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Les effets de la décolonisation des pratiques pour le travail social

CHAPITRE 5 : La présentation et l’analyse des résultats

5.5. Les effets de la décolonisation des pratiques pour le travail social

Bref, nous comprenons que les réalités des deux communautés desservies par l’équipe sont très différentes sur plusieurs plans. Les liens de collaboration se créent plus facilement entre l’équipe et la communauté 1 qu’avec la communauté 2. Des participantes offrent différentes pistes pour expliquer ce constat, soit l’entente légale en vertu de l’article 37.7 de la LPJ qui confère uniquement à la communauté 1 certaines responsabilités, mais aussi l’héritage du passé colonial laissé par les écoles résidentielles qui est plus présent chez les familles de la communauté 2. Cela s’explique par le fait qu’un nombre important d’enfants a fréquenté le pensionnat. Ainsi, l’institutionnalisation de pratiques décolonisantes n’implique pas uniquement l’équipe ou les professionnelles, mais d’abord les communautés à qui elles s’adressent. De plus, il ne faut pas perdre de vue l’importance des contextes dans lesquels s’implantent ces pratiques comme facteur déterminant de leur institutionnalisation.

5.5. Les effets de la décolonisation des pratiques pour le travail social

Les pratiques d’intervention sociale décolonisantes ont des effets sur la relation avec les parents. Le principal effet mis de l’avant par des participantes concerne le lien dialogique entre l’équipe et les communautés :

C’est la manière qu’on entretient nos relations qu’il y a une certaine ouverture. À toutes les fois qu’on a une situation de risque de placement de l’enfant, moi je contacte le chef de bande de la communauté 2. Je dis : « dans la communauté il y a une situation qui m’inquiète beaucoup et je veux voir qu’est-ce qu’on fait ensemble parce que je veux pas retirer cet enfant-là de la communauté ». Il le sait tout de suite, sans nommer de nom, ils sont capables de faire des liens et de se mobiliser. En redonnant la responsabilité à la communauté, je me place pas dans une position de pouvoir. (G 1).

L’effet premier des pratiques décolonisantes est sans aucun doute le rétablissement du dialogue, mais aussi l’équilibre du pouvoir entre les services de protection de la jeunesse et les Autochtones. En ce sens, les pratiques décolonisantes permettent aussi de redonner du pouvoir au conseil de bande sur la prise en charge de familles qui constituent la communauté. Dans le cas qui nous intéresse, bien que la communauté 2 n’ait pas d’ententes formelles en vertu de l’article 37.7 de la LPJ, le gestionnaire 1 tient à ce qu’elle soit informée de potentielles situations de compromission visant un enfant et qu’elle puisse agir en conséquence d’assurer la sécurité et le développement de cet enfant. En fait, les pratiques décolonisantes permettent d’assurer la sécurité culturelle des Autochtones.

Par ailleurs, le fait que les intervenantes issues des Premières Nations occupent une place importante au sein de l’équipe et que leur savoir est valorisé, autant que celui des parents, semble témoigner d’une remise en question de la relation d’aide voulant que la professionnelle se positionne en experte face aux parents. En ce sens, les intervenantes sociales allochtones ne sont pas mises de côté sur la base de leur appartenance ethnique ou culturelle lorsqu’il s’agit des pratiques de travail social autochtones, au contraire, elles sont proactives et intéressées à apprendre à propos de la culture de l’« Autre ». Par

exemple, comme mentionné plus haut, lorsqu’elles ont recours à la pratique culturellement adaptée ou à certains éléments du travail social autochtone, cela se fait uniquement en partenariat avec une collègue des Premières Nations, afin de ne pas tomber dans l’appropriation culturelle.

Toujours en lien avec les effets des pratiques décolonisantes, la travailleuse sociale 2 confirme qu’une fois le lien de confiance tissé, les parents se sentent à l’aise de venir chercher le soutien au sein de l’équipe :

Tu sais, j’ai fermé des dossiers en protection et les mamans continuaient à venir me voir. Pourtant j’ai pas de dossier avec eux-autres, je suis pas là pour la loi, mais parce que j’ai réussi à bâtir un lien de confiance avec eux-autres, ben quand ils passent, c’est mon visage qu’ils voient fait que c’est moi qu’ils vont venir voir pour toutes sortes de détails pas en lien avec la protection. Des fois c’est juste des conseils, des références, parce que t’as bâti le lien, bien c’est toi qu’ils arrêtent et qui viennent voir (TS 2).

Cela témoigne de la possibilité de créer des liens significatifs, malgré le contexte légal qui encadre l’intervention, mais aussi malgré le passé colonisateur à l’endroit des Autochtones par les services sociaux. Ces propos rejoignent par ailleurs ceux de la mère 1 qui mentionne continuer de contacter certaines travailleuses sociales de l’équipe de temps à autre en raison de la qualité de la relation et du lien de confiance qui la caractérise : « Some people have trust issues and they don’t know who to turn to if they need help. I still call [the social workers now and then because I] built the trust with them » (M 1).

Dans le même sens, un autre effet des pratiques de l’équipe est que les bureaux de l’équipe sont devenus un « drop-in » (G 2). Il s’agit d’un endroit où les parents se sentent

à l’aise de venir chercher le soutien qu’ils nécessitent en sachant qu’ils seront toujours accueillis, peu importe leurs besoins. Nous avons, par ailleurs, pu observer qu’une ancienne bénéficiaire s’est présentée aux bureaux de l’équipe pour présenter son nouveau-né, sans nécessairement chercher du soutien. Elle a été accueillie par deux intervenantes sociales qui ont passé plusieurs minutes à discuter avec elle de sa nouvelle réalité. Cet exemple rejoint directement l’analyse que fait le gestionnaire 2 de l’importance des bureaux comme un « drop in », d’autant plus que le gestionnaire 2 donne le mot d’ordre à l’équipe de prendre le temps d’accueillir les gens qui se présentent, mais aussi d’intervenir respectueusement. Selon lui :

… un faux pas peut nous faire reculer d’à peu près 10 ans. On a construit quelque chose de gros ici, mais un faux pas fait en sorte qu’on recule. Un seul faux pas peut détruire les années de travail passées à bâtir la réputation de l’équipe au sein des communautés (G 1).

Ce faisant, le fait que l’équipe soit devenue une référence pour des parents autochtones permet d’assurer qu’ils se sentent en confiance de demander du soutien, et ce, dans un contexte de sécurité culturelle.