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Nous avons vu dans la première partie que les spécificités attachées aux métaux rares déterminées dans le chapitre 1 suscitent de nouvelles interrogations qu’il convient d’étudier. Ces nouvelles questions liées aux caractéristiques des métaux rares (la production en sous-produit, l’absence de marché à terme et l’épuisement) feront l’objet d’une analyse particulière dans cette seconde partie pour évaluer si elles peuvent représenter une contrainte pour l’essor de la transition énergétique. Cette seconde partie mobilisera aussi des notions et des arguments ayant trait à l’épuisement et à la disponibilité économique de long terme des ressources naturelles expliquées et dégagées dans les chapitres 2 et 3 de la première partie. Tout d’abord, nous aborderons dans le quatrième chapitre de cette thèse les contraintes amenées par la production en sous-produit des métaux rares. Nous montrerons grâce à un modèle théorique d’équilibre statique que cela implique une élasticité prix de la production jointe aux prix de ces métaux faible voire nulle. Néanmoins, nous verrons également qu’il subsiste dans la réalité des marges potentielles de production qui peuvent permettre au producteur d’adapter jusqu’à un certain point sa production de sous-produits (les métaux rares) aux fluctuations de leur demande. Pour apprécier, la possibilité d’une saturation de cette marge potentielle de production, nous développerons, à titre illustratif, un scénario prospectif nous permettant d’évaluer si la croissance prévue du secteur photovoltaïque pourrait saturer la contrainte de sous-produit de différents métaux rares (gallium, indium, tellure).

Pour continuer, le cinquième chapitre explorera dans un premier temps les principaux facteurs permettant d’expliquer l’absence de marché organisé d’une ressource naturelle. Afin d’approfondir l’impact de ces facteurs, nous emploierons un modèle logit reliant la probabilité pour un métal de détenir un marché à terme aux niveaux de deux variables proxy (le prix et la production), reflétant elles-mêmes de manière indirecte des variables plus nombreuses. En ce qui concerne les conséquences liées à cette absence de marché à terme, nous parcourrons les résultats des principaux modèles économiques (Heal (1975), Dasgupta et Heal (1979) et Lasserre (1991)) s’étant penchés sur cette question. Il ressort que ces modèles suggèrent différents types de chemins d’exploitation des ressources naturelles selon les hypothèses faites

197 sur la forme des anticipations des agents économiques. Nous compléterons cette analyse par une application économétrique visant à déterminer si les comportements des marchés du molybdène et du cobalt (deux métaux rares) ont été modifiés suite à l’introduction de leurs marchés futures en 2010. Nous montrerons que les métaux rares (sans marché futures) sont caractérisés par une volatilité intrinsèque de leur prix plus élevée en comparaison des autres métaux de base, tandis que le molybdène et le cobalt ont vu la volatilité de leur prix baisser suite à la création de leurs marchés futures. Nous apporterons aussi la preuve que les prix de marchés guident les prix reportés lorsque les deux systèmes de prix coexistent.

Enfin, le sixième chapitre proposera une évaluation de l’épuisement des métaux rares sous l’angle de l’Energy Return On Investment (EROI), un indicateur dérivant de l’approche biophysique. Si les études de criticité centrées sur la disponibilité des métaux rares dans le cadre du développement des énergies renouvelables sont de plus en plus nombreuses, elles comportent plusieurs types de limites (géographiques, temporelles, sectorielles, épuisement quantitatif). Pour mieux cerner les facteurs concourant à cet épuisement quantitatif, nous décomposerons la demande en métaux (nature et quantité) du secteur énergétique comme la résultante de plusieurs éléments (demande en énergie, mix énergétique, mix technologique, intensité en métaux des technologies) pouvant représenter différents niveaux de substitution. Pour dépasser les limites géographiques, temporelles et sectorielles des études de criticité, nous établirons ensuite un scénario prospectif de la demande future de lithium et de cobalt afin de déterminer les quantités de réserves nécessaires à prouver pour maintenir le ratio réserves sur production (R/P) de ces ressources d’ici à 2050. Toutefois, une estimation des ressources en place de lithium et de cobalt nous amène à écarter l’épuisement quantitatif de ces ressources et à considérer davantage l’épuisement qualitatif des métaux (non pris en compte dans ces études) pour estimer l’épuisement économique. C’est donc dans cette optique, que nous nous pencherons dans une seconde section sur la dégradation qualitative des minerais et de l’énergie depuis le début du XXème siècle. Nous démontrerons ensuite le renforcement des liaisons existantes entre le secteur des métaux et de l’énergie du fait de cet épuisement qualitatif. Finalement, nous évaluerons grâce à l’EROI, la soutenabilité de la transition énergétique à long terme grâce à la prise en compte du lien de rétroaction positive unissant le secteur des métaux et le secteur de l’énergie (compte tenu de l’épuisement qualitatif de ces derniers).

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CHAPITRE 4 : CONTRAINTE DE PRODUCTION LIEE A

L’EXTRACTION EN SOUS-PRODUIT DES METAUX RARES

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« C’est crucial de comprendre qu’il ne s’agit pas de problèmes mais bien de symptômes. Si vous avez un cancer, vous pouvez avoir mal à la tête ou de la fièvre mais vous ne vous imaginez pas que si vous prenez de l’aspirine pour éliminer la fièvre, le cancer disparaîtra. Les gens traitent ces questions comme s’il s’agissait de problèmes qu’il suffit de résoudre pour que tout aille bien. Mais en réalité, si vous résolvez le problème à un endroit, la pression va se déplacer ailleurs. Et le changement ne passera pas par la technologie mais par des modifications sociales et culturelles. » Dennis Meadows, Terraeco, Volume 38, 2012. « On voit que le débat avec les progressistes, seuls adversaires fondamentaux des « irréversibilistes », porte sur ce qui, du capital naturel, est substituable ou non. C’est donc un débat sur le potentiel des sciences et des techniques et, plus généralement, sur la capacité de l’humanité à maîtriser la nature – y compris et surtout en s’adaptant aux changements de cette dernière -, ce qu’elle a fait jusqu’ici. » Pierre-Noël Giraud, Ressources naturelles et solidarité entre générations, Etudes, 2008.

1 Introduction

Nous avons vu dans le chapitre 1 que le développement des nouvelles technologies de l’énergie, suite à la lutte contre le réchauffement climatique et à l’épuisement des hydrocarbures, réclame une gamme de métaux de plus en plus élargie comparée aux technologies traditionnelles. Le recours à une palette plus diversifiée de métaux diminue par ailleurs le risque de rupture d’approvisionnement grâce à la diversification des matériaux nécessaires. Toutefois ces nouvelles technologies, souvent qualifiées de « propres » ou de « vertes » (éolien, photovoltaïque, CCS…) au regard de la source d’énergie utilisée,

88 Une partie de ce chapitre a été publiée sous la référence « Byproduct production of minor metals: threat or opportunity for the development of clean technologies? The PV sector as an illustration », Resources Policy, 38, 373-383.

199 requièrent davantage de métaux ferreux et métaux de base comme le cuivre mais également des quantités non négligeables de métaux rares (JRC, 2011). Un premier cadrage est d’ordre géopolitique ou stratégique. Une part élevée de ces métaux rares provient de Chine, un Etat ayant déjà pratiqué par le passé des politiques commerciales interdites par l’OMC (quotas à l’exportation), notamment pour l’indium et les terres rares. Cependant, au-delà de la part relative de la Chine dans la production des métaux, c’est la part de la croissance de la demande dédiée à la Chine – variant entre 70% et quasi 100% de la demande additionnelle pour les métaux de base – qui semble la plus préoccupante (Humphrey, 2010). Une attention toute particulière est donc requise pour analyser les intérêts et le comportement de ce pays qui totalise à lui seul près de 20% de la population mondiale et 10% du PIB nominal mondial. Un deuxième cadrage concerne le mode de production des métaux rares. Le statut de sous-produit voire au mieux de cosous-produit, demeure encore aujourd’hui l’un des traits caractéristiques différenciant les métaux rares des métaux de base ou des métaux précieux (or, argent, groupe des platinoïdes). En d’autres termes, les concentrations très faibles de ces métaux rares associées à leurs valorisations économiques actuelles ne permettent pas une mise en production isolée comme on pourrait le faire pour un gisement de cuivre ou d’or. L’occurrence dans la croute terrestre de ces métaux rares est faible : comme le précise Taylor et Mclenon (1985), la concentration moyenne dans la croûte terrestre de l’indium ne dépasse pas 0,05 ppm, une concentration analogue à l’argent, tandis que la présence du tellure est à peu près du niveau de l’or (0,001 ppm). A l’opposé, le gallium fait partie des métaux rares les plus abondants avec une occurrence moyenne de près de 17 ppm dans la croute terrestre. Nous distinguons deux types de production possibles pour cette variété de métaux rares :

- Le développement de l’extraction jointe de plusieurs de ces métaux rares en même temps afin de pouvoir couvrir la totalité du coût joint plus les coûts spécifiques à chacun. Les métaux seront qualifiés de coproduit et chacun assure la rentabilité du projet. C’est le cas des gisements de terres rares ou de la production de cobalt simultanément au cuivre et au nickel.

- Le développement de l’extraction d’un métal mineur en parallèle à l’extraction d’un autre métal (produit primaire) assurant déjà la rentabilité du projet. Le métal mineur est alors sous-produit du produit primaire et il n’apporte qu’une plus-value supplémentaire au projet minier. C’est le cas de la plupart des métaux rares utilisés dans les hautes technologies.

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