• Aucun résultat trouvé

V ERS UNE SORTIE DE CRISE ?

Dans le document L'école et le défi ethnique (Page 67-83)

Décolonisation et intégration européenne ont modifié radicalement la donne des politiques nationales de l‘identité collective. Ensemble, elles ont attaqué l‘alliage subtil d‘ethnos et de dèmos qui faisait le ciment de l‘Etat-nation sous la Troisième République. La première a généré des flux migratoires inédits109, lesquels se sont transformés, l‘Europe se fermant à l‘immigration de main d‘oeuvre, en une immigration familiale qui a fixé dans les pays européens des minorités ethniques (au sens de ethnicisées) nombreuses et fortement stigmatisées. Quant à l‘intégration européenne, elle correspond à une réorientation de la politique de puissance des pays européens, dont les effets sur l‘ethnonationalisme des Etats-membres sont complexes. L‘intégration européenne a abaissé de plus en plus les frontières intra-européennes, naguère ethnicisées110, tout en ethnicisant ses frontières externes, particulièrement en direction du monde arabo-musulman ; par ailleurs, elle tend désormais à encadrer les politiques sociales des Etats membres par un corps de normes favorables à la protection des identités minoritaires, en référence aux exigences supérieures de la démocratie.

Dans ce chapitre, nous esquissons d‘abord, sous forme de rappel de l‘actualité récente, une périodisation de la crise de l‘intégration des immigrés en France depuis les années 1960, saisie comme mise en tension de l‘universalisme juridique et de l‘ethnonationalisme.

Dans un deuxième temps, on examinera l‘hypothèse d‘un changement du « régime de tolérance ». La réorientation de la politique d‘intégration en termes de lutte contre les discriminations (1998) augure-t-elle d‘une issue de la crise de l‘intégration ? On conclura plutôt à une recomposition de la crise. C‘est l‘identité nationale (le contenu symbolique de la nation) qui est désormais en question. Or, si l‘on voit émerger de nouvelles références normatives et de nouvelles pratiques de l‘inclusion des outsiders - encore limitées -, on ne peut guère parler de projet politique assumé en ce sens.

L’INCORPORATION DES IMMIGRES EN FRANCE ET LA CRISE DE LINTEGRATION : ESSAI DE PERIODISATION (1960-2000)

109 Les sorties d‘indigènes des colonies étaient antérieurement soit interdites, soit très contrôlées. En ce qui concerne la France, par exemple, les musulmans algériens n‘ont acquis la liberté de circulation qu‘en 1947 (elle fut à nouveau supprimée pendant la guerre).

110 L‘espace de cette neutralisation des anciennes frontières ethniques s‘est, on le sait, progressivement étendu : l‘Europe des 6 devenant l‘Europe de 9, des 12, des 15, sans sortir cependant des limites

« géographiques » de l‘Europe (sauf que le Traité de Rome, 1957, incluait l‘Algérie).

Sur la quarantaine d‘années qui séparent le temps de l‘entrée et de l‘installation en France des travailleurs immigrés postcoloniaux, provenant du Maghreb principalement (les années 1950 et surtout 1960), et la fin du siècle, on peut distinguer trois périodes, de longueur fort inégale mais bien contrastées en fonction des modalités de la saillance ethnique.

LA PREMIERE PERIODE

Le premier moment, de la fin des années 1950 au milieu des années 1970, est celui de l‘afflux désordonné et non voulu de candidats au travail, favorisé par la liberté de circulation établie au lendemain des indépendances et par une éthique publique de la coopération avec les ex-colonies. C‘est aussi le temps de l‘arrivée des rapatriés111. Se développe alors en France une forme coloniale puis néo-coloniale de saillance ethnique. « L‘arabe », « l‘immigré » vient occuper dans la société le statut d‘inférieur congénital cantonné aux marges. La dignité d‘Algérien, conquise contre la France, s‘efface devant ces catégories dévalorisantes. L‘Algérien forme alors la catégorie la plus basse du classement social, comme le suggère éloquemment le mot du sociologue Abdelmalek Sayad : « L‘Algérien est le plus immigré des immigrés ». La position socio-économique des immigrés conforte cette infériorité. Analphabètes, sans formation, souvent d‘origine rurale, « visibles » mais réduits à des silhouettes d‘hommes vivant dans les interstices de la ville (le roman Les Boucs, de l‘écrivain marocain Driss Chraïbi, 1955, figure cette situation de façon saisissante), ils constituent en métropole un segment inférieur du prolétariat ou un sous-prolétariat marginalisé. Violence policière (pendant la guerre d‘Algérie) et violence civile s‘exercent à leur encontre112.

La politique sociale qui les prend en charge, au nom d‘une « tradition d‘assistance coloniale », combine contrôle policier et aide sociale d‘urgence (Viet, 1998). Dans les années 1960, l‘administration doit gérer ce paradoxe d‘avoir à assumer les effets du lien colonial sur le territoire métropolitain beaucoup plus que ce n‘avait été le cas auparavant, et ce au moment même où ce lien se défait ou vient de se défaire politiquement et militairement. Elle se réfère principalement au thème de l‘accueil, l‘intégration n‘a guère alors qu‘un sens concret limité (il s‘agit de place faite ou à faire dans le logement et l‘économie). S‘interrogeant sur la politisation de la question, Sayad l‘explique par le défi qu‘elle oppose aux catégories stato-nationales : par son concept d‘« émigration-immigration », il saisit l‘immigré comme n‘étant vraiment membre d‘aucune des deux sociétés auxquelles il a affaire, comme étant « présent-absent », en

111 Un million de pieds-noirs « rapatriés » rejoignent plusieurs centaines de milliers de musulmans

« immigrés » (un million avec les familles dans les années 1970), quelques dizaines de milliers de

« harkis », plus un million et demi de soldats ayant servi en Algérie. Cf STORA Benjamin (1999), Le Transfert d‟une mémoire. De l‟« Algérie française » au racisme anti-arabe. Paris, La Découverte.

112 Il y eut plus de 70 meurtres d‘Algériens entre décembre 1971 et décembre 1977, la plupart impunis (chiffres rappelés par Benjamin Stora, 1999). « Les travailleurs originaires des anciennes colonies et leurs familles apparaissent comme le produit de la colonisation et de la décolonisation, et réussissent ainsi à concentrer sur eux-mêmes à la fois la continuation du mépris impérial et le ressentiment éprouvé par les citoyens d‘une puissance déchue, quand ce n‘est pas la hantise fantasmatique d‘une revanche », commente Etienne BALIBAR (Racisme et nationalisme, dans Balibar & Wallerstein, 1988, p. 60).

subversion par rapport aux modes ordinaires de gestion de l‘appartenance nationale par les Etats.113

LA DEUXIEME PERIODE

Elle est marquée par l‘installation et la perpétuation de la crise politique de l‘intégration. On peut adopter l‘année 1974 comme repère pour le déclenchement de cette phase : la France, comme les autres pays d‘Europe, interdit toute nouvelle immigration de main d‘œuvre, tout en laissant ouverte – par obligation juridique – la possibilité du regroupement familial. Il en résulte un nouvel effet non voulu : l‘afflux et la stabilisation en France des membres des familles des travailleurs immigrés déjà présents, d‘origine maghrébine notamment. Ils vont faire souche en France et, pour une part d‘entre eux (surtout les jeunes), acquérir la nationalité française, tout en restant une minorité fortement stigmatisée. 1997 pourrait marquer le terme de cette période.

Un nouveau compromis politique sur l‘identité nationale s‘esquisse par la reconnaissance publique des discriminations. Ce qui revient virtuellement à reconnaître et à constituer en problème (et en objet légitime d‘intervention) la saillance ethnique interne à la société française.

Durant cette période de plus de vingt ans, « le problème de l‘intégration », autrement dit la question de l‘incorporation des immigrés, s‘étend jusqu‘à concerner peu à peu tous les domaines de la vie collective (école et formation, logement, travail et emploi, armée, vie politique). Un deuxième trait de cette période est que la dichotomie established / outsiders joue à plein dans la vie civile et dans la communication publique. Les immigrés sont saisis comme des gens « pas de chez nous ». Le mot même d‘immigré, couramment utilisé même pour ceux qu‘on nomme aussi « la seconde génération », les enfants nés en France des immigrants, évoque en permanence l‘ailleurs d‘où ils viennent et la croyance que, avec ou sans les « papiers français », ils font peser en tant que tels une menace sur le « Nous » national114. Un troisième trait de la période est que la décision politique centrale en matière d‘intégration va de crise en crise. Les « immigrés » sont désormais des acteurs de la vie politique, soutenus par certaines forces associatives et politiques. Mais c‘est seulement à l‘échelle locale que des compromis pratico-symboliques stables sont élaborés le cas échéant115.

Durant tout ce temps, en effet, la décision politique s‘est trouvée prise en tenaille entre le droit d‘un côté, les représentations sociales ethnicisées de l‘autre. Le politique s‘est heurté alternativement, en matière d‘intégration des immigrés, au barrage du droit et au barrage des représentations sociales. Barrage du droit lorsque, dans les années 1970, le

113 Abdelmalek SAYAD s‘est attaché à décrire la souffrance sociale de l‘émigré-immigré, défini par une double absence de chez lui et parmi les autres. Voir par exemple son recueil posthume (1999), La Double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré, Paris, Seuil.

114 Voir par exemple Simone BONNAFOUS (1991), L‟Immigration prise aux mots, Paris, éd. Kimé (sur la diffusion des représentations racistes à travers divers organes de presse nationale au cours des années 1980) ; et Daniel GAXIE (dir.) (1997), Enquête sur les attitudes à l‟égard de l‟immigration et de la présence étrangère en France. Rapport final, Paris, Université Paris I et DPM (notamment l‘étude de l‘évolution des questions posées dans les sondages).

115 Voir le travail de thèse de Catherine WIHTOL DE WENDEN (1988), Les Immigrés et la politique, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques ; etBERTHET Thierry (1998), Doit-on parler de politiques locales de l‘ethnicité ?, in Richard Balme, Alain Faure, Albert Mabileau, dirs., Politiques locales et transformations de l‟action publique en Europe. Grenoble, CERAT, p. 133-142.

gouvernement tente d‘empêcher l‘arrivée des membres des familles et de provoquer le départ des immigrés. Opposition du Conseil d‘Etat, il faut renoncer. Barrage des représentations lorsque les socialistes, parvenus au pouvoir en 1981 avec l‘Union de la gauche, entendent assumer le droit et l‘étendre (ils garantissent les jeunes contre l‘expulsion, accordent de nouveaux droits et libertés aux résidents étrangers, notamment le droit au séjour, concluent avec l‘Algérie une convention sur l‘acquittement des obligations militaires des binationaux, etc.). C‘est l‘échec politique, l‘extrême-droite pavoise, la droite revient au pouvoir en 1986 en partie sur ces thèmes, malgré l‘arrêt des réformes (l‘octroi du droit de vote aux résidents étrangers pour les élections locales figurait dans la plate-forme de l‘Union de la gauche en 1981). Barrage du droit lorsque, dans la foulée de son succès, la droite entend modifier la législation de la nationalité de sorte à empêcher les jeunes issus de l‘immigration d‘être « français sans le savoir » ou « sans le vouloir » (1987). « Etre français, ça se mérite » dit le slogan lancé par le Front National. Or il est impossible de réviser la disposition qui assure aux enfants d‘Algériens nés en France la nationalité française à la naissance sans affecter les droits nationaux de nombreuses autres catégories de Français. Echec juridique, il faudra se contenter ultérieurement (loi Méhaignerie de 1993) d‘une disposition principalement symbolique touchant les enfants d‘étrangers autres qu‘Algériens, nés en France : la manifestation de volonté reçue à partir de l‘âge de 16 ans116. Barrage des représentations quand la gauche, revenue au pouvoir en 1988, se remet à entonner l‘antienne de la tolérance. L‘opposition médiatise la question du port du foulard islamique dans certains établissements scolaires (1989), et catalyse une opinion sensibilisée aux thèmes anti-islamiques et néo-assimilationnistes. Barrage du droit lorsque, ayant repris la majorité en 1993 encore une fois sur ces thèmes, la droite tente de faire prévaloir une interprétation de la laïcité restrictive pour les libertés des musulmans (la loi est encadrée par les instruments internationaux du droit, le Conseil d‘Etat confirme sa doctrine par sa jurisprudence)117.

Au total, on voit se dégager sur la période une dynamique à trois actants qui produit et entretient de la crise politique : (1) les outsiders « immigrés » soutenus par leurs alliés réclament le bénéfice du droit à l‘égalité dans le respect de leur identité, droit en principe garanti par les institutions, et l‘arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 les dote à cet égard de ressources juridiques décisives (droit de diriger des associations, droit au séjour) ; (2) l‘ethnonationalisme est sollicité avec succès, pas exclusivement à droite, pour s‘opposer à l‘extension de leurs droits ; (3) le système juridique libéral fait obstacle de son côté à une traduction positive des projets tendant à renforcer l‘écart entre nationaux et « immigrés » devant la loi. Les autres pays européens ont connu des crises analogues, pareillement marquées par le contraste paradoxal entre progrès du droit et affirmation ethnonationale, selon des formes variables118.

Les politiques publiques de cette période sont profondément contradictoires. En 1984 est arrêtée par la classe politique une « règle du jeu » supposée soustraire la question de

116 Cette disposition n‘aura pas d‘incidence quantitative sur le flux d‘acquisitions de la nationalité et sera rapportée à la législature suivante (1998).

117 Sur la polarisation ethnique/civique du débat français autour de l‘interprétation de la laïcité, on peut se reporter à notre étude (1996a) A propos de la crise de la laïcité en France : dissonance normative, in France Gagnon, Marie Mc Andrew, Michel Pagé, dirs, Pluralisme, citoyenneté et éducation. Montréal, Harmattan Inc., p. 121-136 ; et (1996b), Laïcité 1996 - La République à l'école de l'immigration ?, Revue française de pédagogie (117), oct.-nov.-déc., p. 53-85.

118 Voir Virginie GUIRAUDON (2000), Les Politiques d‟immigration en Europe. Allemagne, France, Pays-Bas. Paris, L‘Harmattan.

l‘intégration au combat politicien : les immigrés résidant légalement ont vocation à s‘intégrer, ceux qui ne sont pas en situation légale sont appelés à quitter le territoire119. Le principe, souvent répété depuis, est que le droit commun est applicable aux immigrés légaux, a fortiori à leurs enfants, des dispositions spécifiques ne pouvant que contrarier l‘égalité de traitement. Mais les infractions à l‘égalité de traitement ne font pas l‘objet d‘une vigilance particulière. Le droit n‘en réprime que des catégories limitées (voir infra). Les services ne dispensent pas à leurs agents d‘instructions à cet égard. Si les discriminations patentes de la phase néo-coloniale (le tutoiement généralisé, la médiocrité des aides et services, l‘habitat en bidonville, etc.) disparaissent à peu près, il s‘instille dans tous les secteurs de la vie collective une gestion discriminatoire tacite. La mise en évidence de ce fait dans le logement social, devant l‘emploi et dans le travail, à l‘école même, dans l‘armée, dans le loisir, va ouvrir une nouvelle période dans la gestion du « problème immigré ».

LA TROISIEME PERIODE

Cette période voit se déplacer les enjeux de la crise. La date repère est 1998. A l‘automne, le gouvernement redéfinit l‘intégration en termes de lutte contre les

« discriminations » raciales ou ethniques. La publicité de ce thème fait cliquet : impossible désormais (sauf bouleversement) de revenir à une vision des choses qui impute les « difficultés d‘intégration » aux seuls minoritaires, en les expliquant par leurs défauts et leurs différences culturelles, - vision qui nourrit l‘ethnonationalisme en même temps qu‘elle est nourrie par lui. Le nouveau thème signifie que la France reconnaît non pas les minorités issues de l‘immigration sur son sol, mais les effets sociaux qui résultent de la croyance en l‘existence de ces minorités, et qu‘elle s‘apprête à réorienter en conséquence sa politique d‘intégration120. En langage sociologique : elle reconnaît que les groupes issus de l‘immigration forment des catégories ethnicisées, - exactement comme la lutte antiraciste implique non pas que le droit accorde un statut objectif aux races, mais qu‘il reconnaît qu‘il existe des catégories racisées121.

Cette reconnaissance conduit le politique sinon à poser publiquement, du moins à traiter la question du « vivre-ensemble » par le biais de sa politique d‘intégration - question inédite dans la tradition nationale : les immigrés et enfants d‘immigrés se voient saisis par l‘action publique non plus en tant qu‘outsiders (ce qui fut le trait caractéristique de toute la période précédente), mais comme une composante de la société nationale. L‘Etat entame à leur bénéfice un processus de neutralisation de la saillance ethnique et d‘actualisation de leurs droits à l‘égalité de traitement. Cette ligne d‘action donne lieu sans délai à l‘institution d‘un premier dispositif de lutte contre les discriminations122 ; ainsi qu‘à un début de relecture de l‘histoire de la déliaison

119 Cf. Patrick WEIL (1991), La France et ses étrangers. L‟aventure d‟une politique de l‟immigration (1938-1991). Paris, Calman-Lévy.

120 Le principal organe de la mise en œuvre de cette politique, le FAS, a vu adapter son intitulé : il était

« Fonds d‘action sociale pour travailleurs immigrés et leurs familles », il devient FASILD, « Fonds d‘action et de soutien pour l‘intégration et la lutte contre les discriminations ».

121 D‘un point de vue psycho-sociologique, rappelons-le, la racisation est une modalité radicale de l‘ethnicisation. Voir chap. 2.

122 Le dispositif institutionnel a une compétence limitée, à ce jour. L‘idée d‘une instance indépendante de lutte contre les discriminations, préconisée par le rapport Belorgey et par le HCI à partir des exemples britannique et belge, a été écartée. A été institué un Groupe d‘étude et de lutte contre les discriminations (GELD), initiateur d‘expériences concertées de « bonne conduite » et auteur de rapports (voir p. ex. la

coloniale (par l‘encouragement officiel des recherches historiques sur la guerre d‘Algérie, reconnue comme « guerre » par une loi de juin 1999) ; et à l‘accélération du processus d‘intégration symbolique de l‘islam en France (par l‘entreprise de constitution, avec l‘aide des pouvoirs publics, d‘une représentation nationale des croyants musulmans de France, instance susceptible d‘être à l‘avenir l‘interlocuteur des pouvoirs publics en matière de culte musulman)123.

Ces changements annoncent-ils une sortie de la crise de l‘intégration ? Il est prématuré de l‘affirmer.

VERS UNE SORTIE DE LA CRISE DE LINTEGRATION ?FACTEURS ET BUTOIRS

La proclamation d‘une refonte de la politique de l‘intégration référée à la lutte contre les discriminations répond sans doute à des critères d‘opportunité. Le discours sur les immigrés-problèmes fait le jeu de l‘extrême droite (l‘élection présidentielle de 1995 avait déjà marqué une inflexion, le principal candidat de droite choisissant d‘axer sa campagne sur le thème de la « fracture sociale »). De plus, ce discours est contre-productif dans le domaine social et contribue même aux problèmes qu‘il veut résoudre.

L‘ampleur du chômage et les nouvelles formes urbaines de la pauvreté ont amené à la formulation de politiques solidaristes de redistribution et de politiques territorialisées de « lutte contre l‘exclusion » et de « développement social urbain », toutes composantes importantes des programmes gouvernementaux aujourd'hui. Ces politiques sont gênées par la mise en exergue d‘une partition ethnique entre leurs ressortissants, alors qu‘elles se réclament d‘un idéal d‘égalité et que l‘ethnicisation de certains quartiers et de leurs habitants est précisément un noeud des problèmes.

Plus profondément, la réorientation de la politique de l‘intégration a été favorisée par une conjugaison de facteurs psycho-sociaux et de pressions européennes, qui tendent, selon des modes différents, à affaiblir la dichotomie « immigrés » versus « français ».

Ce sont notamment : (1) la complexification des croyances sociales au sujet des

« immigrés » ; (2) l‘apport de connaissances neuves sur les processus sociaux en matière d‘intégration ; (3) la formulation d‘une nouvelle philosophie de la démocratie et (4) l‘érection de nouvelles normes à l‘échelle de l‘Union européenne, en matière de justice sociale.

note de synthèse coordonnée par Patrick Simon, Les discriminations raciales et ethniques dans l‟accès au logement social, 2001), un numéro d‘appel gratuit, le 114, pour recevoir les plaintes individuelles, et un dispositif d‘expertise placé auprès des préfets, les Commissions départementales d‘accès à la citoyenneté (CODAC), lesquelles assurent également le suivi des plaintes individuelles présentées par l‘intermédiaire du 114. Un changement législatif a été initié fin 2001 dans le domaine du travail, puis du logement (v. infra).

123 Ce processus, animé par le ministère de l‘Intérieur (en charge des Cultes), a commencé dès 1990 et a connu des hauts et des bas avant d‘être repris et accéléré à l‘été 1999, puis brutalement enlisé par le contrecoup des attentats du 11 septembre 2001 suivi de la période électorale du printemps 2002. Il s‘agit pour l‘Etat de normaliser le statut public de la religion musulmane tout en contrôlant mieux ses responsables. Une charte des « Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les

123 Ce processus, animé par le ministère de l‘Intérieur (en charge des Cultes), a commencé dès 1990 et a connu des hauts et des bas avant d‘être repris et accéléré à l‘été 1999, puis brutalement enlisé par le contrecoup des attentats du 11 septembre 2001 suivi de la période électorale du printemps 2002. Il s‘agit pour l‘Etat de normaliser le statut public de la religion musulmane tout en contrôlant mieux ses responsables. Une charte des « Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les

Dans le document L'école et le défi ethnique (Page 67-83)