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CHAPITRE 3 : LA NOTATION DU SIGNE

3.1 Qu’est ce qu’un signe

3.1.1 R´eponse de la linguistique g´en´erale

Cette notion de signe peut naturellement ˆetre appliqu´ee `a la linguistique des langues vocales. Sans d´evelopper les diff´erentes approches pour d´efinir le signe linguistique, nous nous baserons dans un pre-mier temps sur l’analyse de F. de Saussure [Sau16]. Pour l’auteur, le signe linguistique poss`ede quatre caract´eristiques significatives :

L’arbitraire Le lien entre signifi´e et signifiant est arbitraire. C’est `a dire que la relation entre l’image accoustique et le concept d´esign´e est fix´ee arbitrairement pour chaque langue. De Saussure ira mˆeme jusqu’`a dire que cette relation n’est pas motiv´ee4.

Le caract`ere lin´eaire du signifiant Le signifiant des langues vocales ´etant de nature lin´eaire (texte ´ecrit, image acoustique), les constituants du signifiant sont plac´es obligatoirement les uns apr`es les autres.

2Image d’arbre tir´ee du site www.sharkdesign.fr 3Illustration tir´ee de [MVGD97a]

4“Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l’id´ee que le signifiant d´epend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu’il n’est pas au pouvoir de l’individu de rien changer `a un signe une fois ´etabli dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu’il est immotiv´e, c’est-`a-dire arbitraire par rapport au signifi´e, avec lequel il n’a aucune attache naturelle dans la r´ealit´e.” [Sau16]

L’immutabilit´e synchronique Un locuteur ne peut pas modifier arbitrairement un signe car le signifiant associ´e au signifi´e est commun `a une communaut´e linguistique.

La mutabilit´e diachronique Les signes linguistiques peuvent admettre des modifications au cours du temps.

Si les trois derniers points sont admis par la communaut´e des linguistes, le premier fait toujours d´ebat. La remise en cause porte en particulier sur le caract`ere non motiv´e du signe linguistique. Comme l’a montr´e le linguiste [Jes22], il est possible de trouver une sorte de symbolisme phon´etique dans certains mots de la langue anglaise. Il s’agit donc pour l’auteur de mettre en ´evidence une certaine iconicit´e des langues vocales dont un relicat se retrouverait dans les mots actuels.

Il est int´eressant de mentionner ´egalement la mani`ere dont Hjemslev appr´ehende le signe [Hje43]. Le lin-guiste distingue deux aspects du signe : l’expression (qu’on pourrait rapprocher de la notion de signifiant) et le contenu (´equivalent du signifi´e). Le contenu et l’expression sont alors chacun divis´e en substance et en forme. Les substances sont des espaces continus tandis que les formes sont des discr´etisations de ces espaces en classes distinctes.

Au niveau de l’expression Le message est v´ehicul´e par un continuum de sons (qui constituent la substance de l’expression) qui peuvent ˆetre d´ecrits grˆace `a la phon´etique. Chaque langue poss`ede ensuite sa propre discr´etisation des sons en phon`emes et ses r`egles de combinaisons qui peuvent ˆetre d´ecrites par la phonologie. Ces phon`emes combin´es entre eux constituent la forme de l’expression.

Au niveau du contenu Il existe un continuum de concepts qui constituent la substance du contenu. Chaque langue choisit de discr´etiser cet espace en plusieurs classes qui constituent la forme du contenu. Il est int´eressant de noter que l`a aussi, la forme du contenu varie d’une langue `a l’autre. L’illustration 3.2 montre une partition diff´erente des couleurs suivant les cultures (preuve qu’il peut exister plusieurs formes pour une mˆeme substance).

Le signe consiste `a une association entre deux ensembles de ces espaces (fig. 3.3).

green

blue

gray

brown

gwyrdd

glas

llwyd

Expression Contenu

/ mi / / bi / / pi /

/ ni / / di / / ti /

FIGURE 3.3 – Exemple d’association entre l’espace des contenus et l’espace des expressions dans le cas des langues vocales

ovin porcin bovin ´equin humain

mˆale mouton porc taureau ´etalon homme

femelle brebis truie vache jument femme

FIGURE3.4 – Exemple de d´ecomposition du sens de signes tir´e de [Hje43]

Ayant effectu´e ce parall´elisme de structure forme/substance entre les niveaux contenu et expression, Hjemslev y applique les mˆemes outils et d´ecompose le sens des signes en composants de base qu’il nomme s´em`eme. Le tableau 3.4 montre comment il d´ecompose le sens des d´esignations des animaux. Bien qu’on puisse remettre en cause cette d´ecomposition en ´el´ement de sens minimaux pour tous les concepts5, il est important de souligner cette d´emarche de discr´etisation des unit´es de sens.

Reste qu’une fois le terme de signe ainsi d´efini, il est difficile de proposer une segmentation d’un ´enonc´e d’une langue vocale en signes. Une solution de facilit´e pourrait ˆetre de consid´erer le “mot”6comme ´equivalent du signe linguistique. Il suffirait alors de consid´erer les signes comme des suites de caract`eres pr´ec´ed´ees et suivies par des signes de ponctuation ou des espaces. Cette solution est loin d’ˆetre satisfaisante comme le montrent les observations suivantes :

• Lors de l’utilisation d’une langue vocale, l’espace pr´esent dans l’´ecriture n’est pas forc´ement audible sous forme d’une pause.

• Le d´ecoupage des mots est variable en fonction du genre et du nombre (ex : “ceci”, “ceux-ci”). • Certaines langues comme le chinois ne s´eparent pas les mots par un espace.

• Qu’en est-il de tous les mots compos´es ? (par exemple, une porte-voix doit il ˆetre consid´er´e comme un seul mot ou comme deux mots ?)

5On pourra se reporter en particulier `a l’ouvrage [Cho57] pour illustrer la limite de ce proc´ed´e de d´ecomposition du sens des mots.

6Etant donn´e la nature de notre travail de recherche, nous ne rentrerons pas en d´etail dans la d´efinition des notions de morph`eme ou de lemme qui seraient plus pr´ecises linguistiquement.

Une solution alternative serait de consid´erer le signe comme la plus petite unit´e de sens qu’il est possible d’isoler dans un ´enonc´e. Un des probl`eme de cette approche est qu’il est fr´equent qu’une unit´e de sens soit fractionn´ee (morph`eme `a signifiant discontinu). Par exemple, dans la phrase “il ne veut pas”, il est possible d’identifier “ne ... pas” comme unit´e de sens minimale. Malgr´e la d´efinition th´eorique du signe linguistique, il est donc difficile de d´ecomposer un ´enonc´e (qu’il soit ´ecrit ou oral) en signes.