Chapitre I : Etude bibliographique
I.3. Influence du bore – Essais de FAC par liquation
I.3.2. Essai Gleeble
I.3.2.1. Présentation de l’essai Gleeble de ductilité à chaud
Il a été déjà montré dans la littérature que les fusions à basse température faisant chuter la
ductilité et les efforts liés au retrait thermique lors du soudage sont des causes de fissuration
à chaud par liquation. Comme on l’a déjà mentionné précédemment, la chute de ductilité et
les contraintes d’origine thermique contribuent à créer les fissures à chaud. Or, l’étude de tous
ces facteurs en même temps semble compliquée. Dans certains cas, on veut seulement savoir
si un matériau présente une chute de ductilité dans la plage de température de liquation, et
donc présente un risque de FAC par liquation. L’essai Gleeble est très utile dans ce cas. Il
permet de déterminer la température des premières fusions sans considérer les efforts
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mécaniques liés au soudage. Autrement dit, cet essai sépare en quelque sorte « le matériau »
et « les efforts mécaniques » dans le phénomène de FAC. Cet essai sert donc à détecter
indirectement la présence de la phase liquide via la ductilité à la rupture (la présence de la
phase liquide diminue la ductilité du matériau).
Figure I.18 : Un essai Gleeble en cours de réalisation (Frank Schweizer, Fraunhofer Institute for Mechanics of Materials IWM)
L’essai consiste à réaliser un cycle thermique sur une éprouvette proche de celui engendré par
la torche de soudage en un point de la ZAT jusqu’à une certaine température, via l’effet Joule
et à l’aide d’un thermocouple de contrôle, puis tirer l’éprouvette jusqu’à la rupture. L’essai est
réalisé dans une chambre sous vide secondaire ou sous gaz inerte pour éviter l’oxydation. La
traction peut s’effectuer soit en cours de chauffage (essai au chauffage), soit en cours de
refroidissement depuis une température maximale (essai au refroidissement). La température
de l’essai visée varie entre 1100°C à 1350°C pour l’acier inoxydable austénitique. A chaque
température, l’éprouvette est tirée rapidement jusqu’à la rupture. La ductilité est estimée en
comparant l’aire de la section finale et celle de la section initiale via cette formule :
é % (1.2)
Avec : l’aire de la section initiale de l’éprouvette
L’aire de la section de l’éprouvette à la rupture à la température T
Principe de l’analyse
Les tests sur simulateur Gleeble au chauffage et au refroidissement peuvent être utilisés pour
évaluer la susceptibilité à la fissuration par liquation de la ZAT [9]. L'essai au chauffage
consiste à porter l'éprouvette jusqu'à une température prédéterminée, à la maintenir à cette
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température pendant un certain temps et à rompre l'éprouvette en appliquant une charge de
traction avec une vitesse de déplacement des mors constante. Lorsque la température d'essai
est élevée, la ductilité peut augmenter légèrement puis chuter soudainement jusqu'à atteindre
une valeur quasi nulle à la température de ductilité nulle (NDT pour Nil Ductility Temperature
en anglais). Si des eutectiques à bas point de fusion sont présents sous forme de précipités
aux joints de grains ou si la ségrégation des impuretés aux joints de grains réduit la
température de fusion des joints par rapport à celle de la matrice, l'augmentation de la
température entraîne la fusion des joints de grains et la chute soudaine de la ductilité se
produit à une température plus basse. Dans ce cas, la température de chute de la ductilité est
représentative de la dégradation métallurgique associée à la fusion des joints de grains et la
NDT correspond à la température à laquelle un film liquide mince et continu recouvre la
surface des joints de grains. A mesure que la température d'essai augmente, le matériau atteint
la température de résistance nulle (NST pour Nil Strength Temperature en anglais). A ce stade,
la quantité de liquide est trop importante pour que les joints de grains s’accommodent à toute
contrainte.
Les essais de ductilité au refroidissement sont généralement réalisés avec une température
pic située entre NDT et NST. La température de restauration de ductilité (DRT pour Ductility
Recovery Temperature en anglais) est déterminée lorsque l'alliage recouvre une ductilité
mesurable après solidification suffisante du liquide formé pendant le passage aux plus hautes
températures (voir figure I.19). Différents critères existent pour rendre compte de la chute de
ductilité à chaud et ainsi évaluer la sensibilité à la fissuration par liquation de la ZAT. La plage
de température NST-DRT appelé également BTR (pour Brittle Temperature Range en anglais)
est le critère le plus largement utilisé. Toutefois, Lin et al. [63] ayant remarqué que ce critère
peut ne pas être représentatif de la fissuration de la ZAT à proximité de la ligne de fusion,
suggère une autre description pour quantifier une région sensible à cette forme de fissuration
(CSR pour Crack Susceptible Region). A la sensibilité d’ordre métallurgique (film liquide au
joint de grains) traduite par des essais de ductilité, les auteurs proposent de considérer l’état
en traction de la matière en ZAT qui est mieux décrit par des essais de soudabilité. Lors du
chauffage, la CSR peut être déterminée par la plage de température comprise entre la
température NDT et la température du liquidus et au refroidissement par la plage de
température située entre la température pic et la température DRT comme l’illustre la figure
I.20.
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Figure I.19 : Définition des différentes températures critiques par rapport à la température de Liquidus TL [63]
Figure I.20 : Définition des zones sensibles à la fissuration par liquation dans un cas réel de soudage comparativement à des essais de ductilité à chaud [63]
En général, si un acier inoxydable austénitique ne contient pas d’éléments sensibles, le début
de fusion a lieu lorsque la température du matériau atteint celle de solidus. En présence des
éléments sensibles, des phases à bas point de fusion apparaissent aux joints de grains ou dans
la matrice et peuvent diminuer plus ou moins la température de fusion locale du matériau et
le fragiliser. D’après Zacharie [5], si la phase liquide apparait dans un acier inoxydable
austénitique à une température supérieure ou égale à 1300°C, il n’y a pas de risque de FAC par
liquation. En revanche, si elle est inférieure ou égale à 1280°C, le risque de FAC par liquation
est non nul. Plus cette température est basse, plus le risque de FAC par liquation est élevé.
L’essai Gleeble permet de détecter de façon simple, ce type de fusion via une de ses propriétés
macroscopiques : la chute de ductilité. En effet, des essais Gleeble (au chauffage ou au
refroidissement) sont réalisés à différentes températures. Grâce à la formule (1.2), la ductilité
peut être déterminée à chaque température. L’évolution de la ductilité en fonction de la
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température permet de déterminer la température de chute de ductilité et donc la sensibilité
à la FAC par liquation du matériau. Cet essai est particulièrement utile dans l’étude de
l’influence d’un élément sensible sur le phénomène de FAC par liquation. Par exemple,
Zacharie dans son étude de l’influence du bore sur la FAC par liquation [5], a utilisé cet essai
pour évaluer la sensibilité pour différentes teneurs en bore. Des observations des faciès de
rupture au MEB pourraient dans certains cas, confirmer la présence de la phase liquide.
Notons que l’essai Gleeble simplifie l’ordre chronologique entre le moment d’apparition de la
phase liquide et le moment d’application du chargement mécanique (ces derniers sont
également simplifiés par une traction rapide et à vitesse constante). En effet, lors de l’essai
Gleeble, la traction mécanique ne s’applique que si la température atteint la température de
l’essai. Alors que dans une vraie soudure, la température et les contraintes d’origine thermique
varient simultanément de façon complexe. En général, sauf le cas où le chargement externe
est important, les contraintes ne deviennent en traction qu’au refroidissement. Il est donc
raisonnable lors de l’essai Gleeble, d’ajouter un certain temps de maintien à la température
d’essai avant la traction pour être plus proche des conditions de soudage.
Figure I.21 : Eprouvette Gleeble avant (gauche) et après (droit) l’essai
Selon Zacharie [5], même si la teneur en bore est inférieure à sa solubilité dans l’acier, le risque
de FAC n’est pas nul car les contraintes d’origine thermique pourraient agir avant que
l’équilibre thermodynamique soit établi. En effet, les borures initialement présents dans
l’acier, qui devraient se dissoudre totalement lors d’une montée lente en température, peuvent
ne pas se dissoudre assez rapidement lors du soudage. La réaction eutectique peut donc avoir
lieu localement et créer des films liquides prématurés aux joints de grains, entrainant une
chute de ductilité du matériau. Zacharie a mis en évidence ce phénomène de fusion
prématurée, grâce à des essais Gleeble de traction isotherme après chauffe rapide. De plus, la
température du début de fusion prématurée est de l’ordre de 1180°C, ce qui correspond à la
température de fusion de l’eutectique austénite/borure de fer. En revanche, en imposant un
court temps de maintien (par exemple 3s) entre la fin de montée en température et le début
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de la traction, l’auteur a constaté que pour les aciers contenant une teneur en bore élevée, la
chute de ductilité a lieu à une température nettement plus élevée. Zacharie considère que dans
ces conditions, les borures ont assez de temps pour se dissoudre avant la traction mécanique,
la réaction eutectique n’a donc pas lieu.
I.3.2.2. Résultats expérimentaux des essais Gleeble dans la littérature
Des essais Gleeble de ductilité à chaud ont été effectués sur divers types de matériaux : les
aciers, les alliages base nickel, les alliages cuivreux, les alliages d’aluminium … Dans notre
étude bibliographique, on ne présentera que les résultats des essais Gleeble sur les aciers
inoxydables austénitiques en lien avec la teneur en bore.
Zacharie [5] a effectué les essais Gleeble sur 10 aciers de la nuance 18-10 Ti (321) dont la
composition est donnée dans le tableau I.3 et 7 aciers de la nuance 17-13 Mo (316L) dont la
composition est donnée dans le tableau I.4. Ces matériaux contiennent différentes teneurs en
bore.
Tableau I.3 : Composition chimique des 10 aciers 18-10 Ti (321) [5]
Les résultats de ces essais sont montrés dans la figure I.22. On constate que les courbes ont
la même allure : la ductilité reste élevée jusqu’à une certaine température puis chute
brutalement à 0. En revanche, la température pour laquelle la chute de ductilité a lieu n’est
pas identique pour toutes les nuances. En effet, on peut bien classer ces courbes en deux
groupes : les courbes dont la chute de ductilité apparaissent à basse température (1, 2, 3 et 8)
et les courbes dont la chute de ductilité a lieu à haute température (4, 5, 6, 7, 9, 10). Or, en
regardant la teneur en bore des nuances de ces deux groupes, on peut constater que le premier
groupe correspond aux nuances contenant beaucoup de bore et le second correspond aux
nuances contenant peu de bore. Précisément, pour les nuances de type 18-10 Ti, la courbe de
ductilité voit sa chute à basse température si la teneur en bore est supérieure à 45 ppm et à
haute température si la teneur en bore est inférieure à 36ppm. Le seuil du bore correspondant
à cette transition se trouve entre 36ppm et 45ppm. On remarque également que les aciers 5
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et 10 ont des températures de chute de ductilité plus basses que l’acier 9 même si ces deux
premiers contiennent moins de bore que le dernier. Il se peut que les aciers 5 et 10 n’aient pas
été hypertrempés pour homogénéiser des borures.
Figure I.22 : Courbes de chute de ductilité des aciers 18-10 Ti (321) [5]
Afin de déterminer le rôle du temps de maintien sur l’homogénéisation du bore, Zacharie a
réalisé des essais Gleeble au chauffage avec maintien de 3s sur certains de ses matériaux. Le
résultat est présenté dans la figure I.23. Il observe qu’un temps de maintien même de 3s
permet d’augmenter considérablement la température de chute de ductilité pour les hautes
teneurs en bore (acier 2, 3 et 8). Cet effet semble se stabiliser avec le temps de maintien. En
effet, il constate qu’un temps de maintien de 300s n’augmente pas beaucoup la température
de chute de ductilité de l’acier 2 par rapport à un temps de maintien de 3s. Il constate
également qu’un temps de maintien de 3s n’a pas d’effet sur la courbe de ductilité des aciers
4et 5. En revanche, il peut augmenter légèrement la température de chute de ductilité de l’acier
10, ce dont l’origine est attribuée à l’homogénéisation du titane.
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Selon l’auteur, les borures initialement présents dans le matériau (formés aux joints de grains
à cause de la ségrégation du bore lors de la fabrication du matériau) génèrent des zones à
leurs alentours dont la teneur en bore est supérieure à la valeur moyenne. Ils ne peuvent donc
pas être totalement mis en solution de façon instantanée même si la teneur en bore moyenne
reste inférieure à la solubilité du bore dans l’acier. Le temps de maintien permet de mettre en
solution le bore, d’éviter la formation d’eutectiques et donc d’augmenter la température de
chute de ductilité.
Pour les nuances 17-13 Mo (316L), l’auteur a observé le même phénomène. En effet, il peut
aussi classer les courbes de ductilité en deux groupes mais la valeur du seuil de transition
vaut maintenant 36-37 ppm (figure I.24)
Tableau I.4 : Composition chimique des aciers 17-13 Mo (316L)
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Ainsi, les essais Gleeble de Zacharie montrent que le bore, même à quelques dizaines de ppm,
peut provoquer un risque de FAC par liquation et que pour chaque type de matériau, il y a un
seuil à ne pas dépasser pour éviter ce risque.
Keown [11] a aussi effectué des essais Gleeble sur les aciers 316. Il constate que la chute de
ductilité a lieu à basse température seulement si la teneur en bore dépasse 90 ppm. Sur la
figure I.25, on peut voir que les courbes de ductilité des nuances contenant 9ppm, 40 ppm et
90 ppm de bore voient leur chute de ductilité à haute température (plus de 1280°C) alors que
la courbe de ductilité de la nuance contenant 170 ppm voit sa chute de ductilité à basse
température (vers 1150°C). Le seuil de bore est dans ce cas supérieur à 90 ppm. Cependant,
l’auteur ne précise pas dans son article les teneurs en autres éléments et la procédure de
fabrication de ces matériaux. C’est donc difficile de comparer ses résultats avec ceux de
Zacharie.
Figure I.25 : Courbes de ductilité pour les aciers 316 contenant différentes teneurs en bore [52]