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Lors d’un stage de fin d’étude au laboratoire, une étudiante avait effectué un crible phénotypique d’une chimiothèque avec pour objectif d’identifier des molécules capables de moduler la sénescence, en éliminant spécifiquement des cellules sénescentes, ou de permettre la prolifération des cellules sénescences. La chimiothèque utilisée était la Prestwick Chemical Library, composée d’environ 1200 composés dont l’usage a été validé pour la médecine humaine.

Lors de ce crible, l’ensemble des molécules appartenant à la classe des glucocorticoïdes avait permis une augmentation de la prolifération malgré l’expression d’un oncogène, Raf1 (C-RAF). Les effets des glucocorticoïdes avaient déjà été décrit comme permettant une augmentation du nombre de doublements possibles de fibroblastes humains en retardant la sénescence réplicative (Grove & Cristofalo, 1977; S. Li et al., 1998; Mawal-Dewan et al., 2003; Rosner & Cristofalo, 1979). D’autres expériences avaient aussi démontré la capacité des glucocorticoïdes à moduler de manière spécifique certains composants de la sénescence, comme le SASP (Senescence-Associated Secretory Phenotype) (Laberge et al., 2012). L’ensemble de ces raisons nous a donc poussé à étudier les effets des glucocorticoïdes sur l’induction de sénescence par B-RAFV600E.

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Figure 22 : Effet des glucocorticoïdes sur l’induction de sénescence et translocation du récepteur des glucocorticoïdes.

A) Nombre de cellules après 4 jours en présence de différentes concentrations de clobetasol en présence de doxycycline à 1000ng/ml. 4000 cellules plantées, le lendemain traitement avec les différentes drogues. En gris, les cellules traitées par doxycycline 1000ng/ml et DMSO, le solvant du clobetasol, donnant l’information du nombre de cellules en absence de glucocorticoïdes. En orange, les cellules en présence de d’éthanol et de DMSO, les solvant de la doxycycline et du

clobetasol, permettant de connaitre le nombre de cellules en prolifération libre. En bleu, le nombre de cellules en fonction de la concentration de clobetasol, en présence de doxycycline. Nombre de noyau par puits compté à l’aide d’un microscope de criblage haut débit. 4 puits par conditions. B) Immunofluorescence montrant la translocation du récepteur de

glucocorticoïdes (GR) après ajout du clobetasol à 2nM pendant 2 heures et l’absence d’effet lors de l’ajout du solvant (DMSO). L’expérience a été réalisé dans des cellules en présence d’éthanol ou de doxycycline 1000ng/ml (Prolifération et doxycycline 24h).

Le crible ayant été effectué sur une autre lignée cellulaire de fibroblastes humains (WI38hTERT) et la sénescence induite par un autre oncogène (Raf1-ER), nous avons au préalable voulu confirmer les effets observés dans notre lignée cellulaire. Pour cela, nous avons induit la sénescence à l’aide d’une forte expression de B-RAFV600E, 1000ng/mL. Nous avons décidé d’utiliser un niveau d’expression élevé de l’oncogène afin d’induire un arrêt prolifératif rapide et attendre ensuite 5 jours, permettant ainsi d’avoir une différence importante entre le nombre de cellules induites en sénescence et les cellules en prolifération. Cet écart important pourra alors nous permettre de détecter de faibles effets sur la prolifération.

Pour étudier les effets des glucocorticoïdes, nous avons choisi de travailler avec le propionate de clobetasol (appelé clobetasol par la suite) pour plusieurs raisons. Tout d’abord, lors du crible précédent, ce glucocorticoïde était celui qui permettait la plus grande capacité de prolifération. De plus, il est fréquemment utilisé en médecine humaine en application topique, ce qui rendait son utilisation pertinente pour observer des effets

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traité les cellules avec différentes doses de clobetasol et au même moment, induit l’expression de l’oncogène par l’ajout de doxycycline. Nous avons attendu 5 jours après l’ajout des différentes drogues, puis nous avons compté les cellules.

Figure 23 : Cinétique d’arrêt de prolifération après traitement par le clobetasol.

Mesure du pourcentage de cellules incorporant de l’EdU par période de 48h. À 0h ajout de doxycycline 1000ng/ml dans tous les puits. En bleu ajout du solvant DMSO et en rouge de clobetasol à 2nM (DMSO et Clobe 2nM). 3 puits par conditions.

Nous notons alors que les cellules induites en sénescence et traitées par des doses supérieures à 125pM de clobetasol sont capable de proliférer à des niveaux proches des cellules non induites en sénescence (Figure 22A). On observe aussi qu’à de faibles concentration (4pM) des effets sur la prolifération sont notables. Ces concentrations sont extrêmement faibles, pour rappel la concentration circulante de cortisol varie entre 80nM la nuit à 700nM au réveil. En tenant compte du fait qu’il est ici fait mention de la concentration circulante et non pas de la concentration intracellulaire, cela nous interpelle sur l’action que pourrait avoir une augmentation même faible des niveaux de cortisol circulant. De plus, le cortisol est un glucocorticoïde ayant une affinité moindre que le clobetasol pour le récepteur des glucocorticoïdes. Nous avons décidé d’effectuer toutes nos expériences à une concentration de 2nM. Cette concentration faible permet de n’avoir que de très faibles effets sur la prolifération libre des cellules (Figure 24A). En effet, il était important pour nous que les concentrations de clobetasol utilisées n’influent pas sur la capacité de prolifération libre des cellules, les glucocorticoïdes pouvant parfois inhiber la

69 prolifération cellulaire (Alexandre, Céline, Patrice, Carole, & Philippe, 2014; Ayroldi et al., 2007; Engelbrecht et al., 2003; Poulsen et al., 2014; Ramalingam et al., 1997; Smith & Cidlowski, 2010).

Nous avons ensuite étudié la synthèse d’ADN dans des cellules après induction de sénescence et traitement par le clobetasol. Dans cette expérience, nous observons que les cellules exprimant B-RAFV600E sont capables de synthétiser l’ADN pendant plus longtemps en présence de clobetasol (Figure 23). Je traiterai plus loin la question de l’échappement total ou partiel à la sénescence induite par B-RAFV600E lors d’un traitement par les glucocorticoïdes.

Figure 24 : Contrôle du rôle du récepteur des glucocorticoïdes.

A) Nombre de cellules après 4 jours en présence de RU486. 4000 cellules plantées, le lendemain traitement avec les différentes drogues. En bleu, les cellules traitées par le solvant, DMSO, et en rouge par RU486 à 1µM (respectivement -RU486 et +-RU486). -dox : solvant éthanol. +dox : doxycycline 1000ng/ml. -clob : solvant DMSO. +clob : Clobetasol 2nM. Nombre de noyau par puits compté à l’aide d’un microscope de criblage haut débit. 4 puits par conditions. B) Nombre de cellules en présence de siRNA. 4000 cellules plantées, le lendemain transfection des siRNA à 100pM final, 24h après, traitement à doxycycline 1000ng/ml ou solvant avec DMSO (respectivement Dox et Prolif) ou avec doxycycline 1000ng/ml et clobetasol 2nM (Dox+Clob). Si0 : siRNA control. NR3C1 : siRNA dirigé contre le récepteur de glucocorticoïdes NR3C1. 2 puits par conditions. Comptage des noyaux à l’aide d’un microscope de criblage haut débit 4 jours après l’ajout des drogues.

Afin de nous assurer de la spécificité des effets observées, nous avons vérifié que les effets que nous contemplions étaient bien dépendants du récepteur des glucocorticoïdes (gène NR3C1), et n’étaient pas dus à un autre un mécanisme d’action (par exemple via le récepteur des minéralocorticoïdes). Dans un premier temps, on observe la translocation du récepteur des glucocorticoïdes (GR pour la suite) dans le noyau après l’ajout de

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glucocorticoïde (Figure 22B). Par la suite, nous inhibons le récepteur des glucocorticoïdes par deux techniques différentes.

Dans un second temps, nous inhibons la fixation du clobetasol sur le GR à l’aide du RU486 (ou mifépristone), un antagoniste chimique du récepteur des glucocorticoïdes et du récepteur à la progestérones (Figure 24A).

Dans cette expérience, on observe que l’inhibition du récepteur des glucocorticoïdes n’influe pas sur la prolifération libre, ni sur l’induction de sénescence. Comme précédemment décrit dans la littérature, la présence de clobetasol inhibe légèrement les capacités de prolifération des cellules, qui voient leurs capacités normales de prolifération restaurées après traitement par le RU486. Lorsque l’expression de l’oncogène et le traitement clobetasol sont concomitants, on observe ici aussi que les cellules sont capables de proliférer plus que les cellules non traitées par les glucocorticoïdes. Si l’on ajoute l’antagoniste du récepteur des glucocorticoïdes, on constate alors une capacité de prolifération identiques aux cellules non traitées par le clobetasol, ce qui indique que nos résultats sur la prolifération dépendent de la fixation du clobetasol sur le récepteur des glucocorticoïdes.

Nous avons ensuite effectué une déplétion de NR3C1 par l’utilisation d’un siRNA. Dans cette expérience, on peut observer une perte totale des effets du clobetasol sur l’échappement de sénescence (Figure 24B). En effet, lorsque l’on déplète NR3C1, on n’observe aucune différence entre les cellules sénescentes traitées par le clobetasol et les cellules sénescentes non traitées par le clobetasol. L’ensemble de ces résultats nous permet donc de conclure que les effets observés du clobetasol sur la prolifération dépendent du récepteur des glucocorticoïdes.