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Emmanuel Trigo, professeur des écoles, secrétaire départemental de la FSU dans le Var

Affirmer que tous les élèves sont capables reste un combat en 2019. Cependant, l'idée selon laquelle tous n'arriveront pas au même endroit, mais qu'ils ont des potentialités immenses souvent inemployées et que notre responsabilité est d'emmener chaque élève le plus loin possible, me semble largement parta-gée dans la profession.

J'envisage la problématique de l'égalité de l'accès au savoir sur trois niveaux. Le premier relève des contenus, de ce que la République décide d'apporter à sa jeunesse. Et en ce sens la question des programmes est primordiale. Des programmes ambitieux pour toutes et tous, à l'opposé du « lire, écrire, compter » qui laisse sur le bord de la route des familles pour lesquelles l'accès à la culture s'arrête parfois aux portes de l'école. C'est une question éminemment politique. Et pourtant nous gardons en tête un ministre qui expliquait à qui voulait l'entendre que l'on n'avait pas besoin d'un bac +5 pour changer des couches en maternelle  :  au-delà du choc, c'est surtout la méconnaissance et le mépris pour l'école maternelle qui a frappé les esprits. L'école maternelle est une vraie école, un lieu d'apprentissages indispensable.

Puis vient la question de la mise en œuvre de ces programmes, des apprentissages, avec ce que l'on a déjà abordé au sujet de la forma-tion, des moyens et des conditions de travail et de scolarisation. Il me semble important d'insister sur la question de la formation des personnels. Car on peut étendre la logique de naturalisation aux adultes et aux enseignants.

Il y aurait celles et ceux qui auraient « la voca-tion », qui seraient « faits pour enseigner », et les autres... Au bout de ce raisonnement, il y a le déni de la professionnalité : enseigner est un vrai métier, un métier qui s'apprend, avec des gestes professionnels spécifiques, parfois différents selon les postes occupés. Un métier

exercé par des concepteurs et non des exécu-tants sommés de mettre en œuvre des tâches préconçues ailleurs et par d'autres pour des élèves virtuels. Aujourd'hui, des personnels sont recrutés sans aucune formation, via Pôle emploi, pour prendre en charge des classes plusieurs semaines ou plusieurs mois faute de moyens suffisants. Comment concevoir son activité dans de telles conditions ?

Enfin se pose la question du réinvestissement de ses savoirs. Des savoirs conçus comme des moyens et pas comme de simples outils.

De l'utilisation que l'on va pouvoir faire en dehors de l’École pour comprendre et agir sur le réel. A ce niveau-là, l’École atteint ses limites et pourtant c'est un échelon primordial de la lutte contre les déterminismes sociaux.

D'autres structures doivent prendre le relais et contribuer à donner du sens.

CR : L’analyse de la politique ministérielle, de la maternelle à l’université est nécessaire mais manifestement insuffisante pour mobiliser.

Sur quelles priorités, sur quelles propositions concrètes engager de réelles alternatives ? E. Trigo : Nous avons un double défi : idéo-logique et budgétaire. Les connaissances sont au cœur d'une contradiction structurante du capitalisme contemporain. Le besoin d’une main-d'œuvre de plus en plus formée entre en contradiction avec la volonté de réduire le coût de cette main-d'œuvre (formation, salaires…) et de ne pas lui donner le pouvoir qui va avec la maîtrise des savoirs.

La question des programmes est centrale car c'est ce qui devrait déterminer l'organisation du temps scolaire et ce que la nation va enga-ger en terme de moyens. Or, trop souvent, les

programmes sont manipulés et malmenés au gré des réformes. Ceux de 2002 et leurs docu-ments d'accompagnement avaient été plutôt bien perçus. Pourtant, ils n'ont cessé d'évoluer.

Nous avons eu du mal par moment à savoir qui était chargé de leur rédaction. Ils ont même été modifiés parfois sans que les enseignants n'en aient été informés comme ce fut le cas en maternelle.

L'épisode de la prétendue réforme des rythmes scolaires a parfaitement illustré l'inverse de mon propos : l’état a défini un nouveau cadre horaire comme préalable (pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'efficacité pédagogique) puis a dû modifier les programmes pour les adapter aux nouveaux horaires.

Construire une alternative, c'est donc être exi-geant sur les contenus. Et maintenir la même exigence sur la qualification et la formation des personnels.

Se pose aussi la question des relations entre l’école et les familles. C'est un facteur impor-tant dans la réussite scolaire et il ne faut pas le négliger. Si des projets locaux sont remar-quables, il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Il est nécessaire de faire en sorte que l’école soit celle de toutes et tous, pas uniquement celle des classes les plus cultivées qui détiennent un capital culturel dont elles entendent parfois garder l'exclusivité.

Enfin, la question des moyens engagés reste centrale. Il serait temps de joindre les forces de toutes celles et tous ceux qui se battent pour que la République joue pleinement son rôle dans l’émancipation de sa jeunesse.

Entretien avec Emmanuel Trigo, professeur des écoles, secrétaire départemental de la FSU dans le Var.

© Pavan Trikutam

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Proposé par Françoise Chardin

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