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L’efficience a ceci de spécifique par rapport à l’efficacité qu’elle veille à la proportionnalité des moyens employés à l’égard des fins, contrairement à l’efficacité qui ne juge que du résultat escompté, atteint ou non. Cette remarque n’est pas académique. Elle a pour but de signaler d’emblée qu’il faut tenir compte de la nature et des ressources du programme, et de l’évolution de l’environnement dans lequel IADU se déploie. Quant à la nature, nous devons nous interroger sur l’efficience en relation avec son statut de programme d’accompagnement de l’émergence artistique. Cette qualité implique une prise de risque qui est évidemment bien plus élevée que celle d’un pro- grammateur. En outre, cela implique d’avoir une vision élargie de l’efficience, non pas seulement tendue vers la réussite d’un par- cours de chorégraphe professionnel, mais également attentive aux sorties de piste qui ont leur part de bénéfice pour l’intéressé. Quant aux ressources, nous devons limiter les ambitions que l’on voudrait prêter à tout dispositif de ce genre, en fonction des moyens dont dispose effectivement le programme, à la fois en

termes de ressources économiques et en ressources humaines. Quant à l’environnement, l’efficience d’un accompagnement de l’émergence chorégraphique doit être interrogée en tenant compte de l’évolution du paysage de la danse, des réalités ins- titutionnelles, mais aussi des changements qui affectent ces « jeunes chorégraphes », leurs qualités, leurs besoins, les sociabi- lités qui sont les leurs. En 18 ans, IADU a certes tourné autour des mêmes instruments, mais ne les a mis en œuvre ni de la même manière ni avec la même intensité, auprès de bénéficiaires qui ne sont plus, aujourd’hui, les mêmes qu’hier.

Nous allons ici mentionner, en guise de synthèse des constats que nous avons pu faire, trois principaux indicateurs (qualitatifs) de l’efficience de IADU, deux domaines plus problématiques et une perspective à discuter.

Le premier indicateur a trait à la capacité de médiation que IADU représente, auprès de chorégraphes émergents, entre : — l’ensemble des aspects du métier en gestation (structuration technique, organisation matérielle, écriture chorégraphique, ressources humaines, etc.)

— les différents acteurs de la diffusion des artistes, au sens large (des battles aux réseaux régionaux ; des programmateurs en labels aux événements intermédiaires entre amateurs et professionnels)

— les différentes logiques d’action d’une compagnie de hip- hop, dont elle peut attendre des ressources (coproduction, résidences, enseignement, diffusion)

Cette capacité de médiation personnalisée fait de IADU un carrefour, un « activateur de réseaux », ainsi que le définit un conseiller pour la danse de l’Office national de diffusion artis- tique. Son efficience à ce titre est d’autant plus marquée que IADU est à peu près le seul acteur du milieu de la danse, en hip- hop à occuper ce créneau.

Le deuxième indicateur d’efficience est le rôle plus ou moins assimilable à un label que représente désormais IADU dans le secteur de la danse. Sans doute ne s’agit-il pas de tout le sec- teur, mais du moins de ceux qui, quelles que soient leurs moti- vations, s’intéressent au hip-hop. Cette fonction est peut-être paradoxale car il est rare de parler de label dans un domaine d’émergence. Mais elle se soutient par deux constats. Le pre- mier est qu’un tel label prémunit d’un risque déjà relevé : celui que la reconnaissance institutionnelle du hip-hop ait pour effet paradoxal de resserrer la diffusion de cette danse autour des labels d’excellence. Le second, c’est qu’en dépit de cette recon- naissance, l’expertise (et donc la capacité de repérage artistique dans une offre croissante mais très diverse) reste très limitée en nombre et en présence géographique. Enfin, l’effet de label

153 — La nouvelle scène hip-hop 152 — Trajectoires de danseurs hip-hop

s’incarne concrètement par l’importance que revêt, pour les artistes, la coproduction qu’accorde IADU aux projets, et qui a un effet de levier sur d’autres soutiens possibles, même si cela n’est pas toujours le cas.

Le troisième indicateur d’efficience est l’accroissement des capa- cités des personnes bénéficiaires, dans leur parcours humain et artistique. Ici, on voudrait indiquer que l’une des efficiences du programme peut aussi être de produire un effet de réel pour des apprentis artistes qui, confrontés à l’ensemble des exigences qu’implique le métier, réalisent que tel n’est ni leur vœu ni leur destin. La sortie de piste assumée, c’est aussi l’un des effets du regard expert qui se pose sur un projet, sous bénéfice d’inven- taire après échange et accompagnement. Le développement des capacités se fait aussi par réorientation, aussi bien dans le milieu de la danse qu’en dehors. Pour les parcours de la réussite artistique, ce développement des capacités prend un sens plus classique : aide à la production, à la diffusion par le biais des réseaux que peut activer IADU, renforcement des compétences via la formation. La limite de cette efficience, toujours délicate à évaluer car les perceptions d’une même relation peuvent être contradictoires, c’est l’ingérence dans le propos artistique lui- même. Au vu de la diversité des projets soutenus au long de son existence, il n’est pas évident de parler d’un « style IADU ». Il y a une focalisation sur l’écriture, la dramaturgie, le dévelop- pement de la perspective chorégraphique. Mais ce n’est pas un style. C’est une politique.

Le premier problème d’efficience se trouve dans la contra- diction qui existe entre un programme à visée nationale et sa centralisation parisienne et francilienne, qui atteint au cours des dernières années environ 80 % des artistes soutenus. On peut discuter des mérites respectifs des scènes franciliennes et des autres régions françaises. Le centralisme esthétique se retrouve, parfois encore plus marqué, dans d’autres domaines. Mais s’agissant de l’accompagnement de l’émergence, il y a là, nous semble-t-il, un problème d’efficience différentielle. D’une certaine façon, alors qu’en termes d’esthétique, IADU remplit bien son rôle de promotion d’un mouvement défavorisé (le hip- hop dans le concert de la danse actuelle), il le remplit mal en termes de rayonnement territorial. C’est la limite à la capacité de démultiplication de la désormais « conseillère » IADU. C’est pourquoi nous proposons de discuter sur l’unicité du conseil, et non pas de sa personne ou de sa personnalisation.

Le second problème d’efficience affleure dès lors qu’il est ques- tion de l’éventuelle partialité du jugement, esthétique ou non, qui touche aux projets. La personnalisation du dispositif d’ac- compagnement ne touche pas que les limites humaines des

conditions de travail, dont nous avons cependant parlé. Elle touche à l’absence de recours en cas de doute, quelle qu’en soit l’origine. Dans la mesure où IADU engage une évaluation du travail artistique, dont on sait le caractère toujours discu- table, il serait logique que l’unicité du conseil soit questionnée. Si l’on fait une comparaison avec le programme Les Nouveaux Commanditaires, on peut considérer que s’y allient la respon- sabilité individuelle du médiateur ou de la médiatrice sur projet avec une certaine collégialité, qui peut permettre de desserrer l’étau, ou le poids de l’individualisation des décisions. Il s’agit, en quelque sorte, de voir si le bénéfice tiré du personnalisme de IADU ne gagnerait pas à être développé à plusieurs, sans pour autant « tomber » dans la comitologie.

Enfin, en confrontant ce quenous avons appris des nouvelles générations de danseurs à ce que nous savons des instruments d’accompagnement IADU, on peut constater un risque de désar- ticulation. D’un côté en effet, nous avons à plusieurs reprises distingué les générations de danseurs et chorégraphes, en iden- tifiant la jeune génération comme un ensemble de personnes à la fois plus individualistes, touche-à-tout, prêtes à saisir toutes les opportunités de revenus (y compris dans le show business), sans forcément être en mesure de cadrer cet ensemble au sein d’un projet cohérent. Le risque d’échec n’est donc pas tant lié à la qualité intrinsèque des projets qu’à leur défaut de structu- ration. Face à cela, la réponse de IADU est à la fois diversifiée, mais moins articulée qu’elle pourrait l’être, et c’est significati- vement le cas sur l’enjeu majeur de la formation. Cette question touche autant au modèle économique en général qu’à l’appren- tissage en particulier.

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CONCLUSION

Au terme de cette recherche sur la nouvelle scène hip-hop,