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1 Axe 1 : Instabilités et bifurcations en écoulements turbulents monophasiques

1.2 Ecoulement de Taylor-Couette (2005-2010)

Position du problème

Figure 15 – Carte des régimes extraite de Andereck et al. (1986). Les paramètres de contrôle sont les nombres de Reynolds Ri = riωi−1 et Ro = roωo−1, avec ri,o le rayon du cylindre intérieur (extérieur), ωi,o leur vitesse angulaire, d = ro− ri le “gap” ou « entrefer », et ν la viscosité cinématique du fluide. L’expérience est réalisée avec un rapport de rayons η = ri/ro = 0.883.

L’écoulement de Taylor-Couette est l’écoulement produit entre deux cylindres coaxiaux tour-nants, de longueur infinie. Ce système est employé comme cas d’espèce des bifurcations hydro-dynamiques et de la transition à la turbulence depuis les travaux de Taylor (1923) concernant la première bifurcation de l’écoulement laminaire vers un régime à rouleaux. Deux paramètres de contrôle indépendant —les vitesses angulaires de chaque cylindre— et deux paramètres géométriques —le rapport des rayons et le rapport d’aspect longitudinal— donnent lieu à une incroyable variété de régimes (Andereck et al., 1986, voir la Fig. 15). A plus haut nombre de Reynolds, on pourrait s’attendre à une moindre dépendance de l’écoulement en ces paramètres (nombres de Reynolds et géométriques), or ce système est connu pour avoir des états turbulents présentant des inhomogénéités, sous formes de patchs, de spirales ou de bouffées (Coughlin & Marcus, 1996; Prigent et al., 2002; Brauckmann & Eckhardt, 2013a).

Dans une perspective applicative, les propriétés de transport des écoulements turbulents sont une problématique capitale. Il s’agit également d’un point de vue fondamental d’un problème important, la difficulté étant le lien entre ce qui se passe près des parois et dans le volume de l’écoulement. L’écoulement de Taylor-Couette possède en outre une analogie forte avec l’é-coulement de Rayleigh-Bénard (Dubrulle & Hersant, 2002; Eckhardt et al., 2007; Grossmann & Lohse, 2011).

Le scaling des couples avec le nombre de Reynolds dans l’écoulement de Taylor-Couette a ainsi fait l’objet de nombreuses études, depuis les travaux de Wendt (1933) qui propose d’utiliser deux lois de puissances pures pour le couple mesuré en cylindre intérieur tournant seul, jusqu’à des Ri= 105 et pour η = 0.68, 0.85, 0.93 (voir définitions en Fig. 15). En revanche, les mesures de grande qualité de Lathrop et al. (1992); Lewis & Swinney (1999) en cylindre interne tournant seul jusqu’à Ri = 106 avec η = 0.72 montrent qu’il n’y a clairement pas de loi de puissance pure,

mais une évolution continuelle de l’exposant local avec Ri, laissant supposer que les mécanismes de transport évoluent avec le nombre de Reynolds10. Or, pour de tels nombres de Reynolds, les structures de l’écoulement étaient encore relativement mal connues en 2005, de même que les lois d’échelles du couple dans les régimes turbulents où les deux cylindres tournent.

Dispositif expérimental

Le dispositif expérimental que nous avons conçu et réalisé avait donc comme objectif pour des écoulements turbulents avec deux cylindres tournant, d’une part de mesurer le couple, et d’autre part de réaliser des mesures de champs de vitesses.

(a) (b)

Figure 16 – (a) Photographie du montage Taylor-Couette. On distingue le couplemètre A monté sur l’axe du cylindre interne, la platine micro-contrôle B pour la calibration, les lentilles C pour la création de la nappe laser et les caméras D montées sur Scheimpflug. (b) Dimensions du dispositif.

Une photographie du dispositif avec les principales dimensions se trouve en Fig. 16. Le gap entre les deux cylindres est d = ro− ri = 10 mm, le rapport de rayons est η = ri/ro = 0.917 et le rapport d’aspect axial est Γ = h/d = 22. Le système est fermé et les couvercles tournent avec le cylindre externe. Les deux cylindres sont indépendants, entrainés par des moteurs sans balais, régulés en vitesse en boucle fermée, et pilotés avec un programme Labview.

Le couple T sur le cylindre intérieur est mesuré par un couplemètre rotatif. Les mesures de vitesse sont faites au moyen d’un dispositif PIV stéréoscopique (Laser Nd :YAG, nappe laser d’épaisseur contrôlée, particules fluorescentes, logiciel Davis 7.2, voir Raffel et al. (2007) pour une présentation complète des différents éléments optiques et numériques d’une chaîne PIV).

La gamme de paramètres accessibles dans l’expérience est présentée en Fig. 17. Nous avons choisi d’utiliser un autre jeu de paramètres, plus pertinents à notre sens, proposés par Dubrulle et al. (2005) :

– Un nombre de Reynolds basé sur le cisaillement S (Ri et Ro sont signés)

Res= 2|ηRo− Ri|

1 + η =

Sd2 ν

10. au moins jusqu’à Ri= 106

−20000 −10000 −5000 0 5000 0 5000 10000 20000 40000 Re o Re i Ro=0 Ro<−0.083 0<Ro<0.091

Figure 17 – Zone de l’espace des paramètres {Ri; Ro} explorée. Axe vertical Ro = 0 : Ro = Roi = −0.083, Axe horizontal Ri = 0 : Ro = Roo = 0.091. Ligne Ri = −Ro : contrarotation Ro = Roc = 0. (◦) : Données PIV prises à Res = 1.4 × 104. (⋆) : mesures à Res = 3.6 × 104. En couleurs : espace des paramètres décrit par Andereck et al. (1986). En rouge : écoulement

de Couette laminaire, en vert : “spiral turbulence”, en gris : “featureless turbulence”, en bleu :

zone inexplorée.

– Un nombre de rotation, rapport de la rotation moyenne au cisaillement (inverse d’un nombre de Rossby)

Ro = (1 − η) Ri+ Ro

ηRo− Ri

Ce nombre de rotation est positif (négatif) pour les écoulements cycloniques (anticycloniques), s’annule pour la contrarotation parfaite (riωi = −roωo) et vaut Roi = η − 1 pour Ro = 0 (cylindre extérieur fixe) et Roo = (1 − η)/η ≃ 0.091 pour Ri = 0. Pour notre dispositif, avec η = 0.917, Roi ≃ −0.083 et Roo≃ 0.091. D’autres choix sont possibles, notamment dans le cadre théorique de l’analogie avec la convection de Rayleigh-Bénard, le cisaillement est caractérisé par un nombre de Taylor qui, par rapport à notre nombre de Reynolds de cisaillement, prend la forme suivante (Eckhardt et al., 2007; Grossmann & Lohse, 2011; Huisman et al., 2012; Brauckmann & Eckhardt, 2013a,b) :

T a = (1 + η)8 256η4 Re2s Dans notre cas (η = 0.917), on a la relation T a = 1.01Re2

s. Le second paramètre utilisé avec ce choix est simplement le rapport des vitesses angulaires a = −ωoi : il est nul pour Ro = 0, infini pour Ri = 0 et vaut η en contrarotation parfaite.

Résultats 101 102 103 104 105 106 10−3 10−2 10−1 Re C f 10 1 10 2 10 3 10 4 10 5 10 6 1 1.5 2 Re α 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 −1 −0.5 0 0.5 1 Ro i 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 −1 −0.5 0 0.5 1 Velocity (dimless) Roc 0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 −1 −0.5 0 0.5 1 (r−r i)/d Ro o (a) (b)

Figure 18 – (a) Coefficient de friction Cf en fonction de Res pour Roi = η − 1 (◦), Roc = 0 (2) et Roo = (1 − η)/η (). Inset : exposant local α : Cf ∝ Reα−2s . Ligne verte: fit des données de Lewis & Swinney (1999) (eq. 3), pour Roi et η = 0.724. Ligne magenta : Racina & Kind (2006), eq. 10. Ligne noire : coefficient de friction laminaire Cf = 1/(ηRes). (b) Profils moyens de la vitesse azimutale à Res = 1.4 × 104 pour trois nombres de rotation particuliers.

Les résultats présentés ici ont été publiés dans Ravelet et al. (2010). Nous comparons en Fig. 18a l’évolution du coefficient de friction en fonction du nombre de Reynolds de cisaillement Res pour différents nombres de rotation Ro. Le coefficient de friction est défini par11

Cf = T

2πρr2

ih(Sd)2 = G(1 − η) 2 2πη2 Re−2s

A bas Res, les trois courbes sont confondues et le coefficient de friction est bien celui prévu dans le cas d’un écoulement laminaire (Cf ∝ Re−1s ). Pour le cylindre interne seul (◦), on a une première transition vers un écoulement à rouleaux de Taylor laminaires pour Res ≃ 140. Le coefficient de friction a alors une dépendance en Re−1/2s (voir Inset en Fig. 18). Pour la contrarotation exacte (2), le seuil pour la première instabilité est en Res ≃ 400. Enfin, dans le cas du cylindre externe tournant seul (⋄), l’écoulement est linéairement stable. On note une transition directe vers un écoulement turbulent à 4000 . Res ≃ 5000.

11. G = T /(ρhν2

Pour de plus grands nombres de Reynolds, l’écoulement en cylindre intérieur seul évolue pro-gressivement vers un écoulement turbulent, l’exposant local —obtenu par dérivation gaussienne du coefficient de friction, α = 2 + d log(Cf)

d log(Res)— variant progressivement de α ≃ 1.5 pour Re ≃ 200 à α ≃ 1.8 pour Re ≃ 105, en accord avec les résultats de Lewis & Swinney (1999) obtenus pour un autre rapport de rayons η. Pour la contrarotation, on remarque une transition plus brutale depuis un plateau où α ≃ 1.5 vers α ≃ 1.75 pour Res & 3200. Enfin, en cylindre externe seul, la transition est plus brusque et α ≃ 1.77 pour Res&5000. Pour Res≥ 104, les trois exposants locaux sont égaux à ±0.1 et on a la hiérarchie Cf(Roo) < Cf(Roc) < Cf(Roi). Nous sommes ainsi les premiers à explorer l’effet du nombre de Rotation sur le scaling et les valeurs du couple en écoulement turbulent développé.

Les profils moyens de vitesse azimutale obtenus par PIV stéréoscopique à Res = 1.4 × 104 pour ces trois nombres de rotation sont tracés en Fig. 18b. Nous avons également mesuré les composantes du tenseur de Reynolds, particulièrement la composante v

rv

θ apparaissant dans l’équation bilan du moment cinétique —le couple étant directement lié au flux de moment cinétique (Marié et al., 2004). Dans le cas du cylindre interne seul, le profil azimutal de vitesse est très plat. La contribution des fluctuations de vitesse au couple représente 25%. Nous rapportons la présence de structures en forme de vortex de Taylor dans l’écoulement moyenné en temps à Res &104, inclinées d’un angle de ±25˚avec la direction azimutale, et contribuant pour les 75% restant au transport de moment cinétique. Au contraire, dans le cas de la contrarotation parfaite, il n’y a aucune structure dans l’écoulement moyenné en temps. Une petite partie du moment cinétique est transportée par le gradient de vitesse azimutale, et la majeure partie par des fluctuations corrélées faisant penser à des « plumes » (Ravelet et al., 2007). Cette observation semble s’opposer aux résultats numériques de Dong (2008) qui rapporte la présence de vortex de Taylor en contrarotation, mais pour η = 0.5 et à Res= 8000.

−0.10 −0.05 0 0.05 0.01 0.02 0.03 0.04 0.05 0.06 0.07 0.08 Ro Vel. Amplitude Ro i Ro c −0.03 −0.02 −0.01 0 0.01 0 0.01 0.02 0.03 (a) (b)

Figure 19 – (a) Coefficient de friction Cf en fonction de Ro à Res = cte. (b) Amplitude de l’écoulement secondaire en fonction de Ro, à Res = 1.4 × 104. L’amplitude est le résultat d’un fit sur les champs PIV moyens avec pour modèle de la fonction de courant Ψ = sin[π(r− ri)/d] × {A1 sin[π(z−z0)/ℓ] + A3 sin[3π(z−z0)/ℓ]}. Ceci correspond à des rouleaux alternés de longueur d’onde 2ℓ et une vitesse radiale maximale égale à π(A1/ℓ + 3A3/ℓ).  : contribution du fondamental, et: fondamental + première harmonique. Ligne : fit de la forme A = a(−Ro)1/2. Inset : zoom proche de Roc avec le résultat d’une expérience quasi-statique avec Ro varié de Ro = 0.004 à Ro = −0.0250 en 3000 s. L’amplitude est calculée sur des moyennes glissantes de 20 images.

Nous avons alors étudié la variation des propriétés moyennes de l’écoulement en fonction du nompbre de rotation, en gardant un nombre de Reynolds de cisaillement constant. La variation de Cf en fonction de Ro est tracée en Fig. 19a. Une mesure de la présence de structures de type rouleaux et de leur intensité dans l’écoulement moyenné en temps est présentée en Fig. 19b. La contrarotation parfaite (Ro = Roc = 0) semble correspondre à un seuil pour l’apparition des rouleaux dans le champ moyenné en temps, et ces rouleaux ont une forme qui se modifie sensiblement autour de Ro ≃ −0.03. Aux plus hauts nombres de Reynolds, on observe un plateau de Cf pour Ro . −0.035, contrairement aux travaux récents de van Gils et al. (2011); Huisman et al. (2012) (groupe de Twente) et de Paoletti & Lathrop (2011) (groupe du Maryland), qui, tous deux pour des η = 0.72, observent un maximum dans la courbe Cf(Ro) pour a = 0.412. Ceci est attribué à un optimum dans le transport de moment cinétique. On peut remarquer que a = 0.4 correspond dans notre géométrie à Ro = −0.033. Notre étude a depuis été complétée par des mesures PIV tomographiques, réalisées par Tokgoz et al. (2011, 2012) à de plus grands nombres de Reynolds (Res64 × 104), qui confirment la présence de rouleaux et les modifications de leur forme. Il serait intéressant de réaliser ce genre d’expériences à des nombres de Reynolds ou de Taylor comparables à ceux de Paoletti & Lathrop (2011); van Gils et al. (2011) : T a > 1012, i.e. Res > 106 dans notre géométrie, afin d’établir si la présence de cet optimum dépend du paramètre η, i.e. si la présence d’un maximum pour Cf(a) à T a > 1012disparait pour η → 1.

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