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Egocentré ou Allocentré : quel est le référentiel principal d’encodage ?

1. Introduction théorique

1.7. Egocentré ou Allocentré : quel est le référentiel principal d’encodage ?

la littérature ne s’accorde pas sur la nature des encodages égocentrés et allocentrés (Simonnet, Villedent, & Tisseau, 2013) et ces natures d’encodage différentes apportent des questions essentielles sur la forme de nos représentations mentales.

Selon Simonet et al. (2013), les actions de l’individu participent à l’intégration de repères égocentrés alors que les caractéristiques géométriques propres aux configurations favorisent l’intériorisation de références externes. Par exemple, grand-maman Takács se promène dans la maison. Elle sait que la douche se trouve derrière la porte bleue car elle a souvent ouvert cette porte. En parallèle, elle sait que la douche est dans la pièce adjacente à la cuisine. En effet, le mur commun entre la salle de bain et la cuisine est de la même longueur.

De plus, grand-maman Takács identifie la salle de bain comme un rectangle. Cette connaissance dans un référentiel allocentré permet une structuration euclidienne des caractéristiques de l’environnement3.

2 Une cellule de lieu est une cellule qui décharge en un lieu précis dans un environnement donné et qui ne décharge presque pas ailleurs.

3 La géométrie euclidienne traite du plan et de l’espace grâce, par exemple, aux droites, aux angles, aux cercles.

Elle se base sur des principes dictés par Euclide.

14 En toute logique, le référentiel égocentré dépend de la position et de l’orientation du sujet. Le corps du sujet et la direction de son regard définissent l’axe de référence de toute mesure de distance ou de rotation (Simonet et al., 2012). Ainsi, ce type de référentiel permet d’encoder en mémoire uniquement les relations sujets-objets, car la référence pour mémoriser est le point de vue du sujet. Pour rappel, le référentiel allocentré est quant à lui indépendant du point de vue du sujet et peut donc encoder en mémoire des relations de type objet-objet car il n’y a pas d’axe d’origine qui définit le point de vue. L’axe est établi arbitrairement.

Sans nous étendre sur ce sujet, précisons que des neurones réagissent à la position des individus dans l’espace (cellule de lieu, cellule de direction de la tête4). Cependant, au niveau neuronal, il est difficile de dissocier le référentiel allocentré du référentiel égocentré (Galati, Pelle, Berthoz, & Committeri, 2010). Ceci illustre l’imbrication de ces deux référentiels et l’on comprend mieux le débat lancé par Wang et Spelke en 2002 sur l’existence du référentiel allocentré. Pour expliquer leur théorie sur l’absence de référentiel allocentré, ces auteurs ont effectué un certain nombre d’observations. Nous nous intéresserons et nous décrirons la première observation qu’elles ont effectuée et qui concerne l’expérience, désormais fameuse, de Wang et Simons (1999).

Dans cette étude, les participants sont assis face à une paroi qui comporte deux fenêtres et derrière laquelle se trouve une table couverte de 5 objets. Pendant 3 secondes, les participants observent les objets à travers la première fenêtre. Puis des rideaux sont baissés sur les fenêtres pendant 7 secondes. Pendant ce temps, des objets de la table sont déplacés. Le but de l’étude est l’analyse de l’emplacement des objets par les participants.

Il existe différentes conditions expérimentales. Dans la première condition, le participant et la table restent immobiles. Dans la seconde, le participant reste immobile et ce dernier voit bouger la table de 40°. Dans la troisième, le participant se déplace à la seconde fenêtre (située à 40° de l’emplacement de base) et la table tourne aussi de 40°. Et dans la quatrième condition, le participant se déplace de 40° et la table, elle, ne bouge pas. Pour résumer, dans les conditions 1 et 3 le point de vue sur les objets est le même alors que dans les conditions 2 et 4 le point de vue sur les objets est décalé de 40°. Les résultats montrent que les participants ont de meilleures performances lorsque la table ne bouge pas, même si le participant sait que la table a bougé. Le déplacement du participant ne porte donc pas

4 Une cellule dite de direction de la tête décharge lorsque la tête de l’animal ou de l’humain est orientée dans une direction spécifique.

15 préjudice aux capacités de répondre correctement. Dans une version modifiée de cette expérience, les participants tournent eux-mêmes la table de 40° grâce à un levier solidaire de la table. Ils sont actifs dans le geste. Mais leurs performances sont égales à celles où ils restent assis à l’emplacement de base sans être actifs dans la rotation de la table. La capacité à mettre à jour la scène visuelle dépend alors du mouvement de déplacement et ne concerne pas uniquement le fait de prendre part à l’action. Ainsi, l’activité du sujet est un point central dans le type de référentiel utilisé. Comme vu dans l’expérience de Wang et Simons (1999), le mouvement de déplacement semble actualiser automatiquement le point de vue du sujet. C’est pour cette raison que Monsieur Takács n’est pas surpris de retrouver la mer au détour d’une ruelle. Son point de vue est mis à jour automatiquement lors de ses mouvements.

Un autre élément, permettant de douter du référentiel allocentré, est l’expérience de Wang et Spelke (2000) sur la désorientation. Cette étude montre que, s’il existait un référentiel allocentré, les participants se verraient moins désorientés en utilisant la géométrie de l’environnement pour se réorienter. Pour Wang et Spelke, un pur référentiel égocentré suffirait à construire notre environnement mental.

En opposition à la théorie de Wang et Spelke, Burgess, Trinkler, Kennedy et Cipolotti (2006) nient cette conception pro-égocentrée et discutent en faveur d’un référentiel allocentré.

Ils argumentent en précisant qu’à mesure que la représentation spatiale augmente, il devient impossible de tout ramener au corps propre et d’actualiser toutes les connaissances d’un lieu en fonction d’un simple déplacement de l’individu. Par exemple, si Monsieur Takács veut prendre un raccourci, il devient logique qu’il puisse utiliser une représentation n’engageant pas une remise à jour de toute l’île en fonction de chacun de ses pas. Il est évident que les deux référentiels spatiaux coexistent et différents paramètres permettent leur coordination (Simonet et al., 2012).

De nombreux autres débats animent cette question de la coordination des référentiels.

Certains auteurs sont partisans de la prédominance de l’activité sensorimotrice du sujet alors que d’autres prônent la suprématie des caractères géométriques de l’environnement pour coordonner les référentiels spatiaux et encoder les informations spatiales.

Les mouvements de l’individu permettent la création d’un référentiel égocentré mais le débat est subtil. En effet, selon le type de tâche proposé aux participants, l’encodage peut être directement allocentré. Mou, Mc Namara, Rump et Xiao (2006) ont tenté de définir quel type de référentiel spatial était utilisé pour mémoriser l’emplacement d’objets. Ils ont découvert

16 que si la composition des objets permettait d’extraire une forme géométrique, l’encodage se faisait de manière allocentrée alors que si les objets étaient placés au hasard, sans qu’aucune figure géométrique ne puisse en être extraite, l’encodage se réalisait de manière égocentrée.

Pour preuve, des participants désorientés effectuaient de bons résultats lorsque la composition d’objets était non géométrique et l’encodage associé égocentré.

Ainsi, pouvoir dégager un axe intrinsèque à une configuration permettrait un encodage allocentré. Par exemple, reconnaître un triangle dans des objets placé sur une table, conduirait à une représentation allocentrée. Une représentation égocentrée, quant à elle, serait temporaire et actualisée automatiquement (Simonet et al., 2012). Cependant, l’importance de l’axe intrinsèque de référence à une configuration ne provoque pas l’unanimité des chercheurs.

En résumé, le modèle proposé par Wang et Spelke en 2002 qui soutient l’idée d’un cadre de référence égocentré pour la mémorisation d’emplacement d’objets parait aujourd’hui être désuet. En effet, il semble plus cohérent de considérer un modèle à deux systèmes dans lequel les représentations égocentrées et allocentrées existent en parallèle.

L’utilisation de tel ou tel référentiel semble dépendre de nombreux éléments comme la taille et la structure de l’environnement ainsi que la familiarité de cet environnement (Nguyen, 2013).

Rappelons au passage cette figure de style : une représentation allocentrée est une mise en abyme. Prenons l’exemple de la boîte de fromage « la vache qui rit » pour mieux illustrer cette idée. Sur cette boîte de fromage est representée une vache souriante dont les boucles d’oreilles sont des boîtes de « la vache qui rit » sur lesquelles on observe la vache elle-même qui porte comme boucles d’oreilles des boîtes de « la vache qui rit » et cetera (cf. Annexe 4).

S’il n’y a pas de boîte de « la vache qui rit » sur la table de la cuisine et si cette boîte n’est pas tournée de manière à ce que l’image soit vue, il n’y a pas de mise en abyme. Une représentation allocentrée peut être saisie de la même façon. Car, comme le soulignent très justement Galati, Pelle, Berthoz et Committeri (2010), une représentation allocentrée est dépendante de la position et de la direction de l’observateur. En effet, les cellules de lieu et de direction de la tête déchargent selon la position et l’orientation de l’animal ou de l’humain.

Ainsi, selon la position de l’homme, ces cellules déchargent car leurs champs récepteurs sont fixés dans l’environnement extérieur à lui. Ces cellules sont considérées comme appartenant au référentiel allocentré et ce référentiel allocentré est logiquement lié à la position de l’individu, car c’est cette même position qui permet la déchage des cellules de lieu. Lorsque

17 nous faisons appel à nos cartes cognitives notre situation dans l’espace a son importance.

Madame Takács situe plus facilement l’épicerie de l’île de Lanzarote lorsqu’elle se trouve sur l’île que lorsqu’elle en parlera à ses amies de retour à Lausanne.

Notre situation géographique influence le traitement de nos cartes cognitives, mais qu’en est-il de notre position posturale ? Cette question orientera la seconde partie de cette introduction.

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