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CHAPITRE 1 - L’AMORÇAGE : D’UN PARADIGME ISSU DE LA PSYCHOLOGIE

1.1. L’amorçage

1.1.5. Effets d’amorçage : des explications théoriques controversées

Effets d’amorçage et performances aux tests indirects. L’explication des effets

d’amorçage donne encore lieu à des controverses et fait l’objet d’un débat théorique

concernant la nature des informations impliquées en mémoire (Tenpenny, 1995). La question

est en fait de savoir si les effets d’amorçage seraient médiés par des représentations abstraites

(e.g. des unités pré-lexicales et/ou lexicales), des représentations épisodiques (e.g. des traces),

ou par les deux à la fois.

Pendant près de vingt ans, la théorie de la diffusion de l’activation Collins et Loftus (1975)

(traduit de « spreading activation theory ») a dominé la psychologie cognitive, en tant que

métaphore permettant de comprendre les processus de récupération de l’information en

mémoire. Cette théorie postule que l’activation engendrée par la perception d’une amorce

diffuserait ensuite graduellement au travers d’un réseau de concepts interconnectés en

mémoire à long terme. Les concepts liés à l’amorce seraient ainsi plus activés que des

concepts non liés (Figure 2).

Figure 2. Représentation schématique illustrant la théorie de l’activation (Collins & Loftus, 1975). Les

flèches rouges représentent la diffusion de l’activation d’une représentation mentale à une autre, en

mémoire à long terme.

Théorie de la diffusion de l’activation

C’est seulement autour des années 1990 que d’autres théories visant à expliquer les effets

d’amorçage ont été proposées. D’autres modèles d’activation ont ainsi vu le jour. Ces

modèles restent en faveur de l’idée que les effets d’amorçage seraient médiés par des

représentations abstraites, mais diffèrent au niveau de la conception des représentations

mnésiques impliquées. Dans la théorie de la diffusion de l’activation (Collins et Loftus, 1975),

les représentations étaient considérée comme préexistantes. Dans la théorie de la mémoire

distribuée, proposée en 1995 par Masson, les représentations sont plutôt envisagées comme

émergentes : l’amorce ferait émerger un patron d’activation, qui serait ensuite comparé au

patron que la cible fait émerger. Un recouvrement des partons d’activation serait à l’origine

d’une facilitation amorce-cible dans le cas où amorce et cible sont liées (Figure 3). Ces

modèles se rejoignent néanmoins sur l’idée commune que l’amorce augmenterait

temporairement l’accessibilité de représentations mentales associées en mémoire à long terme.

Ces représentations abstraites étant ainsi rendues saillantes, le traitement d’une cible liée à

l’amorce s’en trouverait facilité.

Figure 3. Représentation schématique illustrant la théorie de la mémoire distribuée (Masson, 1995).

Les cercles représentent les patrons d’activations que font émerger l’amorce et la cible présentées, en

mémoire à long terme.

Théorie de la mémoire distribuée

La théorie de l’indice composite (traduit de “compound cue theory”) est en faveur de l’idée

que les effets d’amorçage seraient médiés par des représentations épisodiques (Ratcliff &

McKoon, 1988). Elle postule que l’amorce et la cible se joindraient en mémoire à court terme

pour former un « indice composite ». Cet indice serait ensuite comparé aux informations en

mémoire à long terme, via un traitement passif et global. Selon Ratcliff et McKoon, il

résulterait de ce traitement une « valeur de familiarité » de l’indice composite. Plus l’amorce

et la cible sont liées, plus grande sera cette valeur de familiarité et meilleure sera la

performance d’un individu vis-à-vis de cette cible (Figure 4).

Figure 4. Représentation schématique illustrant la théorie de l’indice composite (Ratcliff & McKoon,

1988). Dans le cas 1., l’amorce et la cible ne sont pas liées. Dans le cas 2., l’amorce et la cible sont

liées.

Théorie de l’indice composite

Finalement, ces différentes approches ne sont pas incompatibles et leur pertinence varierait

selon la nature des stimulations considérées. Quelle que soit la façon de conceptualiser la

mémoire, avec une vision très classique (e.g., Anderson, 1983 ; Tulving & Schacter 1990) ou

avec une vision beaucoup plus dynamique (e.g. Versace, Labeye, Badard & Rose, 2009), on

peut tout de même tirer une conclusion générale : les processus mis en jeu dans un amorçage

reposeraient sur l’activation de réseaux de neurones. Cette activation entrainerait une

facilitation du traitement d’une cible sémantiquement, conceptuellement et/ou perceptivement

liée à l’amorce. Ceci conduirait alors à de meilleures performances de réponse pour ces cibles

lors d’un test indirect.

Effets d’amorçage et comportement. Comme le soulève Bargh (2006), étant issu des

sciences cognitives classiques, l’amorçage a surtout été utilisé dans ce domaine pour explorer

l’organisation de la mémoire, ceci avec beaucoup de succès, mais initialement sans présenter

de composante comportementale évidente. On peut donc se poser la question de savoir

comment appréhender de manière pertinente les mécanismes impliqués dans l’amorçage d’un

comportement. Wheeler et DeMarree (2009) ont récemment proposé une revue dans laquelle

ils étudient la complexité croissante des mécanismes et des voies proposés. Ces mécanismes

incluent l’activation directe de représentations comportementales, l’activation d’objectifs, des

biais dans la perception d’autres personnes, dans la perception de la situation ou dans la

perception de l’individu lui-même. Les auteurs proposent un graphique représentant

l’intégration de ces mécanismes par lesquels une amorce peut « guider » un comportement

(Figure 5).

Figure 5. Représentation graphique intégrant les nombreux moyens par lesquels une amorce peut

diriger le comportement, tirée de Wheeler & DeMarree (2009).

Sur cette figure, la première boîte intitulée “Prime” (i.e. « amorce »), représente les

caractéristiques de l’environnement qui activent des concepts en mémoire. La seconde boîte

intitulée “Activated Construct” (i.e. « concept activé »), représente cette activation. Cette

première voie (flèche A) peut déjà être modulée : certains individus peuvent par exemple

présenter des activations de concepts plus fortes que d’autres (Dijksterhuis, Aarts, Bargh &

van Knippenberg, 2000; Gawronski, Ehrenberg, Banse, Zukova & Klauer, 2003) ; ou comme

évoqué précédemment, une même amorce peut activer des concepts différents, voire opposés,

selon les individus (Wheeler & Berger, 2007). La dernière boîte intitulée “Observed

Behavior” représente le comportement observé.

Les auteurs concluent d’une part, que chacun de ces mécanismes peut expliquer en soi

certains effets d’amorçage, et d’autre part, que ces mécanismes ne fonctionneraient pas

toujours de manière indépendante les uns des autres.

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