690
Extrait musical n°4. : La Musique De La Garde Républicaine, « Marche du Printemps » (Roger Boutry). La
Musique de la Garde Républicaine, La Musique des Gardiens de la Paix, La Musique de L'air De Paris, De l’étoile
au caroussel, 33 tours, CORELIA-583396-FRANCE, 1983.
691
Extrait musical n° 5. : Musikverein Buehlertann, « Orphée aux enfers », extrait de l’opéra de Jacques
Offenbach, enregistré en 1974. Musikverein Buehlertann, Best of Karl Ultreich 1975-1999, extraits
d’enregistrement de concert, CD, édité par la Musikverein Buehlertann, ALLEMAGNE, 1999.
692
Sophie-Anne Leterrier, « Musique populaire et musique savante au XIXe siècle. Du ‘’peuple ‘’ au ‘’public‘’ »,
« Revue d’histoire du XIXe siècle », 1999-19, p. 2, URL : http://rh19.revuesIorg/index157.html . Consulté le 16
février 2010.
693
A ce sujet, voir Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, 1936, réédition dans
Essais II, Paris, Denoël-Gonthier, 1983.
694
Sophie-Anne Leterrier, « Musique populaire et musique savante au XIXe siècle. Du ‘’peuple ‘’ au ‘’public‘’ »,
Revue d’histoire du XIXe siècle, 1999-19, p. 2-3, URL : http://rh19.revuesIorg/index157.html . Consulté le 16
février 2010.
187
est propre ou qu’il s’approprie, qu’il arrange à la « sauce fanfare ». Le concept d’appropriation
est donc déterminant pour la compréhension du répertoire des ensembles à vent. Denis Constant
Martin définit le concept d’appropriation en musique : « il désigne en général toutes sortes de
copies, d’emprunts ou de recyclages qui aboutissent à constituer une pièce musicale en utilisant
des éléments préexistants.
695» Néanmoins, il n’écarte pas la notion de création musicale
considérant qu’il n’existe pas de « création ex-nihilo », toute musique est le fruit d’emprunts,
d’influences issues de la « musique de l’autre »
696. L’appropriation est multilatérale. Elle
fonctionne dans les deux sens. Si la musique à vent s’approprie le rythme, les mélodies, des
traits symboliques d’autres genres, l’inverse existe aussi et la fanfare sert de matière à
appropriation
697. Il s’agit d’un processus qui existe lorsque deux individus, deux groupes
sociaux, deux cultures sont mises en relation. L’inégalité des rapports peut apparaître, comme
l’appropriation de la culture des dominants par les dominés. Pour Paul Ricœur, c’est faire sien
quelque chose pour exister par rapport à l’autre mais aussi le comprendre et ainsi par la
transformation de ce que l’on s’est approprié changer l’objet et créer
698. Donc pour les groupes
subalternes le pouvoir transformateur de l’appropriation permet de s’émanciper. Roger Chartier
dans un article de 1989, va plus loin
699. L’appropriation, qu’il étudie dans le cadre de l’histoire
des textes, est selon lui fondamentale pour l’histoire culturelle mais doit s’écarter des principes
d’histoire sociale marquées « d’une conception étroitement sociographique qui postule que les
clivages culturels sont organisés nécessairement selon un découpage social construit
préalablement. » Plus qu’un découpage par profession ou par hiérarchie sociale, il faut accepter
l’idée de circulation des œuvres dans une aire sociale composite. Cela ne fait qu’accentuer
l’impossibilité de classement de la fanfare dans un genre précis.
Pour les ensembles à vent, dès la mise en place de ce répertoire inspiré par les cultures savantes,
des critiques se font jour. « Le résultat musical de toutes ces transcriptions ne fut pas toujours
heureux » précise « L’Orphéon » de juillet 1933
700, l’organe de presse des sociétés musicales
695
Denis-Constant Martin, « Attention, une musique peut en cacher une autre », Volume ! 10 : 2 , 2014, pp. 48-67,
p. 48
696
Ibid., pp. 48-67, p. 58
697
Voir Partie 2, chapitre 6, A. Liens et influences réciproques avec les autres pratiques musicales.
698
Paul Ricœur, « Existence et herméneutique », In : Le conflit des interprétations, essais d’herméneutique, Paris,
Le Seuil, 1969, pp. 7-28, p.20-21 ; Paul Ricœur, « Herméneutique des symboles et réflexion philosophique (II),
In : Le conflit des interprétations, essais d’herméneutique, Paris, Le Seuil, 1969, pp. 311-329, p. 323-325 ; Paul
Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990. Ouvrages cités dans : Denis-Constant Martin, «
Attention, une musique peut en cacher une autre », Volume ! 10 : 2 , 2014, pp. 48-67, p. 54
699
Roger Chartier, « Le monde comme représentation », « Annales. Economies, Sociétés, Civilisations », n°6,
1989, pp.1505-1520, p.1510-1511
700
« L’Orphéon », juillet 1933, cité par Philippe Gumplowicz, Les Travaux d’Orphée. Cent cinquante ans de vie
188
françaises. Dans la deuxième moitié du XX
esiècle, les critiques ne font que continuer, accusant
le répertoire des orphéons d’être désuet, mal joué, trop facile… Le Britannique Arthur
Butterworth publie un article en 1970 dans « Music in Education », intitulé : « The Brass Band
– A Cloth Cap Joke ?
701» qui va dans ce sens. Les transcriptions de pièces classiques
simplifiées, dans leurs orchestrations, écourtées pour être jouées aisément par des musiciens
amateurs, conduisent à une « minoration culturelle de ces formations
702». Ecourtées,
puisqu’elles sont fréquemment réduites aux ouvertures et aux thèmes principaux de l’œuvre.
Les chefs choisissent souvent les pièces les plus accessibles qui ne comportent pas trop de
variations de rythmes, de nuances. Des pièces qui ne sont pas trop difficiles à réaliser et pas
trop longues pour ne pas lasser le public. Donc cela limite les emprunts possibles, en tout cas
pour la majorité des orchestres. Dès le XIX
esiècle, la notion de « fantaisie » illustre
parfaitement le dessein des transcriptions, permettre le passage d’une « œuvre sérieuse » à une
fragmentation d’extraits pour en faire une « pièce musicale légère »
703. Pot-pourri, modestie
face à l’œuvre originelle, dans tous les cas le vocable « fantaisie » sous-entend une
dévalorisation de l’œuvre originale. Pour Philippe Gumplowicz, elle reste de la « musique
légère », « d’aimables broderies souvent pauvrement troussées sur des œuvres majeurs
704».
L’importance en nombre des transcriptions s’explique aussi par la faiblesse du répertoire
spécifique pour harmonie ; une faiblesse quantitative et une dévaluation symbolique des
compositions existantes. La majorité est constituée par un ensemble d’œuvres mineures de
grands compositeurs ou des compositions d’auteurs mineurs. En effet, la forte dévalorisation
de la musique à vent a repoussé les compositeurs de musique sérieuse ne voulant pas « s’abîmer
» ou « s’abaisser » vers une telle musique. Mais il existe tout de même des œuvres originales
pour ensembles à vents écrites par de grands compositeurs démontrant que ce n’est pas
incompatible, Richard Wagner écrit la « Marche de reconnaissance » en l’honneur de Louis II
de Bavière, Félix Mendelssohn l’« Ouvertüre für Harmoniemusik » op. 24 (Ouverture pour
harmonie) et « Trauermarch » op.103 (Marche funèbre), Hector Berlioz la « Symphonie
funèbre et triomphante » (1840). Des pièces de musique du premier XX
esiècle dues à Paul
Dukas, Gabriel Fauré, Florent Schmitt (1870-1958) et son poème symphonique « Dionysiaques
Op. 62 », Vincent d’Indy, Igor Stravinsky qui compose une « Symphonie d’instruments à vent »
(1920) et un « Concerto pour piano et orchestre d’harmonie » (1924) viennent encore le
701
Cité dans, Roy Newsome, op.cit., p. 55
702
Vincent Dubois, Jean-Matthieu Méon, Emmanuel Pierru, op.cit., 2009, p. 31
703
Soizic Lebrat, op.cit., p. 123
704
Philippe Gumplowicz, « La musique et le peuple en France. 1789-1848 », in : Hans Erich Bödeker, Patrice Veit
189
confirmer. Plus tard, des compositeurs comme Darius Milhaud (1892-1974) s’intéressent à
l’orchestre à vent avec notamment sa « Suite Française » (1944), incluant des thèmes
populaires de Normandie, Bretagne, Ile de France, Alsace, Lorraine et Provence. En
Grande-Bretagne, Gustav Holst (1874-1934), Edward Elgar (1857-1934), John Nicholson Ireland
(1879-1962), Granville Bantock (1868-1946), Herbert Howells (1892-1983) et Arthur Bliss
(1891-1975) écrivent plusieurs pièces pour ensembles à vent
705.
Ralph Vaughan William (1872-1958), considéré comme le plus grand symphoniste anglais du
XX
esiècle, compose lui aussi pour l’harmonie et le Brass Band. Pourtant, longtemps il
reconnait ne pas aimer le style Brass Band à cause de son vibrato constant et très exagéré qu’il
déplore. En rencontrant le chef Bernard Adams et en écoutant l’orchestre qu’il dirige, The
International Staff Band, l’orchestre international du personnel de l’Armée du Salut, il est
conquis et convaincu d’écrire pour cet ensemble de cuivre. Il écrit dans les années cinquante
son « Prélude on Three Welsh Hymn Tunes » (1955) et ses « Variations for Brass Band »
(1957), morceau imposé pour la finale du concours national de 1957
706. Les compositeurs
doivent donc dépasser leurs préjugés.
Depuis le XIX
esiècle, on adjoint au répertoire classique de la musique légère : quelques
fantaisies ou musiques de danse : polkas, valses, quadrilles, scottish…
707Johann Strauss père
avec « Radetzky marsch », Johann Strauss fils avec « Trisch-Trasch polka », « Sang viennois »
et « Aimer, boire et chanter » ou le « Beau Danube bleu » s’impose dans de nombreux
programmes quelque soit la période et le pays. Des années cinquante au milieu des années
soixante, les tubes de la radio arrivent très rapidement sous forme d’arrangement dans les
orchestres à vent
708. Le style big band de l’orchestre de danse radiophonique allemand d’Erwin
Lehn et de l’ensemble de Kurt Edelhagen entre en force. Sous le pseudonyme de Ted Huggens,
le Néerlandais Henk Van Lijnschooten (né 1928), compose dans ses mêmes années une
musique swing dans le style des Swingle Singers, un groupe vocal qui réalise des reprises jazzy
des plus grands classiques. Il devient l’un des compositeurs les plus joués des régions de langue
allemande. Dans les années soixante-dix, la musique légère se modernise sous la pression de la
jeunesse. Des adaptations d’airs de variétés contemporains font leur apparition. En France, les
harmonies jouent « Le sirop typhon », chanté par Richard Anthony ou « Le travail c’est la
705
Roy Newsome, op.cit., p. 121
706
Roy Terry, « Brass Band. Le festival des cuivres Royal Northern College of music, Manchester », « La Gazette
des cuivres », n°9. I – 2008.
707
Philippe Gumplowicz, op.cit., p. 199-200
708
Wolfgang Suppan, « Essor de la littérature pour orchestres à vent amateurs en Europe centrale depuis 1950 »,
190
santé » d’Henri Salvador. Les chansons napolitaines, sous forme d’arrangements inondent les
bande italiennes
709. Des arrangements du Top 50, de la variété internationale font leur entrée
au répertoire des orchestres à vent. Presque aussitôt la sortie des albums, des arrangements des
morceaux des Beatles apparaissent sur le marché, comme « Beatles Medley » arrangé par
Edrich Siebert
710. Il existe plusieurs adaptations pour chaque artiste, le résultat est plus ou moins
bon. Les arrangeurs se livrent à une course effrénée pour sortir toujours plus de musique et plus
vite que les concurrents, tant le marché est intéressant et lucratif. Toute une économie se
structure autour de l’enjeu du répertoire. Inévitablement, les affaires ne font pas toujours bon
voisinage avec la qualité musicale. L’évolution n’est pas la même dans tous les ensembles à
vent, certains se cantonnent essentiellement aux transcriptions classiques et d’autres s’ouvrent
plus largement à la musique légère. La limite entre ce qui relève de la marche, de la chanson,
de la musique de divertissement, de la musique populaire, contribue à brouiller le classement
des ensembles à vent dans un genre défini et milite vers une autonomisation du genre musical
de la fanfare. Puisqu’il existe des arrangements de chansons de variétés sous forme de marche.
Le jazz est longtemps boudé par les harmonies. Philippe Gumplowicz a montré les résistances
rencontrées dans le mouvement orphéonique français
711.Cette musique, qui n’est pas toujours
écrite, suppose une part d’improvisation qui n’appartient pas à la culture de la fanfare. De plus,
la rythmique, les pulsations de ce style ne sont pas toujours évidentes à réaliser par les orphéons
qui n’y sont pas habitués. L’abondance de rythmes syncopés et de contretemps sont difficiles
car pas présents dans l’écriture classique des morceaux d’ensembles à vent. S’il fait timidement
son apparition à la fin des années soixante, le jazz, tout comme les musiques de films, n’est
véritablement joué qu’à partir des années quatre-vingt. Et quel jazz ? L’histoire du jazz est
complexe et les sous-catégories sont nombreuses. Les orphéonistes privilégient le jazz Nouvelle
Orléans et le swing par rapport à un jazz trop expérimental comme le free jazz. Apparu à la
moitié des années 1950, le free jazz se libère des contraintes harmoniques et met en valeur
l’improvisation et l’énergie
712. Le jazz naît au début du vingtième siècle à la Nouvelle Orléans
avec les Brass Bands qui jouent des marches militaires revisitées par les noirs américains et les
créoles et qui privilégient l’expression collective
713par des moments d’improvisation de tous
les musiciens. Avec le swing, à partir des années 1930, les big bands se reposent sur des
709
Témoignage de Giorgio Sacchi, recueilli le 29 octobre 2011.
710
Roy Newsome, op.cit., p. 127
711
Philippe Gumplowicz, op.cit., p. 229-230
712
Philippe Gumplowicz, Le roman du jazz. Troisième époque. Les modernes, Paris, Fayard, 2008, p. 455
713
Pour une histoire complète des débuts du jazz, voir : Philippe Gumplowicz, Le roman du jazz. Première époque
Dans le document
Sous le signe de la lyre : les ensembles à vent en Europe
(Page 188-192)