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6. LES LEÇONS TIRÉES DES EXPÉRIENCES AMÉRICAINES DE PUBLIC

6.2. La diffusion publique : quels résultats effectifs ?

6.2.2. Les effets adverses

il n'existe que très peu d'études consacrées à l'évaluation des effets adverses de la diffusion publique, qui ont surtout donné lieu à des controverses non encore tranchées. Le type d'effet négatif le plus souvent envisagé concerne l'inégalité de l'accès aux soins qui pourrait résulter de la sélection des patients dans un sens favorable aux indicateurs de résultats. Certains médecins, par exemple, ont exprimé leurs craintes que les chirurgiens cardiaques soient découragés d'opérer leurs patients les plus à risque, ce qu'a confirmé une enquête menée auprès des chirurgiens (4). De même, certains commentateurs ont estimé que les résultats favorables enregistrés dans l'État de New York par le programme CSRS étaient dus à une migration forcée des patients à haut risque vers les États voisins, notamment à Cleveland (24). Une étude ultérieure a montré qu'il s'agissait d'une pratique régulière au niveau de la région qui avait plutôt eu tendance à diminuer entre 1987 et 1992, alors que la fréquence des pontages post-infarctus avait augmenté et la mortalité à 30 jours avait diminuée (4). Une autre étude s’intéresse aux interventions coronaires percutanées montre une différence significative entre les case mix des patients pris en charge à New York et ceux pris en charge dans le Michigan, la propension des médecins à ne pas intervenir sur des patients présentant de haut risque étant plus élevée à New York (45). Plus globalement, un auteur parle de sélection des patients en fonction non seulement du risque médical, mais aussi en fonction du risque économique et social qu’ils présenteraient (46). Un patient à

revenu modeste est dans des conditions moins favorables de rétablissement qu’un patient à revenu élevé et présente donc un risque de mortalité à 30 jours plus élevé.

Au-delà de ce premier type d'effet négatif, dont les dangers sont d’autant plus réels que les indicateurs de qualité privilégie l’efficacité médicale -même si ces dangers n'ont pas été démontrés-, plusieurs autres effets adverses ont été évoqués mais non étudiés (16,24,47):

ƒ Un effet de tunnel qui conduirait à focaliser l'attention sur les aspects de leurs pratiques faisant l'objet d'une mesure, en négligeant d'autres éléments. Dans le cas d’examens diagnostics, cet effet pourrait entraîner des actes inappropriés ou en quantité trop importante par rapport au problème de santé à traiter. A l'inverse la tentation de l'exhaustivité devrait être contenue, en abandonnant progressivement le suivi des indicateurs donnant de bons résultats de façon répétée.

ƒ Certains commentateurs craignent un phénomène de sous-optimisation sous la forme d'une régression des performances vers la moyenne, mais on peut se demander si la prise en compte des progrès effectués, et pas seulement du niveau atteint, ne permettrait pas d'en limiter l'ampleur.

ƒ La confiance des patients dans le corps médical pourrait être remise en cause par une diffusion qui ne serait pas correctement comprise, d'où la nécessité d'accompagner ce type de stratégie d'une éducation des consommateurs.

ƒ Un problème d'équité est soulevé par ce type de stratégies dans la mesure où tous les citoyens ne bénéficient pas des mêmes possibilités de choix de leurs fournisseurs de soins. Si une véritable liberté de choix existe pour les citoyens (américains) les plus fortunés, les pauvres et les non assurés n'ont souvent que peu de choix, devant s'en remettre à des dispensaires qui ont eux-mêmes peu de moyens pour s'engager dans la mesure de leurs performances.

ƒ Du côté des producteurs, plusieurs comportements déviants pourraient se développer (46,48-50):

o fraude ou comportements stratégiques sous forme de manipulation des données : on peut noter ainsi une tendance à surestimer le niveau des risques encourus par les patients de manière à faire baisser mécaniquement le taux de mortalité ajusté au risque. Du coup, la fiabilité des informations diffusées est remise en cause par les médecins eux-mêmes qui, pour une large majorité d’entre eux, ne les utilisent pas pour orienter leurs patients : dans une étude, 82% des cardiologues de Pennsylvanie déclarent connaître le système de classement relatif au pontage aorto-coronarien par greffe, mais pensent que le système d’ajustement par les risques n’est pas correct et que les données sont manipulées par les chirurgiens et l’hôpital.

o recentrage des pratiques sur les seuls éléments faisant l’objet de la mesure au détriment d'autres aspects de la qualité des soins non mesurés. Ce comportement peut conduire à privilégier certains examens diagnostics plutôt que d’autres, même si les seconds seraient plus appropriés à la situation du patient. Ce comportement peut également se traduire par une sélection des technologies utilisées en fonction du niveau de risque présenté par le patient. o certains professionnels pourraient aussi être découragés par des résultats

négatifs s'ils ne sont pas accompagnés dans une démarche d'amélioration de leur pratique.

ƒ Dans le cas d’un système de diffusion publique reposant sur le volontariat des établissements de santé pour fournir des données, on peut craindre un phénomène de sélection adverse dans la mesure où seuls les établissements performants sont incités à dévoiler leurs résultats. L’existence d’incitations financières liées aux résultats devrait renforcer cet effet. Les établissements qui devraient améliorer leurs pratiques sont d’autant moins incités à entrer dans le système que les indicateurs fournis par les bons établissements définissent des normes élevées et que leurs

obligatoire de la participation à la stratégie de diffusion publique devrait limiter cet effet (46,50).

Dans l'ensemble, plusieurs effets adverses sont donc susceptibles de remettre en cause les stratégies de diffusion publique, même s'il s'agit davantage de craintes que de faits avérés. Il est clair que sur ce point, de plus nombreuses études sont nécessaires pour faire la lumière et départager ce qui relève de la pure spéculation de ce qui relève bien des effets négatifs. Encore que pour certains commentateurs, si certains de ces effets sont inévitables, ils sont prévisibles et pourraient donc être gérés de façon préventive. Mais se pose alors la question du coût d'un tel programme pour laquelle on ne dispose que de très peu d'informations. Une seule étude existe dans ce domaine qui a chiffré à 16 $ le coût de traitement du dossier hospitalier d'un patient (4).

Au total, force est de constater que les preuves accumulées sont encore bien faibles pour se prononcer sur l'efficacité pratique de stratégies de diffusion publique d'informations sur la qualité des soins. Ceci permet aux différents experts d'en tirer des conclusions variables d'un auteur à l'autre. Néanmoins, l'impression qui prédomine tend à disqualifier le canal de la demande et la logique purement marchande, et à voir dans le canal de la réputation le principal levier sur lequel le Public Reporting pourrait s'appuyer pour obtenir l'amélioration de la qualité des soins souhaitée. Encore faut-il remarquer que les expériences étudiées diffèrent toutes par leurs modalités, ce qui ne permet pas de généraliser les résultats obtenus. Ainsi se trouve posée la question du contenu exact de la stratégie envisagée qui peut en conditionner fortement l'efficacité.