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6. Comparaison des réalités projetées sur la RSE

6.5. Entreprises canadiennes : RBC, Bell Canada et Kruger

On peut tout d’abord noter que le positionnement de la responsabilité sociale dans les entreprises canadiennes suit la même logique que le cas des entreprises d’un même secteur : on ne trouve pas beaucoup d’éléments en commun qui pourraient designer un positionnement semblable entre les trois entreprises analysées.

Par exemple, par rapport à l’origine de la question de la responsabilité sociale dans l’entreprise, on observe que chez Kruger et Bell le processus est positionné comme étant une initiative volontaire de l’entreprise elle-même (chez Kruger, on constate ce positionnement quand le PDG écrit « La Société souscrit aux objectifs mondiaux »), où souscrire présuppose l’idée d’un choix libre et

éclairé. Chez Bell, on voit un tel positionnement implicite dans la phrase «en adhérant aux normes éthiques », où « en adhérant » positionne Bell comme se soumettant volontairement auxdites normes. À l’inverse, on notera que chez RBC, le sujet est présenté comme étant une réponse presque obligée de la part de la banque aux exigences des parties intéressées et du contexte. On observe, par exemple, cet effet dans la phrase « nous vivons aussi une époque où un usage plus sage (…) s’impose ». Ici c’est le contexte qui oblige, en quelque sorte, la banque à être responsable.

Par rapport aux individus qui participent de la responsabilité sociale de l’entreprise, on observe que chez Bell, ces personnes ne sont pas nécessairement des parties prenantes affectées directement par l’activité productive de l’entreprise, car dans l’idée de communauté mis de l’avant par cette entreprise, ceux qui sont les bénéficiaires sont les enfants et les jeunes, soit des franges de la population qui ne sont pas, a priori, directement affectés par l’activité de Bell, mais qui sont donc positionnées comme bénéficiaires. À l’inverse, chez Kruger et RBC, les

individus concernés par la question de la responsabilité d’entreprise sont des sujets affectés ou reliés directement à l’activité de l’entreprise (les communautés

d’autochtones et l’environnement, chez Kruger, et les parties prenantes qui ont des attentes par rapport à l’entreprise, dans le cas de RBC).

Bien que RBC ne se prononce pas par rapport à ce sujet, on observe une claire différence entre Bell et Kruger par rapport au positionnement de la

positionnement, si l’on peut dire, passif et distant, lorsque son PDG parle en termes de non mise en péril de l’environnement. A l’inverse, chez Kruger, la responsabilité sociale est positionnée comme étant plutôt active et positive, car le PDG parle en termes de protection de l’environnement, positionnement qui renvoie à une relation plus proche entre l’environnement et l’entreprise.

Par rapport au but final de la responsabilité sociale de l’entreprise, les analyses nous permettent de voir que chez RBC et Bell, il y a une idée de

permanence de l’entreprise dans le temps, mais positionnée un peu différemment dans chaque entreprise. Ainsi, Bell présente son objectif associé à la création d’une valeur durable. Ici le terme « durable », qui vient qualifier celui de « valeur », est classiquement associé au thème de l’environnement et à la soutenabilité de

l’entreprise dans le temps. En parlant de « valeur durable », le message joue donc sur une connotation environnementale, mais qui reste implicite. Tandis que chez RBC, l’idée de durabilité est présentée d’une façon plus explicite. On la retrouve ainsi dans la phrase « voilà ce qu’est notre quête de la durabilité » qui semble associer l’idée de la responsabilité sociale à celle de développement durable. Mais en fait, on voit que l’idée de durabilité n’est a priori pas liée nécessairement au sujet de l’environnement, mais à l’idée de permanence dans le temps. Ici la responsabilité sociale est implicitement positionnée en termes de permanence de la banque dans le temps, tout en gardant, en quelque sorte, une certaine

ambigüité dans le positionnement par rapport au sujet de l’environnement. Chez Kruger, par contre, on n’observe aucune référence à ce sujet.

Dans ces mêmes entreprises, Bell et RBC, on observe également une intention de légitimer les actions de responsabilité sociale face aux parties prenantes, en prenant comme références des éléments externes à l’entreprise. D’un côté, Bell justifie ses actions de responsabilité en associant sa vision avec celle de tous les Canadiens et de tous les citoyens du monde. D’un autre côté, RBC se justifie en présentant la responsabilité sociale comme un sujet incorporé par le monde entrepreneurial en général, un sujet qui préoccupent aussi d’autres

entreprises et qui n’est donc pas retenu par RBC par simple « caprice ». Ainsi, ces entreprises présentent implicitement la responsabilité sociale comme un sujet qu’il faut, en quelque sorte, légitimer face aux actionnaires. Par ailleurs, chez Kruger, on n’observe pas de volonté de se justifier par rapport à ses actions de

responsabilité sociale.

Même si les trois entreprises se différencient sous plusieurs aspects, on y observe toutefois un élément qui est notamment semblable : les trois entreprises canadiennes associent l’intérêt financier à leurs actions de responsabilité, même si elles établissent quand même une séparation entre les deux sujets. Par exemple, chez Bell, on observe cette tendance dans la phrase « nous voulons croître économiquement. Et le faire sans mettre en péril notre environnement naturel ». Ici, le péril environnemental est évoqué séparément, comme pour marquer qu’il est certes important, mais qu’il vient quand même après la croissance économique. Cet intérêt financier est toujours implicitement présent dans toutes les actions posées par Bell, les rares fois où cet intérêt pourrait ne pas être assouvi relevant

alors des employés qui consacrent personnellement temps et argent à du bénévolat. Dans le message de Kruger, on observe le même phénomène, par exemple, à la fin du message, quand le PDG écrit « [ils] constateront sa détermination à poursuivre sa mission dans le plus grand respect du

développement durable ». Ici on voit que les deux éléments sont bien reliés, mais l’un n’est pas inclus dans l’autre. Quant à RBC, on observe ce positionnement dans l’usage d’un type de langage classique du business et du management (« fonds communs de placement socialement responsables », « produits écologiques pour les consommateurs »), où le PDG associe implicitement le sujet de la responsabilité sociale à celui des affaires de la banque. Par ailleurs, dans le même paragraphe, il écrit « parallèlement, nous avons continué de dégager des rendements solides pour nos actionnaires ». Ainsi il présente implicitement une sorte de distance entre ce qui est relié aux actions de responsabilité sociale et ce qui fait référence à l’activité financière de la banque et à ses bons résultats.

On pourrait donc établir que ce dernier aspect semble être une

caractéristique des entreprises canadiennes par rapport à la responsabilité sociale, mais on ne pourra le constater qu’après avoir fait une comparaison avec les

entreprises chiliennes, car cette similitude pourrait y être aussi observée. Jusqu’ici, on observe donc qu’il existe plus de différences que de

similitudes dans le positionnement de ces entreprises par rapport à la question de leur responsabilité sociale, ce qui nous renvoie à l’idée d’une certaine contingence par rapport à ce sujet. Dans le cas des entreprises canadiennes, on a pu constater

des différences qui ne sont pas attribuables aux différents secteurs productifs, car parfois deux entreprises de secteurs différents se ressemblent selon un aspect mais se distinguent selon un autre. On ne trouve donc pas un modèle de

responsabilité sociale qui pourrait clairement définir les entreprises canadiennes.