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Au sein des ouvrages du corpus, la frontière devient souvent fêlure, la ligne dévoile une fissure, la couture se défait pour laisser entrevoir la doublure imaginaire d’espaces réels où s’engouffrent ces récits de folie, explorations de l’interstice et créations d’hétérotopies. Selon Deleuze et Guattari, la fêlure correspond à un assouplissement de la ligne, sorte de stade intermédiaire entre ligne molaire et ligne de fuite dans la typologie que proposent les deux théoriciens : « [l]igne de coupure, ligne de fêlure, ligne de rupture. La ligne de segmentarité dure, ou de coupure molaire ; la ligne de segmentation souple, ou de fêlure moléculaire ; la ligne de fuite ou de rupture, abstraite, mortelle et vivante, non segmentaire » (1980 : 244-245). La frontière-faille, « ligne de segmentation souple », potentiellement ouverture et passage, peut donner à ces « espaces autres » que déploient les auteurs pour représenter l’expérience folle une nouvelle profondeur.

1. Explorations de la faille

La folie a une profonde affinité avec la faille dans l’imaginaire collectif, qui attribue au fou un esprit « fêlé » – on peut notamment songer à l’étymologie du terme de « schizophrénie », qui signifie « esprit fendu » 7. La métaphore est reprise par R.D. Laing dans son ouvrage séminal au titre particulièrement évocateur, The Divided Self (1955) : « the cracked mind of the schizophrenic may let in light which does not enter the intact minds of many sane people whose minds are closed » (1990 : 27). On remarque au passage que le discours antipsychiatrique valorise la singularité de l’esprit fou par le lexique comme par la syntaxe, le ou la schizophrène étant nettement distingué(e) des sains d’esprit, devenus foule sous l’effet du recours au pluriel. L’affirmation de Laing semble trouver confirmation dans 4.48 Psychosis, à travers le leitmotiv du rai de lumière surgissant à l’ouverture d’une trappe (« Hatch opens/Stark light », Kane 4.48 : 23, 28, 37), autre écho à l’aphorisme attribué dans sa version française à Michel Audiard, et dans la version anglaise à Groucho Marx : « [h]eureux soient les fêlés car ils laisseront passer

7 La folie se manifeste ainsi souvent par la division, par une fissuration de l’identité unifiée, soit (en termes médicaux) par des troubles dissociatifs. Si dans Monkey’s Uncle, ce n’est pas officiellement de schizophrénie que souffre Charlotte, la crise initiale donne cependant lieu à un dédoublement immédiat de sa personnalité, bel et bien « fendue », et selon Nicole Terrien, le roman reflète l’évolution d’un esprit schizoïde (in Guignery 2009 : 89). Chaque série de chapitres donne ainsi voix/e à l’une des « personnalités multiples » (formulation empruntée à certains diagnostics cliniques) de la narratrice.

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la lumière » (« Blessed are the cracked for they let in the light »8). La folie comme fissuration pourrait ainsi mener à l’éclatement comme à l’éclairement. Sans toujours adopter une rhétorique épiphanique, ou idéaliser cette béance dite caractéristique de l’esprit des fous9, qui en fait selon le plaidoyer souvent passionné de Laing un esprit fondamentalement ouvert, les auteurs du corpus dépeignent bel et bien l’expérience de la folie comme celle d’une ouverture, point d’origine de diverses dynamiques de déterritorialisation, soit de déplacement ou de dérive vers d’autres espaces.

1.A. Ouvertures

La plupart des personnages du corpus paraissent vivre la folie comme une rupture, une chute ou un basculement consécutifs à l’ouverture (souvent soudaine10) d’une faille, à l’instar de Charlotte Fitzroy dans Monkey’s Uncle :

[Q]uite unexpectedly, and without the slightest warning, she seemed to lose her footing amid the treacherous minutiae of her thoughts, and foundherself falling headlong through a gaping hole that had suddenly appeared between the one side of one thing, and the other side of the other. (Diski 1994 : 16, nous soulignons)

La virgule qui, en fin de phrase, vient introduire une distance entre deux dimensions parallèles jusque dans la syntaxe (« the one side of one thing », « the other side of the other ») mais brusquement disjointes, matérialise la fissure aussitôt devenue béance (« gaping hole ») où s’abîme Charlotte – dont la chute fait ici directement écho à celle d’Alice dans l’hypertexte carrollien. L’imminence du basculement signalé en début de passage (« lose her footing ») rappelle ici que, pour le dire avec Allen Thiher, « we still define madness as a loss of equilibrium » (1999 : 20). Cette formulation trouve notamment un écho chez Self dans « The North London Book of the Dead » puis dans « Ward 9 » (« [w]as I losing my balance ? » ; « [r]eal loss of equilibrium », QTI 10, 40), ainsi que dans The Wonderful World of Dissocia, au fil de l’interrogatoire auquel Victor Hesse soumet Lisa à l’ouverture de la pièce : « [a]nswer me honestly, Miss Jones : would you say that your life has recently been… out of balance? » (Neilson WWD 203). C’est également chez Neilson une béance, de nature à la fois temporelle

8 Ces formules font explicitement écho au chapitre 5 de l’Évangile selon Matthieu (v.3 : « [h]eureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux »/ « Blessed be the poor in spirit, for theirs is the kindgom of heaven »).

9 « Madness occurs when there is a béance […] in the chain of signifiers that constitute the subject » (Thiher 1999 : 291-292).

10 Comme Monkey’s Uncle, et à travers les mêmes références à l’intertexte carrollien, Enduring Love souligne que d’une vie rationnelle et ordonnée au chaos de la folie, il n’y a qu’un pas : « [t]he other Carroll reference in the novel, when Joe compares Johnny B.Well to the dormouse at the Mad Hatter’s tea party, underlines the novel’s dominant sense of how easy it is to step out of one apparently sane, rational world into one characterized by chaos and ultimately madness » (Clark & Gordon 2004 : 76).

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et spatiale (la perte d’une heure au fil de deux voyages transatlantiques successifs), qui est à l’origine du déséquilibre dont la protagoniste se trouve affectée.

Intimement lié à l’idée d’une perte d’équilibre, le motif de la chute semble indissociable de celui de la faille chez Diski comme chez McEwan, où Joe se fait la réflexion suivante suite à ses premiers contacts avec Jed : « [i]t was if I had fallen through a crack in my own existence, down into another life » (EL 67, nous soulignons). La folie, simultanément béance et basculement, semble bel et bien se caractériser par une double dynamique (ou par deux dynamiques corrélées) de fissuration et de déterritorialisation, étayant la description que propose le philosophe Henri Maldiney d’« une brèche incolmatable ou un abîme sans fin… cette double image de cassure et de la chute étant contenue dans le terme aujourd’hui affadi par l’usage, de breakdown » (2007 : 300). Or ce terme se voit rendre tout son pouvoir d’impact par l’usage singulier qu’en fait Kane dans sa dernière pièce : « Breakdown » (4.48 8)11, placé ostensiblement seul en fin de section, est suffisamment espacé des lignes qui précèdent pour constituer l’unique ensemble de caractères sur un fond blanc qui, par le jeu du contraste, fait tout particulièrement ressortir le mot, et le sauve de tout affadissement – la majuscule initiale, rare dans le texte de la pièce, venant encore rehausser son importance. « Double image de cassure et de la chute », en effet : l’ouverture d’une brèche se manifeste par le double espace séparant du reste du texte ce dernier mot d’une série de lignes cascadant vers le coin inférieur droit de la page, véritable point de chute.

11 Selon Baraniecka, le terme revêt une telle importance dans la pièce qu’il est à la fois contenu et dynamique textuelle (2013 : 230), soit aussi bien un objet qu’un outil d’analyse. À la fragmentation du sujet (ce « moi divisé » de la folie selon Laing) répond en effet la fragmentation du texte, relevée et commentée par divers critiques et commentateurs, dont Martine Delvaux : « [b]ien sûr, la fragmentation du texte peut être comprise comme étant à l’image de l’expérience psychotique – cette impression de désintégration dont le sujet fait l’expérience dans la maladie » (2012, en ligne). Chez Diski, la fragmentation du sujet donne également lieu à une fragmentation particulièrement nette du texte : à chacune des trois instances du « moi divisé » de Charlotte correspond ainsi une série de chapitres distincte, la dé- et la restructuration de l’identité étant ainsi reflétées par celles du récit.

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Figure 7 – 4.48 Psychosis (Section 11)

« I find the gaps equally important as the details in Kane’s text », écrit Alicia Tycer (2008 : 26). En jouant notamment avec les espaces, et l’espacement du texte, la dramaturge ne cesse en effet de matérialiser la faille, qui prend dans son œuvre et dans celle de plusieurs auteurs du corpus une importance première. St.Pierre propose ainsi du recueil de nouvelles inaugural de Frame l’analyse suivante : « [o]pening the interpellative gap between the signifiers schizophrenic and

not schizophrenic, sad and not sad, and inside and outside, The Lagoon is a remarkable work in which Frame creates a space of ‘meaning’ and ‘not meaning’ » (2011 : 29). Tout le potentiel de la folie en tant que faille est bien dans l’ouverture, la création d’un nouvel espace dans l’interstice où se joue la (re)définition du sens. De son côté, se référant à « The North London Book of the Dead » où « au détour d’un croisement une brèche indétectable aux vivants s’ouvre sur le monde où vivent les morts », Bertrand Leclair avance que « l’art du romancier qu’est Will Self joue de la faille, de la fêlure. On pourrait dire qu’il installe le cadre de manière d’autant plus résolue qu’il s’apprête du même geste à le lézarder pour le contraindre à prendre en compte une autre dimension, une dimension autre » (in Coe & Self 2003 : 18)12. La folie ne se contente pas, en effet, de déformer le cadre, selon les propos employés en première partie. Agent de fissuration, elle force l’ouverture à « une autre dimension, une dimension autre », ce qui expliquerait le recours fréquent des auteurs du corpus au motif de la porte – « tout un cosmos

12 À l’inverse, selon Maylis Rospide (qui prend quant à elle l’exemple de « The Quantity Theory of Insanity »), le texte a pour ambition de « faire pénétrer sans coupure la théorie dans le cadre des sciences dures » (2009 : 396, nous soulignons). De façon générale, la fiction selfienne aurait pour trait distinctif de « se plier aux rouages qui régissent la norme et la renormalisation » (Id) ; sans nier la pertinence d’une telle analyse pour certains ouvrages de Self, nous nous permettons de nuancer cette approche, et de lui préférer celle de Leclair dans notre étude des nouvelles du recueil inaugural.

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de l’entr’ouvert » pour le dire avec Bachelard dans sa Poétique de l’espace (1967 : 200). Ainsi la porte de l’ascenseur s’ouvrant pour Lisa préalablement à sa descente vers Dissocia, ou la trappe présente chez Neilson comme chez Kane ; dans « Mono-Cellular », le point focal de l’obsession du narrateur ou de la narratrice (une verrue au creux de son bras) devient point de passage : « [a]nd the wart starts up as a dot, that flares into a portal. A ghastly door » (Self QTI

209). Plus encore que la porte, le portail invite à la traversée, et rend possible un mouvement de déterritorialisation aux consonances hétérotopiques13. Chez Diski, la folie ouvre des portes dissimulées jusque-là :

If it was an experience of madness Charlotte was remembering, and she was sure it was, she was surprised at its secret nature. It was as if a concealed door had suddenly opened on to a new and undreamed-of wing of a familiar house, and then, as suddenly, had closed and disappeared, leaving the occupant with a memory of an arrangement of rooms which could not, in all architectural reason, exist. (MU 17)

Défi explicite à l’architecture de la raison (voire à la raison comme architecture), la folie propose un aménagement alternatif de l’espace, provoque son extension, opérant contre toute logique ou selon une logique de défamiliarisation. On peut songer ici au véritable monument qu’est House of Leaves (2000) de l’écrivain américain Mark Z. Danielewski, où de nouvelles portes ne cessent d’apparaître dans la maison éponyme, dont les dimensions intérieures sont en expansion constante malgré une superficie extérieure inchangée, et qui finit par rendre ses occupants fous. L’espace investi par la folie, chez Danielewski comme chez Diski, change inexplicablement de capacité et de configuration. L’ouverture, aussi brève et soudaine soit-elle, introduit de nouvelles perspectives, une dimension autre, un « cosmos de l’entr’ouvert » que les fous et folles du corpus explorent. La frontière-faille ou frontière-porte, ouverture et non fermeture, laisse bien souvent entrevoir un espace jusque-là inconnu, inaccessible ou inimaginable, comme c’est le cas pour Charlotte dans Monkey’s Uncle ou pour Istina Mavet dans Faces in the Water :

I was put in hospital because a great gap opened in the ice floe between myself and the other people whom I watched, with their world, drifting away through a violet-coloured sea where hammerhead sharks in tropical ease swam side by side with the seals and the polar bears. I was alone on the ice. (Frame FW 4, nous soulignons)

La narratrice établit un rapport de causalité explicite et directe entre l’apparition de ce fossé (dont les dimensions sont mises en relief par l’allitération, « a great gap »), et son entrée en

13 Le terme « portal » pourrait même constituer un écho à plusieurs ouvrages de science-fiction et de fantasy ayant recours à ce motif ; au niveau intratextuel, le « portail » ouvre sur d’autres mondes, et au niveau intertextuel, sur d’autres genres. Pour plus de détails sur les rapports de la fiction selfienne à la science-fiction et à la fantasy, voir la thèse de Maylis Rospide, « Stratégies de ‘renormalisation’ dans l’œuvre de Will Self » (2009), dont la première partie est consacrée à la généricité.

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hôpital psychiatrique, faisant de la faille la source même de sa folie. Dès l’ouverture de cette brèche se crée une séparation manifeste entre l’espace social partagé, mis à distance par le choix du pronom (« their ») et son placement en incise, et la rive de glace où Istina reste absolument seule. Signalons au passage que de nombreux récits de folie, au sein comme au-delà de notre corpus, prennent pour décor (souvent intérieur) un paysage polaire, destination à la fois réelle et fantasmée d’une quête narrée par Diski dans son mémoire intitulé Skating to Antarctica

(1997)14. Si pour Kane, la dépression ne se décline pas comme pour Diski en teintes de blanc, mais de noir15, la dramaturge n'en a pas moins recours au motif récurrent de la neige : « [a]ll I know/is snow/and black despair » ; « [b]lack snow falls » (4.48 39, 42). Le déplacement de l’adjectif « black » semble indiquer une forme de contamination de l’environnement (« snow ») par les sentiments (« despair »), soit le glissement vers un espace mental dont l’oxymore (« black snow ») révèle la tendance inversive. La rime (« know »/« snow ») vient par ailleurs renforcer l’impression d’immersion complète de celui ou de celle qui parle dans une atmosphère hivernale qui, si elle ne baigne que ponctuellement la pièce de Kane, envahit progressivement le roman de Frame16. Déjà présents dans l’incipit de Faces in the Water, les ours polaires font quant à eux une nouvelle apparition chez Neilson, lorsqu’une trappe s’ouvre dans l’univers fou de Dissocia pour faire place à l’un d’eux, venu tout droit de la banquise réconforter Lisa dans un moment de détresse. Quelques années plus tard, en 2010, le dramaturge Mark Haddon intitule une pièce consacrée aux troubles mentaux (et en particulier à la dépression) Polar Bears, accordant ainsi à cette surprenante figure une place de choix. La pièce de Harold Pinter prenant pour sujet l’encéphalite léthargique (ou encephalitis lethargica, dont traite plus récemment Umbrella, de Self) a quant à elle pour titre A Kind of Alaska (1982), comparant là

14 Diski exprime dans les pages de ce mémoire, ainsi que dans divers entretiens, une prédilection pour la blancheur, la pureté, le silence et le vide, qu’elle compte trouver en Antarctique dans leurs formes les plus parfaites. Comme l’explique Joanna Price, « [t]he metaphoric associations of Diski’s Antartica represent both the symptoms of depression – the depressive’s desire for withdrawal from others and the world – and the conditions she needs to recover ». Elle ajoute : « Diski explains that her desire to visit ‘the last pure place on earth’ is an extension of a search for whiteness and emptiness which she first identified in the sense of ‘safety’ created by the sheets in the psychiatric hospital where, diagnosed with depression, she escaped from her traumatic life with her parents » (in Lustig & Peacock 2013: 150-151).

15 « I will drown in dysphoria /in the cold black pond of my self /the pit of my immaterial mind » (Kane 4.48 11).

16 Rappelons ici que selon Foucault, qui insiste sur la nécessité de ne pas dissocier la spatialité de la temporalité, « [l]’hétérotopie se met à fonctionner à plein lorsque les hommes se trouvent dans une sorte de rupture absolue avec leur temps traditionnel » (2004 : 17), ce qui est parfaitement le cas dans Faces in the Water : « [t]he cherry blossom is building on its burnished leaves, the velvet-tonsilled snapdragons are in flower, the wind is brushing sunlight into the row of green supple poplars growing outside […]. Then why is it dead of winter? » ; « in spite of the snapdragons and the dusty millers and the cherry blossoms, it was always winter » ; « [a]nd it is still winter. Why is it winter when the cherry blossom is in flower? » (Frame FW 7, 11, 13). Malgré le passage des saisons à l’extérieur (notamment signalé par la floraison des symboliques gueules-de-loup ou « snapdragons », transplantées des nouvelles au roman de Frame), la saison de la folie est un perpétuel hiver, forçant l’« hibernation » (Frame FW 34).

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encore l’expérience de certains malades mentaux à la traversée d’un désert de glace. L’analogie se trouve réaffirmée dans Enduring Love, où Jean Logan, dite folle de douleur (« the dementia of pain », McEwan EL 123) suite à la mort et à l’infidélité supposée de son mari – Crazy Jean succédant à Crazy Jane – est comparée à une exploratrice des régions arctiques : « [s]he looked a long way off, out on her own in unspeakable weather, like a lone Arctic explorer » (Ibid 108).

Comme Jean Logan, Istina est représentée seule sur la banquise dans le passage de Faces in the Water cité plus haut. Cependant, l’espace qui la sépare désormais des autres (puisqu’il s’agit d’une mer17) n’est pas infranchissable et peut au contraire, nous le verrons, inviter à la traversée. Qui plus est, cette étrange mer aux eaux violettes (« a violet-coloured sea ») où coexistent les requins-marteaux (habitués au climat tropical), les phoques et les ours polaires, a tout d’un espace hétérotopique puisque selon Foucault, « l’hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles » (2004 : 17)18, soit de brouiller la frontière, qui devient explicitement mobile dans le lieu non pas réel, mais fictionnel dépeint par Frame : « [i]cebergs in a hencoop you ask ? Yes, and glaciers and hailstones and snow and a glistening border of snails and the sun cracking the wheat » (FW 203, nous soulignons).Ce passage consacre le principe de juxtaposition présidant à toute logique hétérotopique – logique ici matérialisée par la polysyndète, qui permet une coordination des contraires. Chez Self, ce sont le monde des vivants et celui des morts qui coexistent dans l’espace londonien que la nouvelle « The North London Book of the Dead » rend hétérotopique :

The dead community are self-administering and there are dead people in most of the major enterprises, organisations and institutions. There are some autonomous services for dead people, but on the whole dead services operate alongside ‘live’ ones. Most dead people have jobs, some work for live companies. Mother, for example, was working for a live publishing company. (Self QTI 14-15)

Dans ce texte de Self comme dans l’ensemble des œuvres du corpus, il semble en effet que « les frontières ménagent […] systématiquement des points de passage qui constituent l’unique

17 Selon Deleuze et Guattari, « [l]a mer est peut-être le principal des espaces lisses » (1980 : 480) ; les auteurs opposent ce type d’espace à « l’espace sédentaire [qui] est strié, par des murs, des clôtures et des chemins entre les clôtures, tandis que l’espace nomade est lisse, seulement marqué par des ‘traits’ qui s’effacent et se déplacent avec le trajet » (1980 : 472).

18 Chez Neilson, il s’agit non seulement de juxtaposer, mais parfois de superposer des espaces habituellement distincts à travers un travail subtil du son, comme il l’explique dans ses notes préliminaires : « [t]he sound designer has two tasks in Act One : firstly, to help create the ‘scenery’ of Dissocia itself ; secondly, to hint at what is actually

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