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1.3 Applications en géophysique

1.3.2 Effets électrochimiques

On envisage souvent l’électrofiltration comme la contribution principale au signal PS, mais dans certains cas, d’autres sources (gradients de température ou de concentration) ne peuvent pas être négligées. Si le déplacement des ions sous l’action d’un gradient de pression crée un courant d’advection, c’est également le cas des ions se déplaçant par diffusion du fait de l’existence d’un gradient de concentration. Une différence de potentiel appelée potentiel de jonction apparaît lorsque les espèces anionique et cationique ont des mobilités différentes. Dans le cas d’un électrolyte 1-1 tel que NaCl, il est possible d’exprimer localement ce potentiel d’électrodiffusion à l’aide de l’équation de Planck-Henderson (Maineult et al., 2005) :

∇VJ = φRT NAe bCl− bN a bCl+ bN a ∇C C (1.43)

où C est la concentration en mol.m−3, R est la constante des gaz parfaits, T la température en K, φ la porosité, et bN a et bCl les mobilités des espèces Na+ et Cl.

Maineult et al. (2005) ont réalisé des expériences dans un bac à sable, consistant à générer des pulses de concentration (ou de pH) en incorporant dans la solution une quantité connue de sel (ou d’acide chlorhydrique). En calculant la variation de potentiel électrocinétique liée au changement de conductivité d’une part, et le potentiel de jonction d’autre part à l’aide de l’Eq. (1.43), ils parviennent à modéliser les changements de réponse SP observés. Dans cette expérience, le potentiel de jonction est bien plus important que la variation de potentiel due au changement de conductivité. L’évolution de la forme du pic du signal, qui passe d’une forme pointue à une forme arrondie, pourrait permettre d’évaluer le coefficient de dispersion. La prédiction du potentiel de jonction ne marche pas pour le front de pH, probablement à cause d’un phénomène de retardation. On constate que les fronts d’acide créent des signaux forts tandis que les fronts de base créent des signaux faibles, puisque pour du sable le paramètre ζ varie beaucoup près du pzc, mais peu à pH>8 (voir section 1.2.3).

Un autre type d’effet électrochimique est le signal associé aux phénomènes d’oxydo-réduction. Ces réactions apparaissent au voisinage des corps métalliques (Sato and Mooney, 1960), mais également dans les zones polluées. Les mesures de potentiel redox in situ étant ponctuelles et difficiles à réaliser, la couverture des zones d’étude est généralement insuffi-sante, et la sensibilité de la PS aux phénomènes redox offre un bon complément. Alors que l’électrofiltration génère une anomalie positive lorsque l’électrode de référence est placée en amont du flux, les gradients de potentiel redox génèrent des anomalies négatives par rapport à une électrode de référence située dans une zone non contaminée.

Naudet et al. (2003) ont réalisé une carte de potentiel électrique en contrebas de la décharge d’Entressen, qui était jusqu’à 2010 la plus grande décharge à ciel ouvert d’Europe. Fermée depuis, les déchets s’y entassaient sur une hauteur de 50 mètres par endroits, produisant des résidus qui percolaient dans l’aquifère situé sous la surface. Le coefficient de couplage électrocinétique est déterminé dans la zone la moins contaminée, de façon à pouvoir soustraire

Figure 1.13 – Naudet et al. (2003) c) Carte de potentiel spontané corrigée de la composante électrocinétique. La composante résiduelle est le fruit des effets redox. L’amplitude la plus forte (-400 mV) se situe au niveau des bassins de décantation. d) Potentiel PS corrigé de la composante électrocinétique en fonction du potentiel redox mesuré en puits. On observe une corrélation linéaire entre les deux grandeurs.

le signal généré par le gradient de pression de toute la zone d’étude. Le signal PS résiduel présente une bonne corrélation avec les mesures chimiques en puits (voir figure 1.13). La carte du signal corrigé de la composante électrocinétique fournit un aperçu direct du panache de contamination, de sa forme et de son étendue.

En supposant que le potentiel redox EH joue un rôle moteur similaire à la pression hydrau-lique, Naudet et al. (2003) proposent d’exprimer le courant JE créé par ces réactions redox comme

JE = σ0∇(CHEH) (1.44)

où CH est un coefficient de couplage sans dimension qui relie le potentiel redox EH à la varia-tion de potentiel électrique résultante. Lorsque JE n’est pas négligeable, l’Eq. (1.44) s’ajoute au terme de droite de l’Eq. (1.39).

Pour expliquer ce couplage entre courant électrique et potentiel redox, les auteurs pro-posent une explication similaire au concept de géobatterie développé par Sato and Mooney (1960); Bigalke and Grabner (1997) pour les minerais. Les gisements de minerais peuvent générer des anomalies négatives de plusieurs centaines de mV. Des réactions de réduction se produisent au voisinage du minéral du coté de la surface, tandis que des réactions d’oxydation se produisent du coté opposé, ce qui génère un flux ascendant d’électrons dans le minerai conducteur. L’ensemble formé par le minerai et la roche avoisinante constitue une géobatterie, dont l’anode est la partie inférieure, et la cathode la partie supérieure. L’électroneutralité est

1.3. APPLICATIONS EN GÉOPHYSIQUE

(a) Sato and Mooney (1960) (b) Bigalke and Grabner (1997)

Figure 1.14 – Concept de géobatterie. a) Les réactions de réduction se produisent près de la surface, les réactions d’oxydation en profondeur. Le minerai ne participe pas aux réactions, il ne fait que fournir un passage aux électrons. Le courant généré par le flux des électrons est contrebalancé par le déplacement des ions dans le liquide environnant. b) La géobatterie est constituée de deux cellules indépendantes. Elle génère une anomalie détectable en surface de signe négatif. L’amplitude de l’anomalie dépend de la différence de potentiel redox entre les cellules haute et basse.

rétablie par le déplacement des ions contenus dans l’eau de la formation rocheuse. Les ions positifs migrent vers le haut, les ions négatifs vers le bas (voir figure 1.14).

Dans le cas de la décharge d’Entressen, ce ne sont pas des minerais qui jouent le rôle de transporteurs d’électrons, mais des biofilms bactériens. Les micro-organismes sont localisés à la frontière du panache de contamination, et plus particulièrement au sommet de la nappe phréatique, là où coexistent d’un coté de la matière organique, et de l’autre de l’oxygène néces-saire à leur métabolisme. L’oxydation de la matière organique et la réduction des accepteurs d’électrons (oxygène dissout, sulfate, fer) constituent une géobatterie similaire, si bien que chaque parcelle microbienne entre la zone vadose et l’aquifère peut être considérée comme un dipôle électrique, dont la force électromotrice est donnée par la différence de potentiel redox entre la zone saine et la zone contaminée. La mesure PS, corrigée de la composante électroci-nétique, permet ainsi de suivre indirectement l’activité microbienne.

Minsley et al. (2007) utilisent ce même concept pour cartographier la contamination par DNAPL (Dense Non-Aqueous Phase Liquid) sur le site de Savannah River, en Caroline du Sud. Les DNAPLs sont des liquides plus denses que l’eau qui peuvent s’infiltrer en profon-deur (jusque dans la nappe phréatique), ce qui rend la remédiation du sol très difficile. Ils peuvent persister très longtemps, et ont été abondammant utilisés par l’industrie ces

Figure 1.15 – Modèle de Nourbehecht (1963) d’après Corwin and Hoover (1979).

quante dernières années. Minsley et al. (2007) mesurent les signaux PS avec un réseau 3D de capteurs (forages et couverture en surface) de façon à déterminer la distribution spatiale des contaminants. Les DNAPLs de cette étude sont des solvants chlorés, qui peuvent jouer le rôle d’accepteurs d’électrons et peuvent être réduits. Comme dans l’étude de Naudet et al. (2003), ce processus peut être associé au métabolisme des bactéries. La dégradation de ces solvants induit une diminution du potentiel redox sur le long-terme, sauf dans les zones aérobiques où l’oxygène est l’accepteur d’électrons préférentiel. Le potentiel redox résulte tout à la fois de la présence du contaminant, des microbes, et des teneurs en oxygène et en matière organique. Il y a par endroits une bonne corrélation entre signaux PS et présence de contaminants (cf mesures en puits), mais dans d’autres cas le signal est affecté par d’autres facteurs biogéochi-miques. Une discipline émergente, la biogéophysique, vise à améliorer la connaissance de ces mécanismes afin de fournir des interprétations plus quantitatives de ces observations.

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