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Chapitre 5 : Discussion générale

I. Effets de N. ceranae chez l’abeille au niveau social

Théorie sur une réponse d’immunité sociale

L’abeille possède un nombre réduit de gènes d’immunité individuelle par rapport à des insectes solitaires (Honey Bee Genome Sequencing Consortium, 2006). Cela semble être compensé par d’autres moyens de réduction de la pression des pathogènes (Evans et al. 2006). En effet, dans le contexte de leur vie sociale les abeilles ont développé des mécanismes de défense collective contre les parasites (immunité sociale), basés sur des comportements de coopération entre les individus (Cremer

et al., 2007). Les changements phéromonaux et de comportements, observés lors de l’infection par N. ceranae (articles n°1 et n°2), nous ont permis de proposer un mécanisme d’immunité sociale chez les ouvrières qui permettrait la réduction des risques de transmission du parasite de la façon suivante : - Effet de N. ceranae sur l’individu :

Les abeilles infectées ont montré (article n°2) une maturation comportementale accélérée, une activité de vol intense, une durée de vie raccourcie et une production élevée de la phéromone EO en comparaison avec les abeilles saines (Fig. 1a). Premièrement, ces comportements contribueraient à diminuer la transmission par voie orale du parasite car la nourriture ne serait pas un véhicule de spores pour deux raisons : (i) l’augmentation du butinage serait due aux besoins énergétiques individuels des abeilles infectées plutôt qu’à la récolte de nourriture pour la colonie (Mayack et Naug, 2010), et (ii) l’abeille aurait tendance à moins partager sa récolte par trophallaxie (Naug et Gibss, 2009 ; Smith, 2012). Deuxièmement, l’augmentation de la mortalité hors de la colonie diminuerait l’inoculum du parasite au sein de la colonie (Kralj et Fuchs, 2010 ; Rueppell et al., 2010).

- Effet de N. ceranae sur la société :

Les niveaux élevés d’EO des abeilles infectées, atteints plus tôt que chez les abeilles saines, auraient comme résultat l’inhibition de la maturation comportementale des abeilles saines. Cela expliquerait pourquoi les abeilles saines étaient moins actives que celles infectées (article n°2). L’entrée en butinage tardive des abeilles non-infectées permettrait de prolonger leur durée de vie (Woyciechowski et Moron, 2009) et de remplacer les abeilles infectées au fur et à mesure qu’elles meurent (Fig. 1a).

Les changements de comportement des abeilles infectées au cours du temps sont représentés dans la Fig. 1. Tout d’abord, les ouvrières peuvent être infectées après l’émergence, lorsqu’elles

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réalisent des tâches de nettoyage (Fries, 1997). Puis, pendant le temps du développement de l’infection (Fig. 1b), 8 – 12 jours (Higes et al., 2007 ; Forsgren et Fries, 2010), la maturation comportementale des ouvrières est sous le contrôle de trois autres phéromones (Fig. 1c) (Castillo et al., 2012): la BEP (brood ester pheromone) produite par le couvain âgé, le (E)-ß-ocimène produit par le couvain jeune, et la phéromone mandibulaire de la reine QMP (queen mandibular pheromone). Ces phéromones agissent principalement pendant les premiers jours de vie des ouvrières lors qu’elles restent dans la ruche avec le couvain pour nettoyer l’intérieur, s’occuper de la reine et puis devenir nourrices. Le couvain jeune qui a besoin d’aliments, émet du (E)-ß-ocimène qui stimule la transition de nourrices à butineuse. Le couvain âgé, qui n’a plus besoins d’être nourri, émet BEP qui retarde la transition de nourrice à butineuse. En même temps, toutes les abeilles de la colonie sont exposées à la QMP qui retarde également la transition (Castillo et al., 2012). Finalement, lorsque l’infection est bien développée et que les abeilles vieillissent, les différences de comportement entre abeilles infectées et saines vont devenir apparentes (article n°2). Au fur et à mesure que les nourrices vieillissent elles se déplacent vers les zones de stockage (Fig. 1d) dans la périphérie de la colonie. Là, lorsque les abeilles infectées deviennent butineuses plus tôt que les abeilles saines, leurs niveaux plus élevés d’EO retarderaient la maturation comportementale des abeilles saines du même âge. Les abeilles saines remplaceraient les abeilles infectées qui meurent à l’extérieur (Fig. 1e).

Dans ce contexte, la survie de la colonie dépendrait de sa capacité à contrebalancer l’infection principalement par le remplacement des abeilles qui meurent lorsque les lésions intestinales sont irréversibles (article n°3), d’où l’importance (i) de la qualité de la reine, (ii) de la disponibilité de ressources mellifères en quantité et qualité, et (iii) de l’absence d’autres facteurs de stress présents dans l’environnement comme les pesticides et d’autres pathogènes qui peuvent affaiblir la colonie (Cornman, et al., 2012 ; James et Xu, 2012 ; Khoury et al., 2011).

Finalement, il est connu que N. ceranae altère en même temps d’autres signaux chimiques. Par exemple, il a été observé une augmentation de l’hormone juvénile III (JH) chez des abeilles infectées (Ares et al., 2012). Comme la transition de nourrice à butineuse est précédée par une augmentation de JH, l’infection pourrait déclencher la transition (Castillo et al., 2012). Chez les reines, N. ceranae

modifie également le bouquet phénoménal (Alaux et al., 2011, annexe 2) mais les conséquences de ces changements sur le contrôle de la maturation comportemental des ouvrières n’a pas encore été étudié.

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Figure 1. Hypothèse sur les modifications induites par N. ceranae dans le modèle de polyéthisme d’âge de l’abeille pendant l’été (basé sur Castillo et al., 2012). (a) Les abeilles infectées (ligne rouge) ont une maturation comportementale accélérée, une activité de vol intensifiée et une durée de vie raccourcie, alors que les abeilles saines du même âge (ligne verte) ont une entrée au butinage tardive et une durée de vie allongée; (b) les différences de comportement entre les abeilles infectées et saines commencent à devenir évidentes après la période d’incubation de l’infection ; pendant ce temps la maturation comportementale des abeilles est sous le contrôle de trois autres phéromones : BEP (brood ester pheromone), (E)-ß-ocimène et QMP (queen mandibular pheromone) ; (c) au fur et à mesure que les abeilles vieillissent, les niveaux d’EO des abeilles infectées (rouges) augmentent et retardent la maturation comportementale des abeilles saines (vertes) ; les abeilles infectées agiraient comme une « barrière » à la transmission du parasite au sein de la colonie par la diminution de la trophallaxie et donc du partage de la nourriture (véhicule de spores) (Mayack et Naug, 2010 ; Naug et Gibss, 2009 ; Smith, 2012), et également par l’augmentation de la mortalité hors de la colonie qui diminuerait l’inoculum du parasite au sein de la colonie (Kralj et Fuchs, 2010 ; Rueppell et al., 2010) ; (d) lorsque les abeilles infectées meurent l’inhibition de la maturation comportemental par l’EO diminue et donc les abeilles saines vont augmenter leur activité de vol.

Couvain âgé -BEP Retard la maturation des ouvrières

Couvain jeune - (E)-ß-ocimène Stimule la maturation des ouvrières

Reine- QMP

Retard la maturation des ouvrières

Butinage Transition nourrice vers butineuse

Nourrissage larvaire Soin de la reine Nettoyage Tâches: 0 7 14 21 28

Activité de vol: Butinage précoce

Butinage retardé

Ouvrières saines Ouvrières infectées

Période d’incubation de l’infection de N. ceranae

La maturation des ouvrières est contrôlée par un bouquet de phéromones

a

b à la transmission du pathogèneBarrière comportementale

EO

Retard la maturation des ouvrières Ouvrières infectées EO élevé Très actives à l’extérieur Moins de trophallaxie à l’intérieur

Ouvrières saines

Réceptrices d’EO

Maturation comportementale retardée

c Mort des ouvrières infectées Ouvrières infectées Butinage intense Ouvrières saines EO normal Butinage

Fin de l’inhibition de la maturation comportementale par l’EO

d

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