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0.2 État des connaissances sur les SPD dans les systèmes d’eau potable

0.2.3 Enlèvement des précurseurs par la chaîne de traitement conventionnelle

0.2.3.1 Coagulation

La coagulation est un procédé utilisé depuis longtemps dans la chaîne de traitement conventionnelle (coagulation – floculation – décantation – filtration – désinfection) pour enlever en particulier la turbidité et la MON. Le rôle de la coagulation est de réduire le potentiel répulsif des particules colloïdales, causé par les charges de surfaces négatives, et ainsi permettre le rapprochement des particules et la formation de particules de plus grandes dimensions. Cela est possible par l’ajout d’un coagulant, i.e. un produit qui, lorsque dissous dans l’eau, possède une charge positive et s’adsorbe sur les particules négativement chargées. L’efficacité de la coagulation dépend du coagulant utilisé, du dosage du coagulant, du pH et de l’alcalinité de l’eau à traiter qui, avec la dose de coagulant et d’autres substances ajoutées, déterminent le pH de coagulation, de la température de l’eau, et de la nature des substances à coaguler.

On distingue trois types de coagulation : de base, optimisée, et améliorée. Les conditions de la coagulation de base permettent l’enlèvement des particules causant la turbidité. La coagulation optimisée réfère à des conditions favorisant l’enlèvement de la MON plutôt que celle de la turbidité. En effet, il a été montré que les conditions qui maximisent l’enlèvement de la turbidité ne sont pas nécessairement celles qui maximisent l’enlèvement de la MON (Matilainen et al., 2010). Enfin, la coagulation améliorée (enhanced coagulation) consiste à ajouter un excès de coagulant par rapport à la coagulation de base et à ajuster le pH de l’eau pour obtenir un enlèvement de la turbidité supérieur à celui obtenu lors de la coagulation de base, simultanément à un enlèvement de la MON (Matilainen et al. 2010; USEPA 1999).

On classe les coagulants en trois catégories. Les sels de métaux inorganiques, principalement les sels d’aluminium et de fer, sont les plus largement utilisés, l’alun (sulfate d’aluminium) étant le plus commun. Ensuite, les polymères inorganiques sont en fait des sels de métaux préhydrolysés et polymérisés, dont les monomères sont formés par les sels inorganiques. Enfin, la dernière catégorie est constituée de polymères organiques, utilisés seuls ou en combinaison avec un sel inorganique. Dans ce dernier cas, le polymère organique joue généralement le rôle d’aide-coagulant.

La mise en solution des sels métalliques implique l’acidification de l’eau. En effet, il se produit alors une hydrolyse du sel métallique et des protons (H+) sont relâchés selon l’équation simplifiée suivante. L’alun est ici

utilisé à titre d’exemple.

0.2 𝑨𝒍𝟐(𝑺𝑶𝟒)𝟑+ 𝟑 𝑯𝟐𝑶 = 𝟐 𝑨𝒍(𝑶𝑯)𝟑+ 𝟑 𝑺𝑶𝟒𝟐−+ 𝟔 𝑯+

De nombreuses espèces chimiques d’aluminium hydrolysé différentes d’Al(OH)3 sont également présentes en

solution selon le pH et la concentration d’aluminium en solution (Baes and Mesmer 1986). Le rôle de ces espèces chimiques dans la coagulation demeure incertain, mais on peut penser que, de manière générale, les espèces polymériques (plus d’un atome d’aluminium) et celles ayant une charge plus élevée favorisent la coagulation de la MON comme des particules.

L’enlèvement de la MON peut se faire en adaptant l’étape de coagulation (coagulant utilisé, ajustement du pH, dosage de coagulant, énergie de brassage, temps de contact) et le reste de la chaîne de traitement conventionnelle (floculation – décantation – filtration) aux conditions particulières de l’eau à traiter (pH, température, turbidité, alcalinité, propriétés de la MON). La première étude s’étant intéressé à la coagulation de la MON dans l’eau potable dans une optique de réduction des précurseurs des SPD (Kavanaugh 1978) survient peu de temps après les découvertes de Rook (1974) et Bellard et al. (1974).

L’étude de cas réalisée par Kavanaugh (1978) a démontré que le pH optimal pour l’enlèvement du COT se situe entre 5 et 6 pour les sels d’aluminium et entre 4 et 5 pour les sels de fer, et que, indépendamment du pH ou de la dose de coagulant utilisé, une portion du COT semble résister à la coagulation, et peut donc mener à la formation de SPD. Semmens et Field (1980) ont obtenu des résultats similaires et ont quantifié à environ 35 à 40 % la MON non coagulable. Krasner et Amy (1995) ont également confirmé ces résultats dans une étude portant sur la capacité des usines existantes à se conformer à la D/DBPR à venir par application de la coagulation améliorée. Les résultats des jar-tests de Krasner et Amy (1995) démontrent également l’impact de l’alcalinité sur la coagulation de la MON. L’alcalinité réduisant la baisse de pH lors de l’ajout d’un acide, elle diminue grandement l’acidification causée par les sels métalliques, et empêche ainsi les eaux dont l’alcalinité est élevée (≥ 135 mg CaCO3/L) d’atteindre un pH optimal de coagulation. L’ajout d’acide pour diminuer le pH

initial peut alors être considéré afin d’atteindre un enlèvement suffisant du COT (Krasner et Amy, 1995). Cet impact de l’alcalinité sur l’enlèvement de la MON par coagulation se reflète d’ailleurs dans la règlementation américaine telle que présentée au tableau 0-4.

Des doses plus élevées de coagulant sont nécessaires pour coaguler les acides fulviques que les acides humiques, étant donné la masse moléculaire plus petite, et la solubilité et la densité de charge plus élevées des acides fulviques. Kavanaugh (1978) rapporte des enlèvements jusqu’à 90 % des acides humiques et

jusqu’à 60 % des acides fulviques lors de jar-tests en laboratoire. Pour obtenir un enlèvement similaire de 80 % pour les acides humiques et fulviques, les acides fulviques requièrent une dose deux fois plus élevée d’alun. Cela implique possiblement que l’enlèvement des acides humiques se fait en partie par les phénomènes de complexation et de déstabilisation, alors que l’enlèvement des acides fulviques résulterait plutôt des phénomènes d’adsorption et d’emprisonnement. Ces phénomènes sont décrits à la fin de la présente section. Ces résultats sont confirmés par Exall et van Loon (2000), qui ont évalué l’enlèvement de substances organiques modèles, soient l’acide salicylique représentant les substances hydrophiles acides de faible masse moléculaire, les acides humiques représentant les substances hydrophobes de masse moléculaire élevée, et l’acide tannique représentant les substances relativement hydrophiles et de masse moléculaire moyenne, avec différents coagulants. Leurs résultats démontrent que l’acide salicylique n’est pas coagulable, peu importe le coagulant et le dosage utilisé. Les acides humiques sont quant à eux facilement coagulables, avec un enlèvement jusqu’à 75 % à des dosages de coagulant de 4 à 5 mg Al/L. Enfin, l’acide tannique est coagulable, quoique pour un enlèvement similaire à celui des acides humiques, une dose plus élevée de coagulant soit nécessaire. Parmi ces expériences, Exall et van Loon (2000) suggèrent également que l’enlèvement de la matière organique se fait d’abord par un processus de neutralisation de charge. En effet, une relation linéaire existe entre la concentration de COD et le dosage de coagulant requis pour obtenir un enlèvement de 50 % du COD, ce qui indique que cet enlèvement requiert une stœchiométrie bien définie (x moles d’Al pour neutraliser la charge de y moles de C), telle que l’exige la neutralisation de charge. Il est cependant permis de penser que cette stœchiométrie pourrait aussi résulter d’autres phénomènes, comme l’adsorption ou la complexation.

Dans une des premières études concernant l’impact de coagulation sur la formation de SPD, Oliver et Lawrence (1979) ont procédé à la chloration de 14 eaux brutes et coagulées ayant des concentrations en COT variant de 1,4 à 11 mg/L. La coagulation des eaux a permis de diminuer la concentration de chloroforme dans ces mêmes conditions d’environ les 2/3 pour la plupart de ces eaux, et davantage pour les eaux dont la concentration en COT était élevée (11 mg C/L, 231 µg/L de chloroforme sans coagulation, 40 µg/L de chloroforme avec coagulation, diminution de 82 %). L’optimisation de la coagulation d’une eau brute a permis de diminuer le COT de 34 %, entraînant toutefois une réduction de la concentration en chloroforme de 61 %. La coagulation semble donc retirer préférentiellement les précurseurs des THM. Cette conclusion est largement appuyée par d’autres études (Babcock and Singer 1979; Beaulieu 2010; Chang et al. 2001; Edzwald et al. 1985; Kavanaugh 1978). Ainsi, pour coaguler de manière optimale la MON et retirer la majorité des précurseurs de SPD présents dans l’eau brute, il importe de choisir adéquatement le coagulant utilisé, le pH de coagulation, et la dose de coagulant utilisé. Pour les sels métalliques à base d’aluminium, des ratios optimaux basés sur le COT ou l’absorbance UV ont été proposés dans la littérature. Des doses de 0,5 à 1,0 mg Al/mg COT (Edzwald 1993; Edzwald and Van

Benschoten 1990), et de 14,3 à 46 mg Al/ cm-1 d’UV254 (Edzwald and Kaminski 2009; Pernitsky and Edzwald

2006) sont considérées comme optimales pour l’enlèvement des précurseurs, la valeur exacte de la dose optimale variant dans ces plages en fonction des caractéristiques physico-chimiques de l’eau à coaguler. Un autre paramètre, le potentiel zeta, peut aussi être utilisé pour optimiser l’enlèvement de la MON par coagulation. Le potentiel zeta est une mesure du phénomène d’électrophorèse, c’est-à-dire du mouvement de particules chargées électriquement dans un liquide auquel est appliqué un champ électrique. Les particules présentes dans les eaux naturelles ayant généralement une charge de surface négative, elles tendent à se déplacer vers l’anode lorsqu’un courant électrique est appliqué dans l’eau.

Plusieurs études (Jefferson et al. 2004; Sharp et al. 2005, 2006a) ont cherché à optimiser la coagulation pour l’enlèvement de la MON en se basant sur la mesure du potentiel zeta. Dans tous les cas, l’optimisation de l’enlèvement de la MON a été possible par la mesure du potentiel zeta. La plage de variation du potentiel zeta permettant de minimiser le COD résiduel était de -10 à +5 mV, et ce de manière reproductible. Jefferson et al. (2004) notent que l’étendue de cette plage est dépendante des propriétés des particules et de la MON contenues dans l’eau brute, de même que du coagulant utilisé, mais qu’elle demeure toujours aux alentours du potentiel zeta nul (0 mV). Sharp et al. (2006) ont aussi confirmé que les acides humiques et fulviques, dont la densité de charge est élevée, ont une influence plus grande sur la coagulation que les molécules hydrophiles neutres ou basiques, dont la densité de charge, et donc le potentiel d’interaction avec les coagulants métalliques, est faible. Ainsi, certaines variations qualitatives de la MON peuvent passer inaperçues si seules les mesures de COT sont utilisées pour la caractériser. Récemment, Sharp et al. (2015) ont d’ailleurs démontré le potentiel d’utilisation d’un analyseur en ligne du potentiel zeta pour l’optimisation en continu de la coagulation.

Quatre phénomènes différents sont considérés comme responsables de l’enlèvement de la MON lors de la coagulation (Matilainen et al. 2010). Le premier phénomène, la complexation, se produit lorsque les ions métalliques formés par dissolution du coagulant et la MON s’agencent par des liens chimiques pour former un précipité insoluble. Le second phénomène, soit la déstabilisation, est celui où les charges de surface négatives de la MON sont neutralisées par les charges positives des ions métalliques. Ceux deux premiers phénomènes font donc intervenir les ions métalliques du coagulant. Les autres phénomènes font plutôt intervenir l’hydroxyde métallique, par exemple l’hydroxyde d’aluminium Al(OH)3 tel que montré à l’équation 0.2, sous sa forme

précipitée. Le phénomène d’adsorption se produit lorsque les molécules de MON s’adsorbent sur l’hydroxyde précipité pour former des particules éventuellement séparables du liquide. Enfin, le dernier phénomène est l’emprisonnement, qui se produit lorsqu’une quantité importante de précipité d’hydroxyde se forme. La MON se trouve alors entourée par ce précipité, et elle sédimente ou est captée par un filtre, emprisonné dans l’hydroxyde. Edwards et Amirtharajah (1985) ont montré que les phénomènes découlant de l’hydroxyde métallique précipité

étaient dominants dans l’enlèvement de la MON à des pH plus élevés que 5,75 et à des doses d’alun d’environ 30 mg/L et plus, alors qu’à des pH entre 4 et 5 à des doses d’alun de 20 mg/L et plus, la neutralisation de charge était le phénomène dominant.