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C. L’ACTION DU SPECTATEUR

II. GROUPE ZUR

2. Entrer en matière

Photo J-F Rabillon

Issu des années quatre vingt (1984), le groupe ZUR s’est constitué dans une période où le clip vidéo est en pleine expansion et vient influencer, dans sa manière de concevoir la narration, le spectacle vivant. Ces séquences de courte durée où la forme crée le signifiant, ont marqué toute une génération d’artistes dont les membres du groupe ZUR. À première vue, les sons et les couleurs portent la ligne directrice du spectacle néanmoins il s’en dégage une logique de la matière.

L’eau, première matière dans laquelle se reflète l’image du poisson, sera l’objet de notre analyse. L’eau est donc une substance dans laquelle se reflète le monde. En premier lieu, un énorme poisson rouge, suspendu dans les airs, apparaît par intermittence. La situation paradoxale du poisson à la fois dans l’air et sous l’eau crée une image poétique, cette image appartient au domaine du rêve. L’énorme poisson rouge n’est pas menaçant, il appelle notre sympathie. Nous plongerions bien avec lui dans l’eau, d’autant plus que parfois nous recevons quelques éclaboussures. Le contact

avec l’eau nous rend perméable à la fiction de l’image, le poisson existe, il n’y a plus aucun doute.

Sous le parasol de la danseuse, l’eau qui ruisselle dessine un autre espace, elle forme un cylindre autour la danseuse. Dans un premier temps, la danseuse semble enfermée à l’intérieur de cet espace, mais bientôt elle déborde du cercle qui l’entoure et danse avec l’eau. Totalement trempée par le contact avec l’élément aqueux, la danseuse est enjouée de danser avec l’eau. On peut supposer qu’elle danse pour faire venir la pluie et qu’ensuite elle continue sa danse trop heureuse d’avoir été entendue…La venue de l’eau procure de la joie à la danseuse. Les raisons de ce sentiment sont sujets à de multiples interprétations.

Plus loin, sur une poutre en bois, nage une femme en maillot de bain une pièce. La forme du maillot de bain et l’image en noir et blanc renvoie aux années trente. Cette image s’inscrit dans une actualisation de la tradition picturale des baigneuses, où la femme représentée presque nue est entrain de prendre soin d’elle. L’image projetée par ZUR présente une femme dans une action à l’opposé de la langueur des baigneuses de Renoir, une femme dont les formes toniques répètent en boucle les gestes du crawl. Ainsi, le bain n’a plus une fonction d’union avec la nature mais de dépassement de la nature. La femme n’est plus nue, elle porte un maillot de bain une pièce, sa nature a changé, elle ne va pas dans l’eau pour retrouver son état « naturel » mais pour surpasser sa nature. L’image tourne en boucle et présente une femme inépuisable. L’image de la femme au bain est devenue celle d’une femme qui « violente » sa nature par une suractivité. C’est donc l’image d’une femme contre-nature.

Un peu plus loin dans une autre bassine, l’eau reflète l’image d’une sirène. Elle adopte une position statique dans l’eau. À l’opposé de la baigneuse qui pratique la natation, la sirène ressemble aux représentations picturales de la fin du XIXeme, image

en noir et blanc, elle nous rappelle la sirène de nos rêves. La bassine, accessoire du quotidien transporte le merveilleux. Ce dernier prend comme support les objets du quotidien. L’eau est donc la substance de la rêverie imagée du spectateur. Le fil des rêves est l’eau et pour emprunter une formule de Gaston Bachelard : « L’œil véritable de la terre, c’est l’eau. Dans nos yeux, c’est l’eau qui rêve. »47. Ainsi, le monde que nous

percevons à travers l’eau est peuplé de créatures de toutes sortes : humaine, animale ou

mythologique ; elles jaillissent de l’eau pour nous révéler un monde de rêves. Le son participe à ce rêve éveillé, analysons quelles sont les modalités de son action.

La matière sonore intervient brutalement pour donner le départ du spectacle lorsque tout le monde attend patiemment devant la halle que « quelque chose » se passe. Avant l’arrivée de la femme en mobylette, le son du klaxon nous informe que la fiction commence. L’agressivité du son du klaxon a pour fonction d’être entendu par tous au même moment. À l’intérieur de la halle, les foyers sonores se multiplient, les projecteurs actionnés par les cinéastes-manipulateurs produisent un concert de sons mécaniques. Le son accompagne l’image, il est produit en simultané. Ensuite le son de la cloche devient dominant, guidant les spectateurs au fond de la halle en face de la danseuse qui tourbillonne. Pendant sa prestation des cloches situées au plafond tonnent. Le son des cloches mêlé à celui d’une musique diffusée par des hauts parleurs non visibles, envahi l’espace. Le son entraîne les mouvements de la danseuse et ceux des cloches. Le mot « gonga » est répété sur toutes les tonalités par une voix féminine. Le son appelle les spectateurs à se déplacer. Là aussi, la matière sonore agit sur le corps du spectateur en le guidant dans sa déambulation. Le son a pour fonction de réunir le groupe de spectateurs auparavant occupés à suivre des yeux les projectionnistes qui se promènent parmi eux. La matière sonore construit l’univers onirique et rythme les mouvements des personnes et des objets.

Cette construction éclatée répond cependant à une intention précise des membres du Groupe ZUR. En effet, le fil conducteur de leur œuvre est le chemin de vie48. La

déambulation est donc motivée par le cheminement. Nous devons avouer qu’en tant que spectatrice la lecture du chemin de vie nous a échappé, nous le mentionnons ici car il nous a été transmis lors d’une rencontre avec un membre du collectif.

Zzzzz est un spectacle qui procure des sensations pour les yeux et les oreilles. Le spectateur est comme dans la vie face à un éclatement du sens, ce qui lui est proposé ce sont des images d’un monde merveilleux qui le place dans une position de rêveur éveillé. Dans cette perspective, le spectateur est contemplatif, il est placé dans une dimension où les images le dépassent par leur taille et leur capacité à créer du merveilleux. Cependant le monde inventé reste parcellaire, Zzzzz reflète la déliquescence du sens de la réunion pour partager des valeurs communes. Ce qui est partagé dans Zzzzz ne porte pas de sens clair pour tous, la multiplicité des interprétations

des images montre l’impossibilité de proposer une vision commune à l’assemblée de spectateurs.

B. LA PEINTURE VIVANTE : L’INVITATION FAITE AUX SPECTATEURS À ENTRER DANS LE TABLEAU POUR Y FIGURER

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