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Chapitre 2. Les fonctions socio-affectives de l’interaction en phonostylistique

II. Emotions et attitudes

Dans la littérature, nous avons été confrontés à une confusion des termes émotion et

d’essayer de les distinguer. Nous nous limiterons à une observation globale des hypothèses existantes sur les notions d’émotion et d’attitude.

1. Emotion

Il existe quatre grandes théories [Cornelius, 2000] qui tentent de définir les émo- tions de manière scientifique et qui représentent l’émotion selon plusieurs perspectives différentes : évolutionniste, physiologique, cognitive et constructiviste.

La première approche est l’approche néo-darwinienne qui est créée par les adhé- rents de la théorie de l’émotion développée par Darwin. Dans son ouvrage « The Expres- sion of Emotion in Man and Animals » de 1872, Darwin soutient la thèse que les émotions sont un phénomène impliqué dans la survie des gens comme une espèce. Les néo- darwiniens développent un ensemble d’émotions qu’ils présentent comme des émotions « fondamentales », « basiques » ou « primaires ». Néanmoins, le nombre de ces émotions varie d’un auteur à l’autre. Quoi qu’il en soit, cet ensemble d’émotions est considéré comme fondamental, parce que toutes les autres émotions sont dérivées à partir de ces émotions primaires [Cornelius, 2000]. Un des adhérents les plus connus de cette théorie est Ekman qui développe avec Friesen en 1978 le système FACS (« Facial Action Coding System ») permettant la reconnaissance de l’émotion en se basant seulement sur les mou- vements des muscles faciaux.

La perspective physiologique est développée par William James [cité par Cornelius, 2000] pour lequel l’émotion se restreint à un changement physiologique chez celui qui l’éprouve. Darwin s’intéresse à l’expression de l’émotion, alors que James adapte une vi- sion orientée vers l’expérience de l’émotion. Selon James, il est impossible d’éprouver une émotion sans avoir un changement physiologique et ce changement physiologique apparait en premier [Cornelius, 2000]. Selon James [1884], « we feel sorry because we cry, angry because we strike, afraid because we tremble and not we cry, strike, or tremble, because we are sorry, angry, or fearful ». L’action est donc considérée comme la source du ressenti que les humains appellent par le terme « émotion » [Cornelius, 2000].

L’hypothèse principale de la théorie cognitive est que l’émotion et la pensée sont inséparables. Le point important est ce qu’Arnold (1960) appelle « appraisal » qui est un processus direct, immédiat et automatique par lequel les événements de l’environnement sont jugés comme étant bons ou néfastes à partir de la perception que l’on en a de ces évé- nements [Scherer & al., 2001]. Selon cette théorie chaque émotion est associée à différents types d’ « appraisal ». Ces types sont le lien entre les caractéristiques de la personne ou de

l’organisme (son histoire, son tempérament, sa personnalité, son état physiologique) et les caractéristiques de la situation dans laquelle la personne ou l’organisme se trouve [Corne- lius, 2000].

Dans le constructivisme social, l’émotion est vue comme un produit culturel qui doit son sens et sa cohérence à l’apprentissage des règles sociales par l’individu [Cornelius, 2000]. Selon le constructiviste Averill (1980) « emotions are not just remnants of our phy- logenetic past, nor can they be explained in strictly physiological terms. Rather, they are social constructions, and they can be fully understood only on a social level of analysis » [cité par Cornelius, 2000]. Les émotions reposent donc sur des standards de comporte- ments dans la société et la culture sociale joue un rôle important dans le ressenti des diffé- rentes émotions.

2. Attitude

Le sujet des attitudes est un sujet très vaste évoqué dans plusieurs domaines scienti- fiques comme la psychologie, la sociologie, la pragmatique, la neuroscience et depuis quelques années la robotique. La première définition du terme attitude est donnée en 1935 par Allport pour lequel une attitude se restreint à la psychologie et représente « a mental and neural state of readiness, organized through experience, exerting a directive and dyna- mic influence upon the individual’s response to all objects and situations with which it is related » [cité par Schwarz & Bohner, 2001 ; Mac, 2012]. Dans cette première définition, les attitudes sont considérées comme des prédispositions à agir. Pendant les années la défi- nition du terme subit des modifications considérables. Seulement quelques années après la définition fournie par Allport, Krech et Crutchfield (1948) donnent au terme la définition suivante : « an attitude can be defined as an enduring organization of motivational, emo- tional, perceptual, and cognitive processes with respect to some aspect of the individual’s world » [cité par Schwarz & Bohner, 2001]. Cette dernière définition place l’attitude comme un aspect de la perception, parce qu’il est défini que l’attitude permet de mettre en place des processus chez l’homme par rapport à une entité du monde de l’individu. Cer- tains sociologues et psychologues définissent l’attitude comme une probabilité que la per- sonne ait un certain comportement par rapport à une situation donnée [Schwarz & Bohner, 2001]. Avec son évolution au cours des décennies, les définitions se simplifient à tel point que Bem [1970, cité par Schwarz & Bohner, 2001], affirme que « the attitudes are likes and dislikes » et Eagly et Chaiken (1993) comparent les attitudes à une évolution avec un

degré de faveur ou défaveur. Il peut être remarqué que les dernières définitions font une analogie entre l’attitude et le jugement envers une entité.

De manière traditionnelle, les psychosociologues ont décrit trois composantes de l’attitude [Godefroid, 2008 ; Mac, 2012] : cognitive, affective et conative.

 Composante cognitive de l’attitude concerne les connaissances, les opinions et les croyances qu’une personne a sur un objet ou sur le monde. Cette composante est re- liée avec la capacité évaluative des personnes par rapport aux caractéristiques d’un objet. La composante cognitive est la faculté individuelle de considérer un fait ou un objet comme étant vrai ou vraisemblable.

 Composante affective de l’attitude concerne les sentiments positifs ou négatifs por- tés sur un objet et l’intensité de cette évaluation bipolaire.

 Composante conative de l’attitude représente les comportements que la personne a par rapport à l’objet, c’est-à-dire les réactions face à l’objet par rapport à la croyance que la personne possède.

Les attitudes sont un concept important de la vie humaine, parce qu’elles sont liées aux processus cognitifs de la personne et peuvent même avoir une influence sur le compor- tement de la personne [Petty & Cacioppo, 1996]. Petty et Cacioppo [1996] affirment que les attitudes d’une personne améliorent l’interaction entre les humains, parce que la con- naissance des attitudes de l’autrui permet au locuteur de mieux s’adapter à son interlocu- teur et même de prédire ses comportements. Le fait de montrer ses attitudes dépend donc de la situation et du degré de familiarité entre les deux personnes.

3. Distinction entre émotion et attitude

Les affects exprimés durant une communication interactive impliquent deux ni- veaux différents de processus cognitif [Scherer 2007]. Aubergé [2002b] dénote que selon la nature du contrôle que le locuteur a sur son expressivité, l’expression attitudinale peut être distinguée en l’expression involontairement contrôlée d’affects (les émotions) et en l’expression intentionnellement contrôlée transmise au travers de la prosodie (les affects sociaux ou attitudes) [Lu, Aubergé & Rilliard, 2012].

Les émotions, telles que la joie, la tristesse, la colère, etc., sont déclenchées donc par des processus de contrôle involontaire. Selon Scherer et Ellgring [2007], les émotions se produisent de manière spontanée, parce qu’elles sont souvent provoquées par des évé- nements soudains dans les interactions humaines et l’expression de ces émotions est mul- timodale, parce qu’elle est rendue visible par la voix, l’expression faciale et le corps (par

les gestes). Les émotions sont innées et leur existence ne semble avoir aucune dépendance de la langue et la culture de la personne. Suite à un événement dans l’interaction sociale, la personne ne peut pas s’empêcher de ressentir des émotions, mais elle a un contrôle sur le fait de montrer ou pas son ressenti. Ce contrôle repose sur les effets « push » et « pull » développés par Scherer [1984]. L’effet « push » fait référence aux réactions directes des changements physiologiques, alors que l’effet « pull » est le fait de contrôler et de régler son comportement en ne pas le démontrant ou bien en le démontrant de manière volontaire et intentionnelle. Les études sur les émotions sont nombreuses et elles sont le plus souvent basées sur la reconnaissance de l’émotion à travers des caractéristiques vocales et faciales. Néanmoins, ces études sont dans leur plus grande partie basées sur la perception d’émotions actées [Scherer & Ellgring, 2007].

Les attitudes, ou encore les affects sociaux, telles que l’ironie, le doute, la politesse, l’irritation sont intentionnelles et sont déclenchées par un contrôle volontaire et organisé dans le temps cognitif du langage [Mac, 2012 ; Aubergé 2002b]. Les attitudes sont hypo- thétiques, parce qu’elles ne peuvent pas être observées directement. Les attitudes consis- tent à attribuer un point de vue sur les objets ou les concepts du monde. Si une attitude n’est pas exprimée, alors cela est dû au fait que le locuteur ne veut pas afficher l’attitude particulière dans son discours [Aubergé, 2002b ; Mac, 2012]. Mac [2012] souligne que « les attitudes sont des codes, construits et acquis dans la dynamique du langage et de ses réalités socioculturelles. Ainsi, elles sont dépendantes de la langue et de la culture, et peu- vent leur être spécifiques, dans leurs concepts comme dans leurs réalisations proso- diques. » Les attitudes non seulement dépendent de la culture des personnes, mais l’émission ou la perception des attitudes par les personnes sont différentes d’une culture à l’autre [Mac & al., 2010]. Comme toute convention culturelle, les attitudes sont apprises dès l’enfance pour les natifs et dès le début de l’apprentissage d’une seconde langue pour les non-natifs d’une langue donnée. Empiriquement, l’évaluation des attitudes est très for- tement dépendante du contexte, de l’environnement et du moment de l’évaluation [Schwarz & Bohner, 2001].

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