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CHAPITRE 1 : PORTÉE DE LA CYCLOADDITION-(4+1) ENTRE DES AMINOCARBÈNES DE

1.5. Études mécanistiques : effets de l’ajout d’additifs et du changement de la concentration des

1.5.1. Effet de l’ajout de ligands sur le ratio des produits de cycloaddition-(4+1) et de -H-

Avant de discuter des résultats obtenus, il serait à propos de rappeler certains faits. L’absence de ligand mène majoritairement, pour les carbènes ayant une structure simple, au produit de cycloaddition-(4+1) accompagné du produit de la -H-élimination. L’ajout de triphénylphosphine mène exclusivement au produit de -H-élimination. Le fait de substituer un ligand CO par une phosphine rend le chrome plus riche en électrons. Nous croyons que ce fait défavorise l’étape d’élimination réductrice menant au produit de cycloaddition-(4+1) 1-206 à partir de B (schéma 83). En effet, plus un métal est riche en électrons, moins sa réduction sera facile. Dans l’optique où les deux chemins réactionnels sont en compétition à partir d’un intermédiaire commun, il est possible que la voie menant au produit de cycloaddition-(4+1) soit défavorisée à un point tel que celle menant au produit de -H-élimination 1- 207 l’emporte totalement. Ceci pourrait expliquer l’influence de la triphénylphosphine sur le produit de réaction obtenu.

Schéma 83.

Nous savons qu’enrichir le chrome en électrons, par l’ajout d’une phosphine, permet d’augmenter la vitesse globale de la réaction (peut-être en accélérant l’étape de cycloaddition-(2+2), que nous croyons être l’étape déterminante). Le but de notre étude était de trouver un ligand qui nous permettrait d’obtenir sélectivement le produit de cycloaddition-(4+1) qui, selon notre hypothèse, est favorisé lorsque le chrome est suffisamment pauvre en électrons. Le défi de l’étude était donc de dénicher un ligand plus riche que CO, pour bénéficier de l’effet accélérateur, mais assez pauvre pour favoriser le produit de cycloaddition-(4+1). Un autre but, celui-ci à plus long terme, est de remplacer les ligands CO par des ligands équivalents qui peuvent porter un ou des centres chiraux. Il est à noter que cette étude n’est pas exhaustive et ne concerne que quelques ligands parmi la multitude qui existe.

La capacité d’un ligand à se lier à un métal a déjà été mesurée selon deux paramètres majeurs, soit le paramètre électronique  et le paramètre stérique La figure 21 montre des valeurs semi- quantitatives de l’habileté de liaison de différentes phosphines sur le Ni(CO)4 en fonction du facteur

électronique CO.144 Les quatres lignes de l’axe vertical correspondent au nombre de substitution d’un

CO par un ligand. Par exemple, la triméthylphosphite a été en mesure de substituer quatre ligands CO pour former le Ni(P(OMe)3)4. Plus un ligand monte sur l’axe vertical, plus son habileté à coordonner le

métal est donc forte. Le facteur électronique CO correspond à la fréquence de vibration des ligands CO

de fortes liaisons avec celui-ci tout en l’appauvrissant en électrons. Cet appauvrissement diminue la rétrodonation du Ni vers les CO, ce qui fait en sorte de rendre le lien C=O plus fort, ce qui est démontré par sa fréquence de vibration plus élevée. Ainsi, plus un ligand est fort, plus le facteur électronique CO

est élevé.

Figure 21. Valeurs semi-quantitatives de l’habileté de liaison de différentes phosphines en fonction du facteur électronique CO.143-144

L’axe de la force de liaison d’un ligand de la figure 21 irait donc d’en bas à gauche (moin fort) vers en haut à droite (plus fort). La divergence des points par rapport à un axe est due au facteur stérique. En effet, la P(O(o-tol))3, plus encombrée que la P(OPh)3, a une moins bonne capacité de liaison que cette

dernière, malgré un facteur électronique semblable. L’habileté de liaison n’est donc pas linéaire avec le facteur électronique, ce qui témoigne de l’importance du facteur stérique. Celui-ci a été quantifié par la mesure l’angle conique (en degrés) de la phosphine.143 La figure 22 représente une carte de cet angle  en fonction du facteur électronique CO.

Les résultats obtenus en chauffant le carbène 1-84 en présence de différents ligands sont présentés au tableau 15. Celui-ci présente différents ratios obtenus entre le produit de cycloaddition-(4+1) 1-206a, la diénamine 1-207a et le formamide 1-208a. Le ratio (1-206a+1-207a):1-208a ne sera pas discuté en détail, mais nous croyons que la formation d’une plus grande proportion du produit d’oxydation indique que les autres chemins réactionnels, à partir du carbène, sont plus difficiles à atteindre ou non disponibles. Les carbènes qui ne réagissent pas finissent tôt ou tard par s’oxyder, malgré l’utilisation de solvants dégazés.

Schéma 84.

Tableau 15. Influence de différents ligands sur la réaction avec le carbène 1-84.

Entrée additifa Temps de réaction (h) Ratio 1- 206a:1-207ab Ratio (1-206a+1- 207a):1-208ab Rende- ment en 1-206a Commentaires / résultats 1 - 3 78:22 91:9 62% - 2 PPh3 3 0:100 100:0 - - 3 AsPh3 3 0:100 60:40 - - 4 P(4-ClPh)3 2.25 21:79 83:17 -c - 5 P(C F ) 3 78:22 88:12 61% Identique à entrée 1

6 Cy3PHBF4 18 - 0:100 - -

7 PCl3 1.5 - 0:100 - -

8 Diphosd 20 - - - Complexe 1-243 forméd, e

9 dppped 3 0:100 100:0 - Produits inconnus formésf

10 P(OPh)3 18 - - - Carbène 1-84 récupérég

11 P(OEt)3 1.5 - 0:100 -

Complexe 1-244d observéh

12 KCN 1.5 67:33 91:9 38% KCN semblait insoluble

a) 1.05 à 1.10 équiv. b) Ratio déterminé à partir du RMN 1H du produit brut avec un temps de relaxation de 10 secondes. c) 1-206a non isolé. d) Voir figure 23 pour la structure. e) Identifié selon le RMN 1H : deux triplets (9.88 et 9.50 ppm) correspondant au proton sur le carbène (2 rotamères). f) Le produit majoritaire est la diénamine 1-207a. g) Carbène de départ 1-84 majoritaire, présence mineure de 1-206a, 1-207a et 1-208a. h) 1-244 non isolé, évidence de sa formation par RMN 1H: deux doublets (11.12 et 10.98 ppm) formés correspondants au proton sur le carbène (2 rotamères).

Figure 23. Différentes structures liées au tableau 15.

Globalement, aucun ligand n’a favorisé la formation du produit de cycloaddition-(4+1) mieux que CO (c’est-à-dire réaction sans additif). La réaction du carbène 1-84, sans additif, a donné un ratio 1-206a:1- 207a de 78:22 avec un rendement de 62% en 1-206a (tableau 15, entrée 1). L’utilisation de la triphénylphosphine et de la triphénylarsine n’ont mené sans surprise qu’à la diénamine (1-207a) (entrées 2 et 3). L’utilisation d’une phosphine plus pauvre en électrons, la P(4-ClPh)3, a mené

majoritairement à la diénamine 1-207a (entrée 4). La P(C6F5)3, une phosphine encore plus pauvre en

électrons, mais aussi plus volumineuse que la triphénylphosphine, a mené exactement aux mêmes résultats que ceux de l’entrée 1. Cependant, nous soupçonnons que la P(C6F5)3 ne s’est jamais liée au

chrome et que la réaction a procédé comme si aucun ligand n’avait été ajouté. L’ajout du Cy3PHBF4 et

Lors de l’ajout de Diphos (entrée 8), le complexe 1-243 (figure 23) a été isolé sans qu’aucune autre réaction ne se produise. Pour qu’il puisse y avoir une réaction à partir du complexe 1-243, où le chrome possède 18 électrons, il doit y avoir le départ d’un ligand. Le complexe 1-243 contient deux paires de ligands phosphine-CO en relation trans. La phosphine est plus labile que le CO128 et elle va se dissocier en premier. Il peut alors y avoir une complexation de l’alcène du diène ou un retour de la phosphine, puisque celle-ci fait partie d’un ligand bidentate. Cet équilibre favorise probablement le complexe 1- 243, ce qui empêche la réaction de se produire (schéma 85). Le fait que le complexe 1-243 soit stable à l’oxydation, même en solution, confirme notre hypothèse.

Schéma 85.

L’utilisation de la dpppe, qui possède cinq carbones entre les phosphines au lieu de deux, a quant à elle mené à la diénamine 1-207a (entrée 9). Pour des raisons d’entropie, l’équilibre devait favoriser davantage le complexe 1-247 ce qui a permis à la réaction de procéder (schéma 85).

Les phosphites sont des ligands davantage -acides que les phosphines. L’orbitale * du lien P-O est plus développée que dans le cas des phosphines permettant une plus grande rétrodonation (d→*), ce qui appauvrit le métal en électrons.145 Une phosphite a d’ailleurs servi à favoriser l’étape d’élimination réductrice de l’espèce H-Ni-OTf durant un couplage de Heck.146 Dans notre cas, l’utilisation de la triphénylphosphite a ralenti la réaction, puisque le carbène de départ 1-84 était encore majoritaire après 18 h de réaction (entrée 10). Nous ne pouvons confirmer la coordination du ligand avec le métal dans ce cas. La triéthylphosphite, elle, s’est liée à l’atome de chrome, mais aucune réaction ne s’est produite par la suite (entrée 11). Nous ne pouvons donc pas conclure si les phosphites favorisent ou non la

Finalement, le cyanure, considéré comme un analogue ionique du CO147, a mené à une plus grande proportion de la diénamine (entrée 12). En général, les résultats obtenus supportent notre hypothèse selon laquelle un ligand plus riche en électrons que CO favorise l’étape de -H-élimination.

Nous avons émis une autre hypothèse stipulant que la proportion de la diénamine obtenue sans l’ajout d’un ligand pouvait être causée par une complexation du produit final, une amine, sur le carbène de départ. Nous avons donc tenté d’éliminer cette complexation par l’ajout d’un acide dans le milieu réactionnel. L’utilisation de l’acide camphorsulfonique et de l’acide trifluoroacétique n’a malheureusement mené qu’à la décomposition du carbène 1-84 (tableau 16, entrées 1 et 2).

Schéma 86.

Tableau 16. Influence de différents additifs sur la réaction avec le carbène 1-84.

Entrée additifa Temps de réaction (h) Ratio 1- 206a:1-207ab Ratio (1-206a+1- 207a):1-208ab Rendement de 1-206a (4+1) Commentaires / résultats 1 - 3 78:22 91:9 62% 2 ACSc 18 - - - décompositiond 3 TFAe 18 - - - décompositiond 4 DIPEA 18 75:25 79:21 29% 5 NEt3 18 57:43 78:22 28% 6 6-(tol)Cr(CO) 3 18 76:24 86:14 57% Pas d’influence

a) 1.05 à 1.10 équiv. b) Ratio déterminé à partir du spectre RMN 1H du produit brut avec un temps de relaxation de 10 s. c) Acide camphorsulfonique. d) Produits non identifiés, mais la partie diène était encore présente par spectrométrie RMN 1H. e) Acide trifluoroacétique.

L’influence d’une source externe d’amine sur le ratio 1-206a:1-207a a été testée : la diisopropylamine et la triéthylamine ont toutes deux abaissé le rendement en produit de cycloaddition-(4+1) 1-206a avec des rendements respectifs de 29 et 28% (entrées 4 et 5). Bien que la diisopropylamine n’ait pas modifié le ratio 1-206a:1-207a, la triéthylamine a augmenté la proportion en diénamine (ratio 1-206a:1-207a = 57:43). Le même effet avait été observé lors de l’ajout de pyridine par Louis-Philippe D. Lefebvre.53 La présence d’amines peut donc avoir une influence sur les rendements et les ratios en produits de réaction. Il est permi de penser que les produit finaux, tels que 1-206a et 1-207a, qui sont aussi des amines, pourraient aussi affecter le rendement et les ratios. Cela ne permet pas de conclure hors de tout doute que le produit final 1-206a favorise la -H-élimination, mais montre que la présence d’amines n’est pas sans conséquence. Finalement, l’ajout d’un excès du complexe 6-(toluène)Cr(CO)3, qui est

normalement formé durant la réaction, n’a eu aucune influence sur les ratios et le rendement en produit 1-206a (entrée 6).