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Le travail d’un ingénieur du son ouest-africain

Annexe 6 Echange avec Yiriyé Sabo

J’ai commencé à travailler à l’ORTM en 1988. D’abord je m’occupais de la mise en ligne, c’est- à-dire le direct à la radio, la chaine 2 de l’ORTM, après à la télévision. A côté je tournais des séries télévisées et les longs métrages avec le centre national de cinématographie du Mali. Avant la crise, avant que le Mali ne soit dans cette situation d’insécurité aggravée, il y avait bcp de coproduction avec les chaines étrangères, avec les télévisions étrangères. Beaucoup de chaines françaises venait tourner au Mali. Et en général quand l’équipe venait, le réalisateur venait avec un producteur et le reste de l’équipe, ils complétaient l’équipe un fois sur place ici. J’ai plusieurs fois tourné avec des équipes françaises et des équipes Suisses en documentaire, surtout dans le nord. C’est arrivé à plusieurs reprises. Mais maintenant avec l’insécurité les gens ne viennent plus, ce sont les productions nationales qu’on fait et même là, le financement se fait rare. On pouvait faire au moins un long métrage par an dans le temps, mais maintenant, c’est un tous les deux ans et parfois on peut passer deux ans sans tourner.

Nous tournons actuellement sur le budget national, comme je l’ai dit, la situation de crise se ressent même sur le budget de l’état, à l’ORTM qui faisait des séries télévisées. La crise étant, avec les restrictions budgétaires les productions nationales se font plus ou moins rares. Mais on vient de boucler un long métrage avec le centre national de cinématographie du Mali : Sheitan. C’est un de long métrage, fiction. Le tournage a duré plusieurs mois du aux problèmes de financement. Comme c’est sur budget national on tourne quand il y a de la liquidité et ça s’arrête quand y’a pas d’argent. Un tournage qui devait durer deux mois finalement s’est étalé sur six mois avec des arrêts. Le film est fini, le prémontage avait été fait ici, la post-production devait être faite à Paris. L’équipe est partie là-bas mais, toujours à cause des problèmes d’argent, ils sont revenus et jusqu’à présent le film n’a pas pu être bouclé. On attend. Il devait partir au dernier Fespaco mais il n’a pas pu être monté et fini à temps pour aller en compétition. C’est un long métrage de Assane Kouyaté qui a tourné beaucoup de films dont un qui a été primé au Fespaco, « Kabala » (2003). Un film de fiction bien inspiré mais qui a été tourné dans des conditions difficiles avec beaucoup d’arrêts. Un très beau film mais qui, faute d’argent, est en train de mal finir. Dans les productions nationales, je pourrais vous citer par exemple « Les aventures de Seko ». Les premiers épisodes (1,2,3) c’était avec des Français, Nomad production. On a fait les trois premiers épisodes avec eux puis ils sont partis. L’ORTM a continué. La série devait continuer, ça a eu beaucoup d’engouement au Mali ici mais l’ORTM

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a produit trois épisodes pour en faire six et le CNCM avec Ora film est venu à la rescousse. C’était une série qui plaisait beaucoup au Mali mais, par faute de financement, la suite n’a pas été tourné. Toujours dans les séries nationales, l’ORTM en coproduction avec Greeko film, nous avons tourné « Les rois de Ségou » première et 2deuxième saison en Français parce que l’AIF, la francophonie avait participé au financement. Leur condition était que les dialogues soient en français. Mais comme ça parle de l’épopée de Ségou, le royaume Bambara de Ségou on a essayé de faire un doublage en Bambara normalement. Donc c’est pour dire que les sujets ne manquent pas mais actuellement le cinéma Malien est en train de mourir par faute de financement à l’interne comme à l’externe.

Le CNCM c’est un centre national, étatique qui fonctionne sur budget national. C’est un centre qui s’occupe de la production cinématographique du Mali. Donc comme les financements extérieurs sont plus ou moins inexistant maintenant et étant donné que le Mali est un pays à fort potentiel culturel, la production devient nationale et tant bien que mal, ils essayent de produire au moins un long métrage par an ou tous les deux ans pour pouvoir participer au Fespaco. Les films de Souleymane Sissé, Omar Sissako, ces grands films qui ont été tournés en 36mm, le directeur photo, disons une grande partie de l’équipe était carrément étrangère, pratiquement toute l’équipe venait de l’étranger et les malien étaient des assistants. Mais avec l’évolution de la technologie, quand on a quitté le 36mm pour aller à la vidéo, les compétences sont disponibles sur place. Mon ainé par exemple, Bakari Sangaré, était l’assistant de Martin, un ingénieur du son français. A cette époque c’étaient des chefs de poste étrangers et toujours des malien en assistants. Mais de nos jours, il y a la compétence sur place. Nous pouvons faire des plateaux entièrement avec des techniciens maliens.

Dans le temps pour les techniciens de la sous-région, en tout cas au Mali, la formation était à l’INA de Paris. Mais depuis que l’INA a fermée, la formation académique en tant que tel à quasiment disparue. En matière de technique il n’a pas d’école professionnelle bien étayée dans la sous-région. C’est ainsi que, comme tous les pays ont les mêmes besoins, il y avait une école à Ouaga, financée par les allemands qui est fermée. Les Ivoiriens ont essayé de relancer l’ISTC pour essayer de répondre à ce besoin de formation technique mais ils ne sont pas purement dans la radio/tv/cinéma. Ils sont un peu dans le GSM, l’infographie, dans le multimédia. Il y a ce problème de formation et avec la technologie, le net et autre, de plus en plus les formations se font de manière autodidacte. Les ainés essayent de transmettre leurs connaissances aux jeunes. Pour la petite histoire, quand tu m’as contacté pour cet interview je t’avais dit que je n’étais pas disponible parce que j’encadrais des jeunes qui veulent faire du cinéma. Ils ont initié cette

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formation sur trois semaines. Tous les métiers du cinéma y sont. Cad ; la real, le jeu d’acteur, la prise de son, le montage. Ils ont essayé de toucher à tout, ils ont fait venir des formateurs ; un allemand qui est venu de Berlin, un franco-sénégalais qui est venu de Dakar et une dame qui est venue de Niamey, le président de l’UMCM Salif Traoré, Lamisa Traoré il est enseignant à l’INA de Bamako pour le jeu d’acteur et moi je m’occupais du son. Il y avait aussi une suissesse qui est mariée à un malien qui faisait la post-production. Ce sont des petites initiatives comme ça qui essayent de maintenir la flamme pour la formation des jeunes dans les métiers du cinéma. En termes de nombre je peux dire que y’en a pas beaucoup [il s’agit ici d’ingénieurs du son], on peut les compter sur le bout des doigts, nous ne sommes que quelques-uns. Mais la relève est toujours assurée puisqu’il y a des jeunes qui s’intéressent aux métiers et qui sont en train petit à petit d’acquérir de l’expérience et qui vont être prêts à prendre la relève. Moi par exemple j’ai un ainé, Bakari Sangaré qui a tourné un peu partout en Afrique, il a même été invité sur un plateau en France. C’est un ingénieur son vraiment confirmé sur tous les plans. Comme dans le métier y’a pas de retraite, administrativement on est en retraite, mais dans les métiers du son, tant qu’on est bien portant qu’on peut subir les exigences du plateau on continue toujours à travailler. En matière de formation le besoin est là mais il n’y a pas de formation professionnelle à haut niveau pour former en son donc ça se base sur les expériences pratiques. Mon assistant j’essaye de le former. L’expérience vient avec la pratique. C’est la formation par la pratique, par l’exercice du métier.

C’est Bakari qui m’a encadré mais j’avais la base de la prise de son parce que j’ai fait le centre international de radio rurale de Ouagadougou. Là, je faisais du son radio, les techniques de prise de son sur plateau je les ai apprises avec Bakari en ayant déjà des notions de prise de son. Dans ce centre on faisait tout ce qui était les techniques de prise de son radio, les équipements en ce temps c’était le Nagra. J’ai une base en son et après en 2007 je suis allé à Abidjan, à l’ISTC. C’est une école supérieure d’audiovisuel mais multimédia (intégration, infographie, mise en ligne…) donc ce n’est plus le son pur et dur qu’on connaissait avant. Sur ma base de prise de son radio j’ai ajouté des formations techniques.

J’avoue que ce n’est pas facile, l’image est reine sur un plateau de tournage. Mais le son a son importance, on est plus à l’époque du cinéma muet. Le métier du son en général est ingrat. Quand ça marche on oublie le son, c’est quand il n’est pas bon qu’on s’en rend compte. Le métier de preneur de son c’est un métier délicat et ingrat. J’avoue que ce n’est pas facile mais on se bat pour gagner sa place. Il y a beaucoup d’anecdotes en la matière. J’ai plusieurs fois eu des prises de bec avec la réalisation et surtout avec le directeur de la prise de vue car on a

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tendance à vouloir marginaliser le son. Par exemple, j’ai dû me battre pour que mon assistant, le perchiste puisse avoir sa place. Quand l’éclairage est mal fait, tu n’arrives pas à entrer la perche, alors que c’est une erreur d’éclairage. Il faut se battre, c’est comme sur tous les plateaux. Mais ici c’est plus accentué car on ne cherche d’abord qu’à sauvegarder la bonne image. Une fois que l’image est bonne on fait attention au son.

Je suis un employé à l’ORTM comme ingénieur du son de l’ORTM. Normalement en plus de l’émission en direct, nous faisons des programmes, nous tournons des séries télévisées, des documentaires ou des courts métrages. Même là le problème de budget se fait sentir. Cela nécessite des fonds, chose rare. Réellement pouvoir vivre uniquement de son métier d’ingénieur du son est vraiment problématique.

Nous avons des perches, des casques. Pour le dernier film, Sheitan qu’on a tourné en 2018 comme on était assisté par des Danois, la post-prod se faisait au Danemark. Eux ils nous avaient conseillé d’enregistrer en stéréo, c’est à dire le son perche sur une piste et les HF qu’on faisait porter par les comédiens sur l’autre piste. C’était deux canaux distincts bien différents. Comme matériel aujourd’hui nous disposons de mixettes. A l’ORTM nous avons des sqn4s mini avant c’était les sqn4 simples. Comme je t’ai dit avec les évolutions technologiques, avec la vidéo les mixettes peuvent bien faire le travail. La mixette sert de traitement en amplitude et en fréquence. En plus nous avons des Sound Devices 5 qui sont arrivés, là ce sont des enregistreurs numériques. Au niveau du centre national cinématographique du Mali, ils sont vraiment mieux équipés puisqu’ils s’occupent exclusivement de cinéma. Tout ce dont on a besoin pour un tournage, ils l’ont sur place. Que ce soit en termes d’équipement vidéo ou de son. Ce qu’il manque c’est l’argent pour pouvoir tourner. Sinon il y a beaucoup de scénarios qui sont prêts mais y’a pas de financements.

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