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5. Présentation, analyse des résultats du recueil de données et mise

5.1. Entretien avec un élève du groupe enregistré

Avant de débuter l’expérimentation, et donc d’enregistrer le débat, j’ai pratiqué un entretien avec un élève, nommé T (voir annexe 2). Il s’agit d’un bon élève, qui maitrise bien la langue française dans ses différents aspects (linguistique, grammaire, syntaxe…) et qui est à l’aise à l’oral comme à l’écrit. C’est un élève que j’ai également enregistré lors des débats interprétatifs en groupe qui font l’objet de l’expérimentation. Cela me permettra ainsi, dans l’analyse qui suivra, d’étudier précisément la manière dont il use des expressions de la contradiction et de voir si ses représentations de cet acte hors-contexte, hors-débat, telles qu’il les a présentées dans l’entretien, correspondent à la manière dont il le réalise en interaction.

Avant l’entretien, j’ai préparé quatre questions à lui poser : « Qu’est-ce que contredire pour toi ? », « Comment fais-tu pour contredire quelqu’un ? » (Cette deuxième question pouvait être subdivisée selon la tournure de la discussion, ou au moins infléchie de manière à faire ressortir les expressions verbales et non verbales de la contradiction), « A quoi sert de contredire selon toi ? » et « As-tu des points à travailler dans l’expression de la contradiction ? ». Ces quatre questions sont celles que j’ai posées à l’élève, de même que quelques questions subsidiaires, soit pour relancer la discussion, soit pour expliciter un point abordé de manière implicite par l’élève.

J’ai donc commencé par demander à T. de définir le verbe « contredire ». Il faut tout d’abord noter que T., pour définir la contradiction, ne commence pas par une définition « classique », qui passe par l’abstraction, mais commence par un exemple : « si je dis que « le cheval est blanc » et que je parle, je parle et que juste après je dis que « le cheval est vert », c’est pas la même chose ». La contradiction lui apparait donc de prime abord de manière très empirique, pas du tout abstraite. Il passe ensuite à une définition plus générale : « j’ai dit, pas forcément l’inverse, mais quelque chose d’autre que ce

que j’avais dit avant ». L’élève n’en reste donc pas à une reprise du verbe (contredire, ce n’est pas juste « dire contre ») ou à une définition simpliste (contredire, ce n’est pas non plus seulement dire l’inverse d’un énoncé précédent) mais il perçoit que la contradiction consiste aussi à apporter une information différente, à nuancer un propos au point de décrédibiliser, voire d’annuler, la parole qui précède. Ce point est particulièrement pertinent lors des activités de débat en classe puisque la contradiction va alors passer par des expressions de nuance, de concession, par des opérations de modalisation, et servira un argumentaire fructueux pour l’interprétation coopérative.

A la question portant sur l’intérêt de la contradiction, T. distingue entre la forme pronominale et intransitive du verbe, « se contredire », qu’il ne développe pas, et la forme non pronominale et transitive, « contredire les autres». C’est à partir de cette deuxième forme du verbe qu’il va répondre à la question de l’intérêt de la contradiction. T. associe tout de suite la contradiction à un double enjeu social/sociable (la contradiction implique nécessairement « les autres ») et langagier (d’où l’usage des verbes « débattre », « remettre en cause », « faire réfléchir »). Le verbe « débattre » apparait notamment très rapidement. Or, le débat consiste justement, dans un face à face ou dans un groupe, à discuter autour d’une « question de base », l’équivalent de la « question controversée » évoquée par Dolz et Schneuwly (2009), à exprimer diverses opinions et à essayer de modifier le point de vue des autres, d’où l’emploi par l’élève des termes « faire réfléchir », « remettre en cause » ou encore « argumenter ». L’élève perçoit donc ce que les deux didacticiens traduisent par l’objectif de « préciser/modifier sa position initiale ». T. associe ainsi rapidement la contradiction au genre du débat : l’écoute et l’éventuelle contradiction apparaissent nécessaires dans le but de nuancer ou modifier un point de vue. T. parle ensuite d’une « réaction » qui peut avoir lieu lors de la contradiction, lors de la « remise en cause » de l’autre. En effet, la contradiction met en danger l’identité, la face de l’autre. Mais, quand je cherche à faire expliciter à l’élève la raison de cette « réaction » dont il parle, quand je lui demande « pourquoi quelqu’un pourrait assez mal réagir si [on] la contredit », il évite la question. Il parle plutôt de son propre cas et dit que lui ne réagit pas mal à la

contradiction mais est ouvert à la discussion et aux arguments des autres. Il semble, selon ses propres mots, ne pas être arcbouté sur son point de vue mais être prêt à nuancer ses opinions. Il sera intéressant de noter les éventuelles différences entre ses propos lors de l’entretien, ex nihilo, et la réalisation en acte de l’expression de la contradiction lors des débats auxquels il participera.

A la troisième question, celle portant sur les manières de contredire, T. va mentionner deux façons de contredire, la façon verbale et la façon non verbale. De façon quasi immédiate, il va donner pour exemple : « Alors moi je pense pas que ce soit comme ça exactement, je pense plutôt que… » et « tu n’as sûrement pas tort, mais moi je vais te donner des arguments contre, et toi… ». C’est donc l’expression verbale de la contradiction qu’il exprime en premier, c’est ce qui lui semble le plus évident. Dans le premier exemple qu’il donne, on note d’abord le redoublement de la première personne, « moi je », qui met en avant la personne qui parle et son opinion au détriment de l’autre. De plus, la forme négative (tronquée de l’adverbe de négation « ne », exprimée uniquement à l’aide du forclusif « pas » parce qu’il s’agit d’une forme orale) permet de nier le point de vue de l’autre. Néanmoins, cette dénégation faite par le « moi » n’est pas opposée radicalement à un « toi » mais à un « ça ». Cette tournure démontre une maitrise relative de la consensualité puisque ce n’est pas la face de l’autre qui est directement attaquée, mais ce sont plutôt ses idées. T. emploie également, pour nuancer sa contradiction, des adverbes de degré (« exactement », « plutôt »), et utilise à deux reprises le verbe de jugement « penser que ». Il exprime donc un degré de certitude et d’incertitude à la fois sur sa parole et sur celle de l’autre. Il y a donc modalisation dans ses propos. Le deuxième exemple qu’il prend pour illustrer la manière dont il contredit (« Tu n’as sûrement pas tort, mais moi je vais te donner des arguments contre ») oppose cette fois clairement « moi » à « tu » mais débute avec une concession. La phrase est en effet construite en deux temps : d’abord une valorisation de la pensée de l’autre puis sa parole personnelle est créditée d’une valeur supérieure. Par cette tournure concessive, l’élève accepte la valeur des idées de son adversaire. T. déclare d’ailleurs « il faut lui montrer que

lui il a d’un côté raison mais pas totalement non plus ». On peut également relever la conjonction adversative « mais » qui apparait être au cœur de la contradiction et de l’expression de la contradiction, qui est récurrente chez les élèves. Ce n’est qu’après ces exemples d’expressions verbales de la contradiction que T., sur sollicitation de ma part, mentionne les expressions non verbales de la contradiction : les « gestes » et le « ton » qui peut être « trop brut ».

En résumé, cet entretien témoigne d’une grande maitrise préalable par T de l’acte de contradiction : il perçoit la complexité de cet acte qui implique à la fois de contredire l’autre sans briser la communication mais aussi de poursuivre l’interaction de manière constructive notamment grâce à l’utilisation de la concession, qu’il évoque sans la mentionner précisément, et d’un argumentaire fécond.

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