigènes recombinants en Dordogne, par comparaison avec l’utilisation de l’antigène ESAT‐6 seul en Côte d’Or n’a pas pu être mis en évidence. Ces deux points peuvent être dus à l’utilisation d’un seuil de positivité plus élevé pour les Recombinants en Dordogne (0,05% D.O.) qu’en Côte d’Or (0,04% D.O.). En Camargue enfin, les sensibilités moyennes (individuelles et collectives) du test Bovigam® étaient plus élevées qu’en Côte d’Or et légèrement inférieures à celles observées en Dordogne. Sa spécificité individuelle était élevée mais sa spécificité « troupeau », faible, se rapprochait de celle observée en Côte d’Or. Seuls les résultats disponibles en Camargue permettaient une estimation non conditionnelle des caractéristiques du dosage de l’IFN, ce qui pose la question de la légitimité d’une comparaison des résultats obtenus dans ces deux contextes différents. En effet, en Côte d’Or et en Dordogne, tous les animaux étudiés provenaient de cheptels dans lesquels des résultats non négatifs en ID avaient été observés, et avaient subi une ID trois jours avant la réalisation du prélèvement de sang pour le dosage de l’IFN. Certaines études ont suggéré que la production d’interféron gamma pouvait être augmentée par l’administration de tuberculine au pli sous‐caudal 7 à 59 jours auparavant (Rothel et al., 1992), mais ce phénomène n’a pas pu être mis en évidence dans d’autres études (Doherty et al., 1995 ; Ryan et al., 2000 ; Gormley et al., 2004). Bien qu’à notre connaissance aucune étude n’ait été publiée à ce sujet, il n’est pas exclu que s’il existe une influence de l’administration intradermique de tuberculine sur le résultat de l’IFN, elle ne soit pas strictement identique selon le type et la quantité de tuberculine utilisée (IDS vs. IDC).
Les sensibilités individuelles et collectives, des intradermotuberculinations n’étaient pas significativement différentes en Dordogne et en Côte d’Or (p>0,05).
En Côte d’Or comme en Dordogne, la spécificité individuelle des tests allergiques était satisfaisante. Les spécificités « troupeaux » des intradermotuberculinations étaient significativement plus élevées
en Dordogne qu’en Côte d’Or (p<0,05), en raison de la fréquence des réactions croisées avec des mycobactéries atypiques de l’environnement et de la grande taille des troupeaux de Côte d’Or. L’étude de l’évolution des spécificités « troupeau » de l’IDS et de l’IDC en Côte d’Or au cours des trois campagnes pose question. L’augmentation de la spécificité collective de l’IDS peut être liée au fait que certains vétérinaires « ferment les yeux » sur un pli de peau légèrement augmenté en tuberculine bovine, en particulier dans les cheptels qui ont été sujets à des résultats faussement positifs les années précédentes. La diminution corrélée de la spécificité collective de l’IDC tendrait à montrer qu’à partir du moment où la réaction à la tuberculine bovine est considérée comme positive par le vétérinaire, la mesure de la réaction à la tuberculine aviaire est réalisée avec soin. De plus, une lecture objective par mensuration du pli de peau est effectuée de manière systématique lors de la réalisation des IDC. En Dordogne au contraire, la lecture des IDS est subjective (lecture « à la main »).
Dans la littérature, le dosage de l’IFN est considéré comme au moins aussi sensible que l’ID, voire plus (Neill et al., 1994 ; Wood et Jones, 2001 ; Pollock et al., 2003), en raison du fait que le dosage de l’IFN détecte les animaux infectés à un stade plus précoce que l’ID (avec un délai entre infection et détection compris entre une et cinq semaines pour l’IFN [Pollock et al., 2003], contre 15 jours à 6 mois, avec une moyenne de 3 à 8 semaines pour l’ID [Francis, 1958]). D’autre part, il a été prouvé que le délai entre l’infection et le moment auquel le dosage de l’IFN est en mesure de la détecter n’est pas dépendant de la dose infectante (Dean et al., 2005). Ces éléments sont intéressants car le dosage de l’IFN serait susceptible de détecter une infection par de faibles doses de M. bovis dès ses premiers stades. Il présente toutefois (tout comme l’ID) le désavantage de ne pas détecter les individus en phase d’anergie.
Par ailleurs, il n’existe pas un unique test de dosage de l’interféron gamma mais de multiples modalités techniques utilisables. A l’heure actuelle, seul le kit Bovigam® (Prionics, Suisse) est commercialisé. Une nouvelle version du kit est d’ailleurs en cours d’évaluation, ce qui signifie que les caractéristiques du test tel qu’il sera disponible dans quelques années seront probablement assez différentes de celles du test étudié (Moyen, LVD 24, 2012, communication personnelle). Les autres cocktails d’antigènes utilisés (ESAT‐6, CFP‐ 10) sont fabriqués « maison » par les laboratoires et ne sont donc pas identiques d’un laboratoire vétérinaire départemental à l’autre.
La technique d’interprétation à l’aide de la formule normalisée (Faye et al., 2008) et non de la densité optique brute est une spécificité française. Nous avons également évoqué l’existence de variations dans les seuils de positivité d’un laboratoire à l’autre et d’une année sur l’autre.
Ces particularités, ajoutées aux variations classiquement rencontrés dans les études d’évaluation de tests (origine et profil de la population animale étudiée, contexte épidémiologique, laboratoire dans lequel sont réalisés les tests, méthodes d’interprétation des résultats douteux et
modalités des analyses statistiques conduites) engendrent une grande variation des chiffres publiés dans la littérature (De la Rua‐Domenech et al., 2006). Ces observations justifient pleinement la mise au point de protocoles adaptés à chaque région et à chaque contexte, et montrent à quel point il serait difficile (et probablement délétère) de proposer un protocole unique pour l’ensemble du territoire.
D’un point de vue pratique, l’utilisation du dosage de l’IFN présente l’avantage de n’imposer qu’une seule contention des animaux testés et de fournir des résultats non dépendants du vétérinaire, contrairement à l’intradermotuberculination qui impose de contenir les animaux deux fois à 72 heures d’intervalle et dont la lecture est dépendante de l’opérateur. Une étude menée actuellement (Bekkara et al., 2012, résultats non publiés) montre qu’il existe une fort effet « opérateur » (vétérinaire) sur la qualité de réalisation des intradermotuberculinations et le respect des règles imposant la déclaration de résultats non négatifs. Au contraire, la réalisation de l’IFN est standardisée et ses résultats ne sont donc pas soumis à la subjectivité du vétérinaire. En considérant certains cas extrêmes relatés par les services vétérinaires départementaux, l’utilisation de l’IFN évite également que le vétérinaire ne subisse de pression de la part d’un éleveur souhaitant éviter la déclaration de résultats non négatifs en ID et le blocage de son exploitation qui en résulterait. De plus, l’enregistrement des résultats individuels d’IFN par le laboratoire en améliore la traçabilité et l’archivage.
Parmi les inconvénients inhérents à l’utilisation de l’IFN, citons la nécessité d’un transport des prélèvements sanguins au laboratoire dans un délai de 4 à 6 heures suivant le prélèvement. Les conditions de conservation de l’échantillon peuvent influer sur le résultat du test (Rothel et al., 1990 ; Waters et al., 2007) et le coût de ce test qui s’élève à 40 à 60 euros par animal (Boschiroli, LNR Tuberculose, 2012, communication personnelle). Dans certains cas, le résultat du test est ininterprétable, ce qui impose de procéder à un nouveau prélèvement de sang.
A titre de comparaison, chez l’Être humain, les tests utilisés pour diagnostiquer une tuberculose latente sont similaires à ceux mis en œuvre dans l’espèce bovine. Deux tests de dosage de l’interféron gamma sont commercialisés (Quantiféron® et Elispot®, Herrmann et al., 2006). Une méta‐analyse des informations disponibles dans la littérature (Menzies et al., 2007) aboutit à la conclusion que la sensibilité du test cutané à la tuberculine (test de Mantoux) et des deux IFN étudiés est sous‐optimale. La spécificité des IFN est plus marquée que celle du test à la tuberculine chez les sujets vaccinés avec le BCG (ou sensibilisés par d’autres mycobactéries non tuberculeuses). Toutefois, comme chez les bovins, les résultats discordants entre tests cutanés et IFN sont fréquents et inexpliqués, avec un nombre important de conversions d’un IFN positif à un IFN négatif. A l’heure actuelle, chez l’Être humain, les IFN sont essentiellement utilisés pour le diagnostic de l’infection
tuberculeuse latente autour d’un cas de tuberculose, chez les migrants infectés dans leur pays d’origine ou chez les groupes à risque (L’Hadj et al., 2006).